Analyse 2020-06

Nous nous sommes déjà tous demandé si l’amour avec un grand « A » existe. Si l’amour, ça se passe comme dans les livres ou dans les films. Rencontrer son âme sœur ou sa moitié, semble être le but ultime à atteindre pour accéder au bonheur. Alors nous sommes en attente, nous cherchons les signes qui pourraient nous prouver que, oui, nous vivons une véritable histoire d’amour. L’écrivain et poète français Simon de Bignicourt disait : « Tout bon cœur cherche en ce monde son âme sœur. » Dans notre société actuelle, est-ce que l’amour inconditionnel trouve encore sa place ? Comment le concept de l’amour a-t-il évolué ? Peut-on dire que l’âme sœur existe, ou est-ce une illusion, un idéal ? Et si, en fin de compte, nous avions plusieurs âmes sœurs ?

L’exclusivité et l’unicité apparaissent comme des caractéristiques spécifiques de l’amour1. Généralement on parle du grand amour, de son âme sœur. C’est toujours au singulier. On le doit au traditionnel mythe (ce n’est pas pour autant qu’il s’agit de fausses croyances) de l’amour aveugle, où nos sentiments sont dictés par le destin. « Les représentations romantiques sont surtout des mythes dans le sens où ce sont des récits permettant d’asseoir la légitimité d’une pratique sociale, ici la conjugalité dans sa forme contemporaine et occidentale. »2 L’amour est passion, il s’impose à nous. Pour beaucoup de personnes, on ne choisit pas de qui on tombe amoureux. Est-ce vraiment le cas ? Une part biologique a peut-être un rôle à jouer, comme des scientifiques le prétendent en mettant en lumière l’impact des phéromones et autres molécules de l’amour. Lorsque l’on ressent de la tendresse envers quelqu’un, douze zones de notre cerveau sont en éveil3.

Existe-t-il vraiment une personne faite pour nous, une seule et unique dans le monde entier ? Si c’est le cas, comment être certain qu’il s’agisse bel et bien de l’élue ou de l’élu, qu’on ne fasse pas erreur ? Statistiquement, une telle chose paraît improbable. De plus, si une seule personne au monde nous convenait, bonjour la pression ! Dire que les sentiments amoureux sont beaux et font partie de la vie, on ne peut le nier. Mais attention à la survalorisation du mot « amour ». L’amour n’apporte pas obligatoirement le bonheur, ce n’est pas la recette miracle aux épreuves de la vie. Rêve et réalité ne se rejoignent pas toujours. Nos attentes personnelles sont souvent très importantes. Ces mêmes attentes peuvent entrer en conflit avec le concret. Sans compter que des expériences amoureuses ou idéalisées peuvent avoir un impact négatif, qu’elles soient vécues personnellement ou par l’entourage.

Les notions de couple, d’engagement ou encore d’amour sont en perpétuelle évolution. Les normes sociales sont parfois mises à rude épreuve, d’autant que des valeurs individualistes y ajoutent leur grain de sel. Un exemple : deux personnes sont ensemble, vivent une relation épanouie et font preuve d’engagement. Ces deux personnes annoncent ensuite que oui, elles sont en couple, mais ne vivent pas sous le même toit et ce, par choix. Une « nouvelle forme de couple » émerge : living apart together, ou le couple non cohabitant4. « Je t’apprécie, mais je tiens à préserver mon confort en restant habiter chez moi et en préservant mon espace personnel. » Bien sûr, ce choix particulier est encore peu opéré par les couples, il reste conceptuel et novateur. Néanmoins, cela confirme bien que nos conceptions du modèle conjugal évoluent constamment. Alors que la distance peut affecter négativement certains, d’autres la privilégient. Est-ce là le signe d’un éventuel sentiment d’insécurité ou de doute concernant son couple ? Rien n’est moins sûr. Ne pas partager l’entièreté de son quotidien avec quelqu’un permettrait d’éviter d’entrer dans une routine, que beaucoup craignent. Ainsi, on ne vivrait que les bons côtés de son couple. Chacun poursuivrait ses activités sans avoir à en rendre compte. Toutefois cela insinue une vision du couple « traditionnel » qui pose question. Vivre ensemble ne rime pas forcément avec contrôle et absence de liberté. L’épanouissement à deux, le plaisir de construire des projets ensemble, sont bien évidemment possibles. Cela demande parfois des compromis et des efforts. Entretenir une relation requiert un certain investissement. Les couples non cohabitants seraient-ils moins enclins à s’investir ? Est-ce que l’idée de s’engager les repousse ? Ou au contraire, s’investissent-ils davantage dans le moment présent, se consacrent l’un à l’autre pour des instants de qualités ? Une chose est certaine : ce concept récent suscite bien des questions. Comme l’explique Mathilde Olivier, sociologue : « Aujourd’hui, la liberté des individus est beaucoup plus grande, les frontières du couple plus floues. »5

