Analyse 2020-07

Peut-on être célibataire et heureux ? Dans nos mentalités, trouver « chaussure à son pied » fait partie d’un processus dit « normal », d’une étape cruciale pour progresser dans la vie. Est-ce vraiment le cas ?

D’après l’étude La vie hors couple, une vie hors norme ?, le nombre de célibataires a augmenté lors de ces 50 dernières années1. Les divorces sont devenus choses communes, se séparer n’est plus, pour la plupart, perçu comme une tragédie. Les personnes prennent leur temps, s’engagent plus tardivement qu’autrefois. Une personne sur cinq âgée de 26 à 65 ans est célibataire. Les célibataires sont nombreux, et pourtant, nous constatons toujours la persistance de la norme conjugale.

Affirmer son célibat est parfois même encore tabou. Surtout lorsque l’horloge biologique tourne : à l’approche des 30 ans, être seul peut être vécu comme un problème à régler. Nous nous devons de trouver notre « moitié », comme si nous n’étions pas entiers par nous-mêmes. Nous nous comparons à notre entourage qui, lui, est casé, a peut-être même déjà des enfants. Certes, chacun possède son rythme, ses envies, ses objectifs. Cependant, il est parfois difficile de savoir ce que l’on désire réellement entre toutes ces lignes de conduites que véhicule notre société. Si les personnes divorcées ne sont plus pointées du doigt comme par le passé, la norme conjugale continue de stigmatiser les célibataires. Ces injonctions sont principalement entretenues par les femmes de l’entourage de la personne célibataire, probablement parce qu’elles sont elles-mêmes investies d’un rôle social qui les place au centre de la famille2. Bien sûr, les hommes, en bons pères de famille, ont également leurs rôles à jouer dans ces injonctions.

Les messages sont contradictoires : il faut rentrer dans le moule, ne pas faire de vague, tout en privilégiant notre bonheur individuel. Nos représentations tendent à évoluer, des personnalités revendiquent une liberté de choix, comme par exemple Emma Watson, qui a décidé de se consacrer à sa carrière ainsi qu’aux causes féministes qui lui sont chères3. Les pressions sociales vont et viennent, que cela soit au sein des proches, de la famille, des amis ou des collègues. C’est à croire que chacun cherche à comprendre le pourquoi de ce qu’il semble considérer comme un manque, un déficit. Pourquoi ce célibat ? Les mots peuvent alors blesser, même si cette situation résulte d’un choix. « Quand est-ce que tu nous présentes quelqu’un ? » C’est la question classique, généralement émise par les parents proches. Comment expliquer qu’être célibataire n’est pas forcément quelque chose de subi ? Cela peut aussi représenter un mode de vie que l’on construit, comme on pourrait construire sa vie amoureuse. Seulement voilà, dans certaines familles, avoir un enfant qui reste célibataire est mal vécu (pas de mariage, pas de petits-enfants, etc.). L’entourage craint que le célibataire passe à côté de quelque chose, probablement, pense-t-il, à cause d’un souci d’ordre relationnel qu’il convient de solutionner au plus vite. Si bien que des personnes ayant fait ce choix parlent de coming out concernant le partage de cette volonté de rester célibataire.

Les célibataires à travers le monde

Cette idée de devoir « se caser » n’est pas propre à notre culture occidentale, elle est également présente en Orient. En Chine, dans certaines entreprises, cela va même plus loin : les employées, une fois l’âge de 30 ans atteint, bénéficient de ce qu’on pourrait appeler des « congés rencontres ». Le but est de permettre aux femmes de passer plus de temps dans leur village d’origine, afin de peut-être trouver l’amour. Car être encore célibataire à cet âge-là est injustement considéré comme un problème urgent à régler. En effet, une grande majorité d’hommes disent ne pas vouloir se marier avec des femmes âgées de plus de 27 ans. Ces dernières sont alors stigmatisées, perçues comme celles dont personne ne veut4.

Les célibataires deviendraient-ils une cible du marketing ? À Amsterdam est organisé un festival réservé aux célibataires : le Singles Walk Festival. Il s’agit d’un événement décrit comme sportif et festif, qui permettrait de rencontrer l’amour5. Au Canada, ce sont les supermarchés qui jouent aux entremetteurs. L’idée est d’afficher son statut amoureux sur son caddie. Le but : motiver les célibataires à sortir de chez eux et à trouver l’âme sœur, tout en venant consommer, bien sûr6. Il est encore possible d’aller plus loin, avec la Saint-Valentin des célibataires par exemple ! Connue sous le nom de Singles day, c’est le jour où les célibataires se consacrent entièrement à leur bien-être et bénéficient de réductions dans les magasins. Depuis, le 11 novembre est reconnu comme le moment où l’on se fait plaisir, mais aussi comme celui où il serait plus facile de rencontrer quelqu’un7.

Une question de choix

« Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants… » Nous ne sommes pas obligés de nous conformer à cet adage ! Nous pouvons remettre en question ce modèle établi. Ce n’est pas parce qu’une femme opte pour le célibat qu’elle va finir « vieille fille », entourée d’une dizaine de chats comme l’illustrent bien des caricatures. Elles sont fortement ancrées, ces normes de la femme au foyer, jouant à la perfection ses rôles de mère douce et attentive et d’épouse fidèle et aimante. On a beau se dire que la condition des femmes a évolué, la tradition constitue encore et toujours un frein. Cette image de couple parfait, dans une maison parfaite, avec des enfants parfaits, est représentée de façon exponentielle dans les fictions et les médias. On nous dicte ce qu’il faut posséder et/ou accomplir dans notre vie pour accéder au bonheur. Difficile de sortir de ces schémas. L’intérêt, c’est de comprendre que ce qui nous rend vraiment heureux diffère pour chacun. Tout le monde n’éprouve pas un épanouissement en formant un couple. En parler et partager ses idées, constitue une piste afin de déconstruire la stigmatisation que les personnes célibataires doivent subir. Il est même probable que les stéréotypes s’attaquent davantage aux femmes. Une femme célibataire est parfois jugée, or ce jugement risque d’être un facteur d’exclusion sociale. Nous avons déjà tous vu dans une œuvre, livre ou film, une femme d’âge mûr, esseulée et décrite comme la vieille fille, un peu folle, du village. Si ce n’est guère une affaire de jugement, les femmes sont alors plaintes, on les encourage gentiment à sortir, à, pourquoi pas, s’inscrire sur un site de rencontre, etc. Comme s’il s’agissait d’une anomalie, une période de chômage amoureux de laquelle il faut impérativement sortir avant qu’il ne soit trop tard. Trop tard pour quoi ? Pour avoir des enfants ? Pour avoir encore une chance de séduire ? Mais attention, si une femme célibataire sort, surfe sur des sites de rencontres et fréquente des hommes sans pour autant se mettre en couple, cela veut forcément dire qu’elle est désespérée ou pire, une fille facile. Si un homme célibataire faisait pareil, il serait décrit comme indépendant ou comme un Don Juan. Un homme qui fait le choix d’être célibataire est moins stigmatisé, il sera perçu comme quelqu’un qui privilégie sa carrière, par exemple. La représentation des célibataires a néanmoins quelque peu évolué au fil du temps, il n’est pas rare de les retrouver dans des films ou des séries où ils apparaissent épanouis, même si, bien souvent, ils finissent par se caser au bout du compte.

Les relations amoureuses n’apportent pas que du positif, certaines tournent mal et font souffrir, la séparation peut être éprouvante… tout cela fait que certaines personnes souhaitent rester célibataire durant un temps, voire pour toujours. Début 2019, un hashtag célébrait le fait d’être célibataire pour cette année nouvelle, un peu comme une bonne résolution : noman2019. Les femmes qui le partagent déclarent en avoir plus qu’assez de faire passer leur relation amoureuse avant leur propre bien-être. Cette année, elles s’aimeront elles-mêmes. L’objectif est d’apprendre à mieux se connaître et de se concentrer sur son épanouissement personnel.

Quand ce n’est pas un choix

Être célibataire est vécu différemment par chacun, et pour certains, c’est une situation difficile à vivre. D’autant plus si elle fait suite à une rupture. Certaines personnes se sentent épanouies en étant seules, d’autres pas. La différence à noter, c’est que célibat ne rime pas forcément avec solitude. En effet, nous pouvons profiter de notre cercle social, des amis, de la famille, etc. Alors que d’autres s’isolent suite à une rupture.

Lorsqu’une personne se retrouve célibataire suite au décès de son ou de sa partenaire, les pressions sociales sont d’autant plus mal vécues. Au deuil s’ajoute la crainte de la solitude. Pour les personnes mariées, se retrouver avec l’étiquette « veuve » ou « veuf » peut être ressenti comme insupportable. Certains, avec le temps, seront prêts à rencontrer quelqu’un, d’autres opteront pour le célibat. Se relancer dans une nouvelle relation implique des efforts, particulièrement émotionnels. L’âge est un facteur qui a son importance, une personne dynamique aura tendance à faire plus facilement des rencontres qu’une personne en perte d’autonomie suite à un âge avancé par exemple.

Tout le monde ne passe pas forcément du statut « en couple » à celui de « célibataire », certaines personnes ne se sont jamais casées. Un célibat de longue durée peut présenter des avantages, comme le sentiment de liberté ou un certain confort par exemple, mais il peut aussi être difficile à vivre. Des célibataires endurcis peuvent se sentir malchanceux de ne pas trouver la bonne personne avec qui partager leur vie. L’estime de soi en est parfois rudement affectée. « C’est peut-être parce que je ne suis pas assez ceci ou que je suis trop cela. » Dans d’autres cas, c’est la vie professionnelle qui ne laisse pas de place aux rencontres amoureuses. Sans oublier que s’engager dans une relation, cela équivaut à prendre un risque : le risque de s’attacher, de potentiellement vivre une déception, le risque de devoir changer son quotidien, de s’adapter à l’autre. Sortir de sa zone de confort n’est pas donné à tout le monde.

Il existe une multitude de raisons qui font qu’une personne est célibataire ou non. Pour quelques hommes, ces raisons résultent d’un rapport conflictuel avec les femmes. Ils se font appeler les incels8 et partagent une vision masculiniste. Ils ont perdu l’espoir d’un jour rencontrer l’amour et vouent par conséquent une haine envers la gent féminine. Il s’agit bien d’une forme d’extrémisme.

Une souffrance peut résulter du célibat, notamment lorsque la personne dispose d’un entourage composé de couples. Parfois, les célibataires vont jusqu’à éviter les sorties ou certaines activités par crainte d’être vus seuls et de risquer la stigmatisation. Il arrive aussi que les couples et les célibataires s’éloignent, consciemment ou non, pour former avec d’autres des groupes homogènes. Le sentiment d’être isolé suite à une rupture va en grandissant avec l’âge. Retrouver une vie sociale épanouissante peut sembler impossible lorsque la séparation est douloureuse, on perd ses repères. Ce n’est bien évidemment pas une fatalité. Lorsque la page se tourne, c’est un renouveau qui se dessine.

Chacun vit sa séparation et/ou son célibat à sa manière. Quel que soit son projet de vie en matière d’amour, chacun devrait pouvoir le vivre sans crainte d’être jugé par son entourage. Être célibataire présente pour certains des avantages comme des inconvénients, il en va de même pour les couples. Il n’y a pas de situation plus idéale que d’autre, si ce n’est celle dans laquelle on se sent bien9.

 

 

 

 

 


 

1. BERGSTRÖM M., COURTEL F, et VIVIER G., « La vie hors couple, une vie hors norme ? Expériences du célibat dans la France contemporaine », Population, 2019.
2. Ibid.
3. « Célibataire, Emma Watson n’a pas besoin d’un homme dans sa vie », 07/11/19 : https://www.cinenews.be/ (consulté le 12/11/19).
4. LEVENSON C., « En Chine, des employées célibataires bénéficient de "congés rencontres" », 24/01/19 : http://www.slate.fr/ (consulté le 12/11/19).
5. CUVELIER Gw., « Un festival réservé aux célibataires est organisé à Amsterdam », 03/09/19 : https://www.flair.be/ (consulté l 12/11/19).
6. CUVELIER Gw., « Au Canada, ces caddies pour célibataires vous aident à trouver l’amour au supermarché », 27/03/19 : https://www.flair.be/ (consulté le 19/11/19).
7. VLIEX L., « Le 11 novembre est la Saint-Valentin des célibataires » 11/11/18 : https://www.flair.be/ (consulté le 19/11/19).
8. Contraction des mots « involuntary celibate » soit « célibataire involontaire ».
9. Analyse rédigée par Violette Soyez.





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