Analyse 2007-19

L’entrée en application du nouveau décret « inscriptions » dans les écoles secondaires en communauté française de Belgique a suscité et suscite encore bien des débats, parfois passionnés. Cela repose en tout cas la question de la dualisation de l’enseignement et des moyens pour y faire face. Couples et Familles propose quelques éléments d’analyse et sa position sur la question.


Aspirations des parents


Que recherchent les parents lorsqu’ils pensent à la scolarité de leurs enfants ? Nous pouvons décrire en quelques mots leurs aspirations, sans crainte de se tromper :

  • un parcours scolaire qui leur permettra de réussir ;
  • une réussite scolaire afin qu’ils trouvent un emploi qui leur permette de s’insérer valablement dans la société, tant d’un point de vue financier  que social ;
  • une école où ils se sentiront heureux et où ils pourront s’épanouir ;
  • une école qui correspond aux valeurs dans lesquelles ils croient et sur lesquelles ils fondent leur éducation ;
  • une école dont la réputation pédagogique correspond à ces aspirations.


Ils ont donc l’ambition et la responsabilité de devoir choisir en fonction des critères qu’ils ont ainsi définis, mais ils s’interrogent sur la garantie qu’ils peuvent avoir que toutes les écoles dispensent les mêmes matières suivant les mêmes programmes et avec la même fiabilité, et qu’elles délivrent une certification de même valeur.


Aspirations des enseignants


Que recherchent les enseignants lorsqu’ils pensent à leurs objectifs d’enseignement ? Là encore, les aspirations sont largement partagées et concordent avec celles des parents :

  • fournir à leurs élèves ce qu’attendent d’eux les parents et la société. C’est que pour la plupart, ils sont eux-mêmes parents ou l’ont été ;
  • disposer des moyens pédagogiques qui puissent conduire les élèves à la réussite de leurs études ;
  • vivre dans un climat et une ambiance scolaire - locaux, collègues, élèves et aussi parents -, qui leur permette d’exercer valablement leur mission.


Mauvaise conscience de l’école francophone


Les évaluations de la qualité de l’enseignement dans les pays du monde et dans l’Europe des 25 et les classements qui en découlent, laissent entendre que l’enseignement secondaire en Belgique et l’école francophone en particulier est de qualité relativement médiocre. Loin de nous de vouloir prétendre que l’enseignement belge est le meilleur qui puisse être, mais cette réputation nous paraît assez sérieusement faussée.


Cette appréciation désastreuse provient en partie du fait de paramètres qui prennent en considération et comparent des éléments qui ne sont absolument pas comparables.


C’est ainsi que le même type de questions a été posé à des populations d’élèves de 15 ans, sans tenir compte de l’année d’étude à laquelle ils avaient accédé. Dans nombre de pays, le redoublement n’existe pas. Dès lors, à 15 ans, tous les élèves ont connu le même parcours scolaire et ont donc reçu les mêmes cours. Même élèves médiocres, ils ont au moins certaines notions de matières que n’a pas un élève qui, en Belgique, suit fort bien dans l’année dans laquelle il est scolarisé, mais a dû redoubler pour l’une ou l’autre raison.
 l’encontre de ces appréciations négatives, les résultats de nos universitaires sont plus qu’appréciables - et il faut bien qu’ils aient été préparés à cela par l’enseignement secondaire - et, parallèlement, le niveau de productivité dans le monde industriel belge est des plus élevés - et il faut bien que ses travailleurs aient été formés dans l’enseignement secondaire technique et professionnel -.


Plusieurs analyses des modalités de ces enquêtes montrent par ailleurs qu’elles s’expriment sur base de comparaisons de moyennes globales des résultats de l’ensemble des élèves. Or, autre constatation qui module leurs conclusions : chez nous, les écarts entre les bons résultats et les résultats médiocres sont particulièrement importants.


Dans une société dualisée


Parmi les causes dénoncées comme génératrices de moindres performances de notre enseignement, sa dualisation a été mise en évidence. Or, ce n’est pas une caractéristique de l’école à proprement parler. Elle n’est en cela que le miroir de la société dans laquelle elle est implantée.


Ainsi de l’évolution qu’ont connue progressivement certaines écoles autrefois bien ou même fort bien cotées. Elles étaient insérées dans des quartiers florissants, mais ces quartiers ont été délaissés par les politiques de la ville et se sont dégradés au fil des ans au point d’en devenir des cités ghettos réputées insécures, voire insalubres. Confrontées au désintérêt relatif et simultané des politiques d’aménagement du territoire et de mixité sociale du milieu urbain, elles ont été gagnées peu à peu par l’atmosphère de violence urbaine environnante, qui en a détourné d’elles les parents de milieux plus cultivés ou en recherche de promotion sociale pour leurs enfants.


Simultanément, les difficultés concrètes que rencontrent les enseignants dans ces quartiers entraînent une rotation nettement plus importante de personnel et un taux d’absentéisme pour raison de santé beaucoup plus élevé que dans les autres institutions scolaires. Ces éléments ne peuvent que nuire à la régularité des cours, et donc à la qualité de l’enseignement dispensé.


C’est là qu’il aurait fallu que soit porté le fer et que des politiques d’efforts importants de rénovation urbaine soient prioritairement mises en Å“uvre. C’est la lutte contre la dualisation de la société qui démantèlera celle de l’école et non l’inverse.