À la recherche de l’âme sœur… aussi sur internet

Avec la « magie » des réseaux sociaux, rencontrer une multitude de personnes en ligne est on ne peut plus simple. À l’aide de critères de sélection, nombreux sont ceux qui s’essaient à la recherche du partenaire idéal, afin d’entretenir une relation idéale (belle, sérieuse, stable et peu compliquée). L’autre devient-il alors objet ? Interchangeable ? Peut-on établir un parallèle avec notre société de consommation de laquelle la personne constituerait alors un autre objet ? Que cherchent les utilisateurs d’applications de rencontres ? À multiplier les conquêtes ? Selon une étude, 80 % des adhérents de Tinder, la célèbre application de rencontres, espèrent trouver le grand amour et s’engager dans une relation sérieuse6. Pourtant, nombreuses ont été les critiques destinées aux sites et applications de ce type : ils mettent le véritable amour, le vrai, en danger. Ils seraient même néfastes pour les utilisateurs et seraient responsables de l’augmentation du nombre de maladies sexuellement transmissibles. Car plus on change de partenaire fréquemment, plus on s’expose aux risques. Mais aucune étude probante ne prouve ce lien de corrélation7. Le véritable problème concerne la prévention et l’usage du préservatif. Trouver le grand amour, n’est-ce pas finalement être considéré par l’autre comme performant ? Le célibat est encore aujourd’hui vu comme une carence à combler. Et c’est parfois suite à ce constat que des personnes s’affilient à des sites de rencontres, se sentant comme obligées de correspondre aux normes.

Certes, internet a modifié notre rapport aux rencontres, mais non, l’amour n’est pas mort : « Bien des célibataires internautes semblent garder l’intuition qu’une personne unique est là, tapie juste derrière l’écran, et que grâce à la Machine, plus encore qu’avec l’aide du Destin, ils seront mis en contact, miraculeusement. »8 En fait, cette ère de révolution n’apporte pas autant de changement dans les mentalités, comme on aurait tendance à le croire…

Au revoir le prince charmant ?

Le prince charmant sur son beau cheval blanc, pour certaines, n’est plus qu’un mythe, et ce n’est pas un drame d’ailleurs. Pour d’autres, il faut encore y croire ! Oui, on recherche le partenaire idéal, mais dans une certaine mesure. Une femme n’a pas forcément besoin d’un homme pour être heureuse et s’épanouir, mais ça n’empêche pas non plus de rêver du grand amour ! La princesse n’attend plus le prince charmant, prisonnière au sommet d’une tour, elle vit sa vie, indépendante. Et non, elle n’est pas malheureuse pour autant. Elle peut rencontrer son âme sœur en étant elle-même. Nos attentes sont parfois bien différentes de celles que véhiculent les contes de fée. Personne n’est parfait, nous le savons bien. Parfois, c’est justement les imperfections de l’autre qui nous séduisent.

Et le coup de foudre, existe-t-il ? Tout dépend bien sûr de ce qu’on qualifie de « coup de foudre ». Il est possible de ressentir une attirance pour quelqu’un que l’on connait peu. L’image que l’on se fait de cette personne nous plait. Reste à savoir si cette image correspond à la réalité…  L’amour se construit avec le temps, contrairement au coup de foudre. Toujours est-il qu’il est vu comme le moyen de rencontre par excellence. La société nous nourrit d’histoires romancées et idéalisées, avec les princesses Disney par exemple, mais cela s’étend jusqu’aux films hollywoodiens et aux séries. En effet, le romantisme à l’état pur a opéré comme modèle de référence pendant longtemps, même s’il est maintenant relativisé, et donc en déclin. Les aspirants à l’amour se retrouvent alors coincés entre des références « vieux jeu » et des références modernes, mais incertaines9. Malgré tout, on peut bien sûr s’autoriser à rêver. L’idéal, finalement, ne serait-ce pas un juste milieu ? Y croire, tout en conservant une part de réalisme ? Le mieux serait peut-être de prendre l’amour comme il vient, d’accepter nos différences mutuelles et d’en faire une force. Chacun et chacune a sa propre définition de l’amour, alors parlons-en, échangeons et partageons10.

 

 

 

 

 


 

1. BERGSTRÖM M., « La loi du supermarché ? Site de rencontres et représentations de l’amour », Ethnologie française, 2013/3, 43, p. 433-442 : https://www.cairn.info/ (consulté le 22/10/19).
2. Ibid.
3. FENSTER A., « Les molécules de l’amour », 16/02/11 : https://www.sciencepresse.qc.ca/ (consulté le 22/10/19).
4. LEPORTOIS D., « Les couples non cohabitants, l’amour chacun chez soi », 11/05/17 : http://www.slate.fr/ (consulté le 22/10/19).
5. OLIVIER M., L’engagement dans la relation de couple chez les 25-35 ans, thèse de doctorat présentée à l’école doctorale de Mont-Saint-Aignan, 2014.
6. PANFILI R., « 80% des utilisateurs Tinder rechercheraient une relation longue », 5/11/15 : http://www.slate.fr/ (consulté le 22/10/19).
7. VINOGRADOFF L., « Les applications de rencontres accélèrent-elles la propagation des MST ? », 03/11/15 : https://www.lemonde.fr/ (consulté le 22/10/19).
8. LARDELLIER P., Écran, mon bel écran…, CNRS, 2010.
9. MARQUET J., Les chats et les souris font-ils bon ménage ?, Academia-Bruylant, 2010.
10. Analyse rédigée par Violette Soyez.




Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants