Analyse 2020-14

La Belgique – ainsi que bien d’autres pays du monde – traverse une période de confinement. Le Covid-19 fait polémique au sein de chaque foyer. Soudain, le monde semble tourner au ralenti. Des entreprises sont contraintes de s’arrêter de tourner, les magasins ferment leurs portes, la majorité de la population reste chez elle, etc. Ce changement, loin d’être anodin, va-t-il impacter notre avenir ? Quid de « l’après coronavirus » ? L’être humain va-t-il tirer une leçon de toute cette histoire ?

Les rues sont calmes, les villes se sont tues et on constate que la nature reprend petit à petit ses droits. Nous entendons les oiseaux chanter, alors que nous y étions sourds depuis bien longtemps. Les animaux sauvages traversent les routes avec sérénité, ils se réapproprient les lieux publics. La nature a retrouvé son souffle. Les pics de pollution chutent et ce, tout particulièrement en Chine1. La faune et la flore peuvent à nouveau respirer. Quelle ne fut pas la surprise des habitants de Venise, quand les eaux se sont éclaircies, et qu’ils ont aperçu de nouveaux visiteurs : certaines espèces de poissons ont fait leur retour ! En effet, sans les bateaux et les croisières, les eaux ont la possibilité de retrouver leur clarté. En Sardaigne, les dauphins sont même de retour2 ! Bien sûr, une brève période de calme ne permettra pas à la nature de reprendre ses droits comme par magie, réparant des centaines d’années de dégâts, mais cela permet au moins d’ouvrir les yeux et de, pourquoi pas, se diriger vers une transition écologique. La Chine, quant à elle, décide de mettre un stop à la commercialisation et à la consommation des animaux sauvages, ces pratiques étant hautement suspectées d’être les facteurs de la propagation du virus3. L’environnement reprend un rythme plus sain, qu’en est-il de nos foyers ?

Une occasion de se retrouver soi

Comme l’a si bien dit la journaliste Florence Hainaut : « À peine 3 jours à la maison et nous voilà déjà philosophes, à nous demander ce que nous retirerons de cette expérience, dans notre vie d'après4. » Elle ajoute également que de ce confinement pourrait se dégager une opportunité de se réinventer. Considérer cette période comme une opportunité pour prendre du temps pour soi, c’est peut-être finalement ce que nous attendions sans véritablement en avoir conscience. Difficile de remettre en cause un engrenage qui nous dirige depuis tant d’années. Donc nous sommes en droit de nous poser la question : profitons-nous réellement de ce moment pour prendre soin de nous et des autres ? La journaliste nous rappelle avec une certaine ironie que ce n’est pas gagné d’avance. Il est toutefois possible de se réapproprier cette période, si bien sûr la volonté est présente.

Devoir ralentir, ce n’est pas quelque chose à quoi nous sommes habitués, la société nous impose un rythme hyperactif dans le but d’être le plus productif possible. Mais lorsque nous sommes tous – dans la majorité des cas – contraints de nous arrêter, que se passe-t-il ? Certains craignent l’ennui, d’autres trouvent l’occasion de souffler. Les enfants ne vont plus à l’école, ils ont la possibilité de s’instruire à la maison mais, surtout, c’est le moment pour les familles de se retrouver. Dans certains foyers, les parents travaillaient d’arrache-pied, d’autant plus que maman devait en sus s’occuper des tâches domestiques. Aujourd’hui, tout le monde est chez-soi, pour la plupart. On réapprend à connaître l’autre, on essaie d’apprivoiser les tensions qui surviennent suite à cette promiscuité inhabituelle, et on se réapproprie le temps, ensemble. Fini, certes provisoirement, l’époque où l’on se disait qu’on n’avait guère le temps de se consacrer à des hobbies, à prendre soin de soi, à respirer, tout simplement. De manque de temps, nous sommes passés à un surplus de temps, avec pour beaucoup la difficulté de savoir comment l’occuper. C’est le tout ou rien. Parallèlement, les professionnels de la santé, les travailleurs sociaux, les psychologues, le personnel des magasins alimentaires et bien d’autres, sont au contraire surmenés. Le monde s’est arrêté ? Pas pour eux en tous cas. La société se divise en deux parties contradictoires. Si les « chanceux confinés » peuvent trouver l’occasion de s’essayer au yoga et d’apprendre à faire leur propre pain à la maison, d’autres connaissent un train de vie encore plus éprouvant que d’ordinaire. Qui sait, peut-être ce constat va-t-il donner naissance à un nouveau regard…

Confinés mais solidaires

Le quotidien a changé du tout au tout en l’espace de quelques jours. Pour certaines personnes, ce sont des temps bien difficiles. Confinés, parfois seuls, en détresse ou non, des individus ainsi que des associations, font preuve d’une solidarité grandissante.

Cet altruisme fait face à l’individualisme qui s’est manifesté lors des annonces concernant le confinement : les magasins étaient dévalisés. Alors que certains se composaient des stocks extraordinaires de nourriture et de biens de première nécessité, d’autres se retrouvaient face à des rayons vides. Le gouvernement avait certes précisé qu’il ne serait pas question de risques de pénuries mais, pourtant, un égoïsme flagrant s’est manifesté. Encore une fois, nous faisons face à une contradiction : la solidarité versus l’individualisme alimenté par la peur.

Face au repli sur soi et au déni de l’autre, certains se soutiennent et les voix se soulèvent, notamment à 20 heures, quand les applaudissements destinés au personnel des hôpitaux retentissent. Des banderoles ornées de remerciements sont accrochées aux balcons. Certains magasins adoptent des horaires spéciaux afin d’accueillir les personnes âgées pour faire leurs courses avec davantage de facilité et de sérénité. Des associations, des entreprises mais aussi des particuliers, produisent et offrent des masques aux hôpitaux en situation de pénurie. Des plateformes en ligne proposent des conseils voire des consultations à distance afin d’apporter du soutien à ceux qui en éprouvent le besoin. Des dessins et des petits mots d’encouragement sont laissés sur les boîtes aux lettres, à destination des facteurs, mais aussi sur les poubelles, pour le service des éboueurs. L’on soutient ainsi toutes ces professions dites de première ligne pour lesquelles le monde ne s’est pas arrêté de tourner.

Prendre conscience des inégalités

Face à la pandémie, toutes les situations ne sont pas pareilles. Prenons le triste exemple des personnes sans-abri qui, elles, ne disposent d’aucun endroit où se confiner afin de se protéger du virus. Pire encore, certaines ont été verbalisées sous prétexte qu’elles ne respectaient pas les mesures de confinement. Heureusement, diverses associations se sont soulevées contre cette injustice5. Aussi, des points de distribution de paniers repas pour les personnes sans-abri ont été mis en place par l’association « Les grands voisins »6.

Un autre constat amène réflexion : selon une étude de la revue médicale The Lancet, ce sont majoritairement des femmes qui sont en première ligne face à la pandémie7. En effet, les femmes constituent la plus grande partie du personnel soignant. Il est alarmant de mesurer à quel point les efforts qui leur sont demandés en ces temps de crise sont surhumains, d’autant que les salaires ne suivent pas et que, niveau protection, ce n’est guère mieux (pénurie de masque, de gel désinfectant, etc.). Et le danger peut aussi être présent chez soi : en effet, en situation de confinement, la violence conjugale s’intensifie et devient une véritable menace pour nombre de femmes, ainsi que certains hommes, certes moins nombreux, qui perdent des possibilités de s’y soustraire. Des associations se mobilisent face à cette problématique, proposent une aide adaptée et sensibilisent la population8. Les écoles fermées, les enfants se retrouvent eux aussi à la maison. Comme il a déjà été souligné par le passé, ce sont les femmes qui sont dans la plupart des foyers reléguées aux tâches domestiques. Mais en une période telle que celle que nous traversons, les soins aux membres de la famille sont décuplés. Sans compter qu’il faut parfois y combiner le télétravail.

La condition des femmes est donc mise à mal à divers égards. Parmi ceux-ci il faut noter que le confinement menace un droit d’une extrême importance : celui de l’IVG (interruption volontaire de grossesse). Les centres de planning familial restent pour la plupart ouverts, cependant des mesures strictes ont été mises en place et le personnel médical vient à manquer. Des consultations sont reportées, ce qui a évidemment un impact sur les délais légaux à respecter dans le cadre d’un avortement. Certaines femmes risquent de se retrouver dans une situation désespérée. Il y a le stress de découvrir une grossesse non-désirée en cette période de crise, de ne pas savoir si on pourra se rendre ou non au planning, de devoir peut-être vivre ce moment seule, confinement oblige. Si le délai est dépassé, il est possible de procéder à l’IVG en Espagne ou aux Pays-Bas, oui, mais les frontières sont fermées… C’est pourquoi des associations et certains professionnels de la santé militent pour maintenir leurs activités en dépit de la pandémie : aucune femme ne devrait connaître cette détresse9. Les femmes sont en première ligne et sont en droit de se demander si le confinement pour tous engendrera une prise de conscience masculine et sociétale pour modifier la distribution des rôles de genre10.

Et après ?

Il est certain que cette période marquera l’histoire. Mais rien n’est moins sûr que l’humanité en ressortira grandie, en tirera une leçon. « La Terre n’en pouvait plus, c’était pour elle un moyen de se défendre. » « Il faut changer pour éviter que cela se reproduise », diront certains. La crise du Covid-19 est sensiblement liée à la crise du changement climatique, c’est même la vie en général qui est en crise. Toutefois, ce n’est pas la première fois que les actualités, ainsi que les études scientifiques, préviennent des dangers potentiels suite à l’impact de nos modes de vie sur l’écosystème, sur le monde entier. Pourtant, peu de changements ont été opérés. À petite échelle, des mentalités ont changé, le local est privilégié, nous avons assisté à des manifestations pour le climat, une politique zéro-déchet tente de prendre de l’ampleur… mais est-ce suffisant face aux immenses industries qui dévastent l’environnement et poussent sans cesse à une surconsommation ? Il faut du changement, oui, mais ce n’est pas uniquement aux minorités de se mobiliser. Alors que des individus appellent à la prise de conscience, la communauté scientifique s’arrache les cheveux : leurs avertissements ne datent pourtant pas d’hier. Alors pourquoi espérer une soudaine volonté politique d’en prendre la mesure ? La raison provient probablement du fait que la pandémie touche personnellement et véhicule de la peur. La fonte des glaces ou la disparation de certaines espèces animales paraissent moins concrètes que le risque de maladie. Lors d’une catastrophe naturelle à l’autre bout du monde, ici, l’on ne s’en préoccupe que très peu, au mieux éprouvons-nous une certaine empathie pour ceux qui vivent la catastrophe. « Ce n’est pas chez nous, qu’est-ce qu’on peut y faire ? » La différence, c’est que cette fois, il s’agit d’un phénomène mondial. Personne ne peut se retrancher derrière cet argument discutable. Tout le monde est concerné, tout le monde doit se mobiliser. Tout à coup, on s’aperçoit que des voyages au bout du monde ou l’achat de gadgets dernier cri ne sont pas si indispensables que ça. On se soucie de ses proches, des plus âgés et des plus jeunes ; l’acquisition d’un nouveau smartphone peut attendre. Pourtant, nos systèmes politiques actuels pourront-ils tolérer que l’achat d’un nouveau smartphone puisse attendre ? Pas si sûr. Cette crise affecte l’élément « sacré » de notre société : l’économie. Les gouvernements s’empressent, lorsqu’ils n’ont plus d’autre choix, de réagir pour endiguer la pandémie. C’est évidemment « essentiel », mais cela peut aussi laisser une certaine amertume. L’après-pandémie devra se marquer d’une très forte mobilisation des populations de sorte que ce soit vraiment de l’humain dont on se préoccupe, car il paraît angélique de tabler sur une soudaine prise de conscience politique. Il s’agira de forcer une réflexion sur les errements qui nous ont menés là.

Suite à la pandémie, les frontières se sont renforcées : les aéroports sont fermés, des dérogations de sortie sont imposées, etc. Qu’en sera-t-il lors de la fin du confinement ? Le phénomène de mondialisation va-t-il en subir les impacts ? Assisterons-nous à la naissance d’une nouvelle ère ? Une chose est sûre : le combat contre le Covid-19 sera terminé, celui contre les mauvaises habitudes ainsi que celui contre les gouvernements pro-rentabilité ne feront que commencer. Il sera peut-être difficile de retrouver l’accès à notre liberté, et à notre vie privée, les autorités conserveraient ce pouvoir gagné durant la crise, se protégeant derrière l’argument de cette fameuse pandémie. C’est à ce moment-là qu’il faudra être attentif à ne pas laisser un régime totalitaire s’installer insidieusement11. À coups d’« états d’urgence » et « pouvoirs spéciaux ».

Sur une note plus légère, la vision du travail est susceptible de changer. En effet, bon nombre d’employés ont recours au télétravail. Ce dernier, jusqu’ici peu valorisé, pourrait profiter du changement ambiant pour faire ses preuves. Il se pourrait que le télétravail gagne en réputation lors de l’après Covid-19. D’autres métiers, qui se sont révélés indispensables sur le terrain, comme les professionnels de la santé, les livreurs, les postiers, etc. seraient enfin reconnus à leur juste valeur.

Finalement cette pandémie nous rappelle ce qui est véritablement essentiel : l’autre, nos proches, notre famille et le temps passé ensemble. Et peut-être que cette importance prendra tout son sens lorsque le confinement sera levé, lorsque nous retournerons travailler, mais que nous n’oublierons pas notre entourage, que l’on adaptera nos horaires, que l’on participera aux tâches domestiques, etc. Et qui sait, nous nous arrêterons peut-être enfin de courir12.


Pour aller plus loin :

 

 

 

 

 

 


 

1. « Coronavirus en Chine : ces images de la Nasa montrent la chute spectaculaire de la pollution », 02/03/2020 : https://www.huffingtonpost.fr/ (consulté le 23/03/2020).
2. « Les touristes partis, les eaux de Venise retrouvent leur clarté », 19/03/2020 : https://www.parismatch.com/ (consulté le 23/03/2020).
3. « Coronavirus : la Chine interdit "complètement" le commerce et la consommation d’animaux sauvages », 24/02/2020 : https://www.lesoir.be/ (consulté le 30/03/2020).
4. HAINAUT Fl., « Confiné.e.s », 18/03/2020 : https://www.levif.be/ (consulté le 30/03/2020).
5. « Coronavirus. Des SDF verbalisés pour non-respect du confinement », 20/03/2020 : https://www.ouest-france.fr/ (consulté le 30/03/2020).
6. Voir leur site : https://lesgrandsvoisins.org/.
7. KNAEBEL R., « Face au coronavirus, les femmes davantage en première ligne que les hommes », 16/03/2020 : https://www.bastamag.net/ (consulté le 30/03/2020).
8. Pour aller plus loin, voir « Quand le confinement exacerbe les difficultés », analyse 2020-13 de Couples et Familles.
9. « Pourquoi le Covid-19 menace le droit à l'IVG », 30/03/2020 : https://cheekmagazine.fr/ (consulté le 31/03/2020).
10. FROIDEVAUX-METTERIE C., « Féminisme et confinement, du pire vers le meilleur ? », 24/03/2020 : https://www.liberation.fr/ (consulté le 31/03/2020).
11. Ploum, « Rien ne sera plus jamais comme avant », 16/03/2020 : https://ploum.net/ (consulté le 30/03/2020).
12. Analyse rédigée par Violette Soyez.

 

 

 

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