Analyse 2019-27

Être parents suscite, évidemment, beaucoup de questionnements. Mais s’il y a bien des interrogations qui reviennent sans cesse, ce sont celles qui concernent l’éducation affective et sexuelle de nos enfants.

Comment en parler ? Et surtout : quand ? À partir de quel âge peut-on aborder le sujet ? Que répondre face à une question embarrassante ?

À la maison

Il est conseillé de parler de l’amour et de la sexualité, oui, et aussi de s’y prendre tôt [1]. C’est plus facile à dire qu’à faire. Évidemment, il ne s’agit pas d’expliquer aux tout petits « comment on fait les bébés » dans les détails. Cela peut commencer par sensibiliser l’enfant à la prise de conscience de son corps, qu’il lui appartient et qu’il lui faut le respecter. Tout comme il faut respecter la bulle des autres. Ou encore, il s’agit de favoriser l’expression des émotions. Savoir dire à quelqu’un « J’aime bien quand tu me touches la main » ou « Je n’aime pas quand tu fais ça », c’est déjà apprendre des notions de la vie affective et sexuelle.

Quand un enfant nous pose une question, nous pouvons y répondre, avec un langage adapté, afin qu’il nous comprenne. Éluder les interrogations n’est pas une solution viable sur le long terme. Il est conseillé d’employer les « vrais » mots (pénis, vagin, etc.). Cela aide l’enfant à mieux connaître son corps, tout en évitant des tabous qui n’ont pas lieu d’être. Tout cela bien sûr en respectant ses propres limites : si nous sommes vraiment mal à l’aise avec le sujet et que cela nous devient trop pénible de l’aborder, il peut être rassurant de savoir que l’école a, elle aussi, un rôle à jouer dans l’éducation sexuelle des enfants.

Dédramatiser, c’est également une clé pour aborder le thème de la sexualité. Pour les parents aussi, c’est un apprentissage. Bon nombre de parents s’inquiètent, par exemple, lorsqu’un enfant explore son intimité, se demandent si c’est un comportement normal. Oui, c’est normal ! Ce n’est en rien quelque chose de sale ou de honteux. L’important est simplement de faire comprendre que ces découvertes doivent rester intimes, dans la sphère du privé, et ne pas s’exposer aux yeux de tous. Et surtout, afin d’annihiler toute source de stress ou de mal être, éviter de tenir des propos qui pourraient culpabiliser l’enfant de sa saine et utile curiosité.

« Comment on fait les bébés ? » Cette question figure parmi les grands classiques. Pour l’enfant, elle peut également en évoquer d’autres, comme de demander d’où il vient, de savoir s’il y aura un autre bébé, etc. Que répondre à ça ? Pour commencer, pourquoi ne pas expliquer qu’il faut une femme et un homme ? Sortir du schéma « un papa et une maman » semble adéquat car un papa et un papa ou une maman et une maman, ça existe, bien sûr ! On parle d’amour, de câlins, de la fameuse « petite graine ». Par contre, évoquer la cigogne, le chou ou la rose est déconseillé par certains psychologues [2]. En effet, la découverte de la réalité risque alors d’être brutale, d’autant plus si l’enfant l’apprend par ses pairs. En prenant le temps, il n’y a pas besoin d’inonder les enfants d’informations superflues. Il s’agit d’un élément important : respecter le temps de l’enfant, lui fournir les informations quand il est en mesure de les intégrer. Une fois la petite enfance terminée, des questions plus précises peuvent être posées. Parfois, il est nécessaire de rappeler qu’il est encore un peu trop tôt, que c’est quelque chose qui concerne les adultes. C’est la stratégie de certains parents lorsque par exemple, un enfant est exposé à une publicité explicite. C’est le film du soir et, soudain, apparaît une annonce pour les préservatifs. Voilà que l’enfant s’interroge. Il n’est pas obligatoire de répondre à chaque question, cela dépend si l’enfant est prêt à entendre la réponse ou non. Il ne s’agit pas d’éluder la question mais de lui expliquer qu’il obtiendra des réponses plus tard. Chaque enfant est unique et apprivoise la thématique de la sexualité à son propre rythme. Ici, dans le cas du préservatif, tout dépend de si l’éducation à l’amour et à la sexualité a déjà commencé. Débuter, avant toute chose, par l’usage du préservatif n’est peut-être pas l’idéal. En reparler plus tard est tout à fait possible, après y avoir réfléchi au calme. Une piste est de retourner la question à l’enfant, ainsi, il est plus aisé de savoir ce qu’il connait déjà et ce qu’il attend de nous.

Et s’il ne pose pas de questions ? Attendre, tout simplement : chacun progresse à sa manière et à son rythme, la période charnière de la pré-puberté amènera quoi qu’il arrive son lot de questionnements. Il est inutile de vouloir brusquer les choses.

À l’école

Parler de sexualité et d’amour, ça se passe aussi à l’école. Et c’est l’ÉVRAS (Éducation à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle) qui s’en charge [3]. Des animations, dispensées par les plannings familiaux, sont organisées au sein des lieux scolaires. Elles traitent des émotions, de la vie en société, des droits, du plaisir et de bien des choses encore. Les sujets abordés sont adaptés selon les groupes d’âge : les petits (3 à 8 ans), les moyens (9 à 12 ans) et les grands (13 à 17 ans). Le but : que chacun puisse s’exprimer, ainsi que rassurer en présentant les solutions possibles face aux difficultés susceptibles d’apparaître un jour. On apprend à écouter et à faire preuve de respect, de bienveillance. Les limites ? Le manque de moyens qui fait que seules deux petites heures par an peuvent être consacrées aux classes. Et encore, sur papier, toutes les écoles devraient en bénéficier, mais ce n’est pas le cas. Des inégalités selon les établissements sont à noter. Afin de pallier ce manque de temps, l’idée de former d’autres professionnels émerge, cependant, la question des moyens financiers ressurgit. Le budget consacré à l’éducation, et plus particulièrement à l’ÉVRAS mériterait d’être élargi.

L’ÉVRAS a également un rôle à jouer en ce qui concerne la prévention et le vivre ensemble. En expliquant et en déconstruisant les stéréotypes, le respect et la tolérance sont ravivés. Le respect de la diversité sexuelle, la lutte contre l’homophobie et la promotion des rapports égalitaires sont mis en avant. L’importance de se respecter soi et de s’aimer tel que l’on est est encouragée via la promotion d’une image corporelle positive. Et enfin, ce qui est loin d’être négligeable, les associations et plannings préviennent la violence ainsi que le harcèlement et les agressions sexuelles. Ces thèmes sont abordés dès le primaire, avec un langage adapté aux enfants [4]. La solidarité et la bienveillance n’ont pas d’âge.

Pourquoi est-ce important d’en parler ?

Les échanges concernant l’amour et la sexualité sont essentiels pour l’épanouissement de l’enfant, d’autant plus dans une société telle que la nôtre où les images hypersexualisées sont omniprésentes : publicités, télévision mais aussi internet. Selon les études de Christophe Butstraen, auteur et médiateur scolaire, les enfants sont exposés à la pornographie de plus en plus tôt [5]. Dans la logique du « Il vaut mieux prévenir que guérir », l’auteur préconise aux parents d’amorcer la discussion, car même sans le vouloir, les enfants peuvent tomber sur des images compromettantes sur le net. Ce risque est d’autant plus grand si l’ordinateur est partagé par un grand frère ou une grande sœur, éventuellement susceptibles de consommer de la pornographie. Ce qui est néfaste pour l’enfant, c’est qu’il est confronté à quelque chose qu’il ne connait pas, il est donc incapable de faire la part des choses entre ce qu’il voit et la réalité. Il risque de considérer alors que c’est ainsi que les choses se passent, et pas autrement. Cela impacte son imaginaire mais aussi ses représentations. La pornographie véhicule généralement une image sexiste et stéréotypée de la femme, perçue comme un objet sexuel et rien de plus. Les jeunes filles se retrouvent donc face à des corps parfaitement épilés, minces, bronzés et plein d’artifices, ce qui peut les conduire à une perception erronée de leur propre corps, tandis que les garçons sont invités à la consommation pure et simple, sans souci de l’autre féminin. Ces films, pourtant si facilement accessibles, associent la sexualité à diverses formes de violence, où la notion de consentement est absente. L’enfant, s’il ne bénéficie pas par ailleurs d’une éducation affective et sexuelle adaptée, restera seul avec ces modèles explicites et erronés comme seule référence.

En tant que parents, il est difficile d’imaginer que les enfants puissent être confrontés à la pornographie si jeunes. Alors comment limiter les dégâts ? Ce n’est certes pas suffisant, mais il est possible d’intégrer aux appareils connectés un filtre parental, ou encore un logiciel de contrôle, empêchant dans une certaine mesure de tomber sur tout et n’importe quoi. Lorsqu’un enfant a accès à une tablette, un smartphone ou un appareil connecté du genre, autant le prévenir que s’il y voit quelque chose qu’il trouve bizarre, il peut toujours venir vers ses parents. L’important, c’est de ne pas gronder l’enfant, ne pas le culpabiliser, ce qui renforcerait d’autant plus son potentiel mal-être. Après tout, ces images ne lui étaient pas destinées. Il est plus sage de lui expliquer qu’il sera écouté et soutenu, encouragé à découvrir que la vraie vie, l’amour, ce n’est pas ça. C’est essentiel pour le vivre ensemble, pour le respect de soi et de l’autre. Même la santé physique peut être impactée car, encore aujourd’hui, dans la pornographie, l’usage du préservatif n’est que trop rare, et il est donc d’autant plus opportun de rappeler qu’il faut se protéger. L’idée n’est certes pas de diaboliser la pornographie, l’idée est de ne pas laisser seul et sans explication l’enfant pris au dépourvu.

Expliquer les changements qui peuvent survenir lors de la puberté, c’est important aussi. Ressentir son corps qui se métamorphose peut être traumatisant pour le jeune. Nous sommes parfois amenés à devoir en parler tôt. Ce n’est pas toujours facile, beaucoup de tabous demeurent dans notre société. Par exemple, parler menstruations relève bien souvent du défi pour les parents. « Demande à ta mère », oui mais maman peut, elle aussi, être embarrassée. La raison : ce phénomène naturel est encore aujourd’hui perçu comme quelque chose de honteux, voire de sale alors que bien sûr il n’en est rien [6]. Pourtant, laisser une jeune fille dans le doute n’est pas sans conséquence. Imaginez sa réaction lors de ses premières règles si elle n’a pas la moindre idée de ce que ça peut être ! Si cette tâche s’avère trop éprouvante, il est toujours possible de consulter le planning familial le plus proche.

Des supports pour le dire

Il est parfois bien plus facile d’expliquer et de se faire comprendre via des supports ludiques. En 2001, le héros de bande-dessinée, Titeuf, l’avait bien compris avec son guide destiné aux pré-ados [7]. Il comportait quelques lacunes mais partait de bonnes intentions et a connu un grand succès. Pour rester dans le monde de la bande-dessinée, pour les adolescents, il existe l’ouvrage Le vrai sexe de la vraie vie [8], qui montre comment les choses se passent en réalité, loin de la culture du porno ou des relations parfaites vues au cinéma. Ramdam [9], à mi-chemin entre un livre et un magazine, est non-genré et explore toutes ces questions qui surviennent lors de l’arrivée de l’adolescence (à partir de 11 ans). Pour les petits, le livre L’amour et les bébés [10], accompagne l’enfant dans ses questionnements avec un vocabulaire simple et précis. Aujourd’hui, il existe même des jeux de société où l’apprentissage de la sexualité est mis à l’honneur. Un nouveau jeu de cartes collaboratif (et inclusif) pour ados est d’ailleurs en préparation. Les notions de relations amoureuses, de genre et de consentement, sont abordées afin de répondre aux questions, qui ne sont pas toujours posées de vive voix. Ce jeu a été construit avec la participation d’adolescents et a déjà été testé. Le but est que des discussions s’en dégagent au fil de la partie. L’histoire du jeu revient à tenter de conquérir l’élu ou l’élue de son cœur. Mais attention, si la notion de consentement n’est pas respectée par un des joueurs : la partie est terminée ! [11] Dans la même veine, Sexploration [12], est une mallette composée de cinq jeux consacrés au sexe et aux sexualités. Destinés aux douze ans et plus, le contenu de ladite mallette aborde différentes thématiques comme les IST, la contraception, le consentement, la discrimination ou encore l’identité de genre. 

Internet n’est pas que le théâtre des images pornographiques et des fausses idées répandues sur la sexualité. Il existe des sites fiables, proposés par des plannings familiaux et des associations. Par exemple, le site Parlons-sexualités [13], propose d’aborder toutes les sexualités sans tabou et sans jugement. Tout en rappelant les essentiels : le respect, l’amour, le consentement, etc. Les questions de genre et de puberté sont également mises en lumière.

Encore en 2019, nous nous devons d’accompagner les enfants et les adolescents dans leur exploration de l’amour et de la sexualité. C’est un sujet délicat, mais en combinant l’apprentissage scolaire à un climat de confiance familial pour pouvoir en parler sereinement, il est possible de soutenir les jeunes [14]. Chaque enfant est différent, possède sa propre histoire et apprivoise ce domaine à son propre rythme. Chaque enfant mérite d’être épanoui et nous pouvons l’y aider. Après tout, nous aussi, avons été des enfants curieux [15].


 

 

 

 

 

[1] Le Ligueur des parents, « Sexualité : du touche-touche aux amours adolescentes », 27/05/15 : https://www.laligue.be/ (consulté le 15/10/19).
[2] Ibid.
[3] Fédération des centres de planning familial des FPS, « L’EVRAS, des informations complètes et pratiques pour mieux comprendre et appréhender cette thématique » : https://www.planningsfps.be/ (consulté le 15/10/19).
[4] Ibid.
[5] BUTSTRAEN C. et DE LABOURET A., Parlez du porno à vos enfants avant qu’Internet ne le fasse, 2019.
[6] Pour en savoir plus, voir « Les menstruations, du domaine privé au domaine public », analyse 2019-20 de Couples et Familles.
[7] ZEP, Titeuf : Le guide du zizi sexuel, 2001.
[8] CY, Le vrai sexe de la vraie vie, 2016.
[9] CHARDRONNET-SETTON S., RamDam (plusieurs tomes disponibles).
[10] GAROCHE C., L’amour et les bébés, 2010.
[11] Le jeu de société Séduq : https://www.seduq.fr/ (consulté le 05/11/19).
[12] ARBRUN C., « Sexploration, le jeu de société qui modernise l’éducation sexuelle », 14/10/19 : https://www.terrafemina.com/ (consulté le 28/120/19).
[13] https://www.parlons-sexualites.fr/
[14] Pour aller plus loin, voir Quelle éducation affective et sexuelle ?, dossier 109 des Nouvelles Feuilles Familiales, septembre 2014.
[15] Analyse rédigée par Violette Soyez.






 

 

 

 

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