Des solutions douteuses


Dans ce contexte, un décret vient d’entrer en vigueur qui se donne pour objectif d’empêcher que les institutions scolaires puissent encore donner une quelconque priorité d’inscription, et donc, en principe tout au moins, de sélectionner leur population scolaire ou, à tout le moins, d’en exclure certaines catégories d’élèves.
Aux yeux de « Couples et Familles », ces dispositions prennent la question par le plus petit bout de la lorgnette et créent pour les parents des situations d’incertitude et de désagrément.


Nous ne sommes pas convaincus en effet que la dualisation de l’enseignement puisse être contrecarrée par une mixité sociale scolaire généralisée et imposée par voie réglementaire. La mixité sociale scolaire prépare certes à la mixité sociale de la société, mais elle n’est pas pour autant susceptible de faire pièce à la dualisation de l’enseignement. Dans d’autres pays, ce chemin imposé de mixité sociale - ainsi le « busing » en Angleterre [1] - a été essayé sans résultats probants, voir avec des effets négatifs dans certains cas.


On peut légitimement s’interroger par ailleurs sur les effets pervers de ce décret :

 

  • pour certains établissements scolaires, outre qu’ils seront confrontés à tous les conflits d’inscription qui ne manqueront pas de se produire, ils se voient refuser le droit de s’organiser, en réservant par exemple certaines places à des enfants de milieu moins favorisés, pour veiller à une certaine mixité sociale et culturelle qui corresponde au milieu urbain environnant ;
  • pour les parents, des désagréments sérieux et des préoccupations importantes pour la scolarité de leurs enfants.


Que risque-t-il de se passer en effet, du moins dans les lieux où le nombre de places disponibles dans une institution se saura inférieur au nombre présumé d’inscriptions souhaitées ? Tous les parents d’enfants se retrouveront ensemble sur la ligne de départ, sans savoir le nombre d’entre eux dont les enfants seront admis.


Feront-t-ils la file dès la veille ou l’avant-veille, dans des couloirs de barrière Nadar installés par l’école comme aux arrivées de courses à pied ?


Distribuera-t-on aux parents des documents numérotés allant de 1 au nombre d’inscriptions possibles ?


On imagine les tractations et les trafics qu’engendrera une telle situation, sans penser à ce que pourrait générer l’agressivité que la tension ainsi crée. Des places prises et cédées contre rémunération et des enveloppes vendues sont fort bien imaginables.


Nous ne croyons donc pas que ce décret soit une mesure de discrimination positive susceptible de redresser les dérives de la dualisation. Nous le voyons plutôt comme un jeu de hasard qui risque même de pénaliser les plus démunis.


Prenons un exemple : le décret ne tient aucun compte de la situation du domicile de l’enfant par rapport à la situation géographique de l’établissement scolaire. Une famille peu aisée adossée à un établissement d’enseignement secondaire dans lequel elle considérait comme allant de soi qu’il serait celui de la scolarité de ses enfants ne sera plus certaine de pouvoir les y inscrire. Si l’inscription devait effectivement lui être refusée,surtout si la famille n’a pas de quoi se payer une voiture, comment s’accommodera-t-elle d’une autre localisation scolaire ?


Même une famille financièrement aisée ne s’en tirera qu’avec, le cas échéant, un véhicule familial supplémentaire, alors que les enfants auraient pu se rendre à pied à l’école. Questions de société alors : encombrement de la ville et pollution de l’environnement ... est-il possible que personne n’y ait pensé ?


Position de « Couples et Familles »


« Couples et Familles », comme service d’éducation permanente des adultes dans le domaine familial s’interroge donc de manière critique sur la mise en oeuvre de ce décret.
Il se réjouit certes de la volonté politique :

  • de rehausser le niveau de la qualité reconnue au système de l’enseignement en Communauté Française ;
  • de faire échec à sa dualisation croissante, plus particulièrement dans les grandes agglomérations urbaines.
  • Il est toutefois convaincu que :
  • les deux objectifs ne peuvent se réduire à la recherche de solution pour le second seulement ;
  • la dualisation de l’école n’est pas une conséquence du système scolaire, mais d’une pluralité de causes qui tiennent à l’ensemble des politiques sociales et donc de la dualisation de la société ;
  • la mixité sociale en milieu scolaire n’est donc pas, à elle seule, la solution pour faire échec à cette dualisation. Elle n’est qu’une infime partie de solution.


Il plaide dès lors pour :

  • une politique de la ville qui se consacre par priorité à l’assainissement et à l’aménagement des quartiers les plus défavorisés ;
  • une politique de logements, et plus particulièrement de logements sociaux, qui vise à une restructuration de l’habitat urbain, avec des objectifs de sortie des ghettos de pauvreté et/ou de communautarisme ;
  • une politique de l’emploi prioritaire pour les jeunes des grandes agglomérations ;
  • une politique sociale qui relève le niveau de vie des plus démunis ;
  • l’octroi, aux établissements scolaires aujourd’hui défavorisés, des moyens adéquats pour qu’ils puissent améliorer la qualité de leur offre, discriminations positives accompagnées et évaluées quant à ses objectifs, notamment par leur mise en comparaison par le biais d’une évaluation externalisée de tous les établissements scolaires ;
  • immédiatement, mais en dernier lieu en termes d’incidence sur les objectifs de lutte contre la dualisation, une supervision, suffisamment sérieuse et souple à la fois, des refus d’inscription dans tous les établissements, tant primaires que secondaires, pour éviter que certains d’entre eux n’opèrent effectivement des discriminations, pour quelque raison que ce soit [2] .

 

 



[1] Transport des élèves par bus dans les écoles qui leur sont imposées.
[2] Analyse réalisée par Danielle De Bie, Alain Letier et Jean Hinnekens

 

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