Analyse 2019-18

« Payez pour frais de scolarité, F 15 000 » : voilà ce qui figure sur l’une des cartes « Chance » – si l’on peut dire – du Monopoly. Plus encore dans la réalité que dans le célèbre jeu, l’arrivée de cette facture peut susciter l’appréhension de celles et ceux qui doivent s’en acquitter. En ce début d’année scolaire, Couples et Familles se penche sur un sujet connu mais néanmoins interpellant : la (non-)gratuité de l’enseignement obligatoire. 

En Belgique, aller à l’école est devenu une obligation en 1914. D’abord de six à quatorze ans, la période d’instruction obligatoire s’est allongée progressivement et s’étend aujourd’hui jusqu’à dix-huit ans [1]. Rendre obligatoire l’école est une manière de garantir le droit à l’instruction, présent dans la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée en 1948 ainsi que dans la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989. Pour que la visée démocratique de l’obligation scolaire soit réellement rencontrée, l’école se doit d’être gratuite. L’article 24, paragraphe 3, de la Constitution belge, stipule : « L’accès à l’enseignement est gratuit jusqu’à la fin de l’obligation scolaire. » Aucun frais d’inscription ne peut donc être réclamé.

L’école est-elle pour autant gratuite ? Si c’était réellement le cas, pourquoi le Pacte pour un Enseignement d’excellence proposerait-il d’atteindre « progressivement la gratuité scolaire » [2] ? Garantir la gratuité de l’accès, est-ce suffisant pour rendre l’instruction démocratique ? Quelles sont les mesures à prendre et les pistes à suivre pour diminuer l'impact de la scolarité sur le budget des ménages ?

Une réalité bien différente de la gratuité

S’il n’existe pas de minerval pour l’enseignement fondamental et le secondaire, beaucoup d’autres frais doivent être pris en compte dans la scolarité des enfants. La fin des grandes vacances et le début du mois de septembre riment avec dépenses : cartable, plumier, classeurs et autres fournitures. En secondaire, de nombreux manuels, souvent très coûteux, figurent sur la liste de plusieurs cours. La prime scolaire qui accompagne le versement des allocations familiales au mois d’août et qui peut aller, en fonction de l’âge de l’enfant et d’autres facteurs (situation familiale, handicap, etc.), de 21,23 euros à 117,17 euros, allège à peine la charge financière que représente pour les parents la rentrée des classes [3].

Par ailleurs, des coûts « exceptionnels » surviennent ponctuellement durant l’année scolaire, que ce soit pour les sorties culturelles, les séjours pédagogiques ou encore les activités sportives. À cela, il faut encore ajouter les frais de garderie, concernant les nombreux parents qui ne sont pas en mesure de récupérer leur enfant directement après la sonnerie de fin de journée.

Face à toutes les dépenses précitées, certains parents éprouvent des difficultés financières. D’après une enquête de La Ligue des Familles réalisée en 2016-2017, 8% des parents seraient concernés. Dans environ un cas sur quatre (23%), ils se tournent vers leur famille pour recevoir de l’aide et assumer les frais scolaires. D’autres profitent des mécanismes de solidarité mis en place par leur établissement. Il n’empêche que le coût que représentent les sorties et les séjours reste le frein principal à la participation des enfants à ces activités [4].

Des dérives malheureuses

Le 20 août dernier, la Ligue des Familles a publié une nouvelle analyse sur les coûts scolaires, cette fois destinée à dénoncer les mauvaises pratiques des établissements ou du corps enseignant [5]. Parmi les exemples choisis pour illustrer son étude, la Ligue des Familles mentionne notamment l’humiliation des enfants dont les parents ne paient pas le « droit de chaise » (qui correspond en fait aux frais de garderie du temps de midi), mais également l’affichage public des noms d’enfants dont les parents n’ont pas réglé les factures scolaires. Dans le même ordre d’idées, certaines écoles se permettent de garder le journal de classe ou le bulletin de l’élève jusqu’à ce que ses parents se soient acquittés de leurs dettes. D’une part, ces pratiques s’apparentent à une forme de chantage : tant que l’argent dû n’est pas versé, l’enfant est stigmatisé ; d’autre part, elles reviennent à mêler ce dernier à des questions d’argent qui ne concernent que l’administration scolaire et les parents. D’ailleurs, la nouvelle réglementation en vigueur précise que « les élèves ne peuvent être impliqués ni dans le dialogue entre l’école et les parents au sujet des frais scolaires ni dans le processus de paiement » [6].

De plus, La Ligue des Familles dénonce les frais illégaux entraînés par les exigences de certains établissements. Par exemple, imposer l’achat de fourniture d’une marque bien spécifique ou facturer les photocopies dans l’enseignement primaire [7] sont des pratiques en principe interdites. Certaines écoles iraient même jusqu’à demander le versement d’un montant sur le compte d’une ASBL ou d’une amicale, ce qui, en somme, revient à réclamer un minerval détourné et va strictement à l’encontre de la Constitution [8]. 

Des efforts entrepris…

Cette rentrée voit néanmoins un progrès en ce qui concerne la gratuité scolaire. En effet, les petits qui rentreront en première maternelle ne devront s’équiper d’aucun marqueur, pot de colle ou encore paire de ciseaux, puisque l’ensemble du matériel sera distribué en classe. Seuls le cartable, le plumier (uniquement le contenant) et les vêtements de sport seront à charge des parents. Grâce à une subvention spéciale d’un montant de 60 euros par enfant, les fournitures scolaires, autrement dit « les matériels nécessaires à l’atteinte des compétences de base définies dans les socles de compétences », seront offertes, ainsi que certains frais d’activités ou de séjours pédagogiques, dont le montant maximal est, de toute manière, plafonné respectivement à 45 euros par an et à 100 euros pour l’ensemble des années maternelles [9]. Il convient de saluer cette première mesure, qui sera étendue en septembre 2020 aux écoliers de deuxième maternelle et l’année suivante à l’ensemble des classes préscolaires.

À côté des mesures décrétales, certaines écoles parviennent à réduire les coûts grâce à des moyens supplémentaires, comme des subsides communaux, mais aussi grâce à des efforts et des solutions créatives : caisses de solidarité, réduction des frais de garderie, échelonnement des paiements, déplacements en transports en commun plutôt qu’en car pour les sorties scolaires, activités rémunératrices telles que tombolas… [10] Sur ce dernier point, il s’agit d’être vigilant : il ne faudrait pas que l’initiative se transforme en une sollicitation détournée du portefeuille des parents, car ce sont souvent ces derniers qui finissent par acheter les billets de tombola ou par soutenir les marches parrainées de leurs enfants – et cela pose d’autant plus problème si les enfants sont astreints à un certain quota de vente.

Quant à l’enseignement supérieur, qui n’est certes pas obligatoire mais dont on peut questionner l’aspect démocratique, une nouvelle allocation apparaît lors de cette rentrée 2019 en plus des aides existantes (bourses, réduction du montant du minerval, logement universitaire à loyer modéré) : les étudiants qui habitent à plus d’une heure en voiture de leur lieu d’études (impérativement implanté en Wallonie) et qui se voient donc contraints de louer un kot, pourront introduire une demande pour recevoir une prime de 1000 euros de la part de la Région wallonne [11]. Cette mesure n’est pas parfaite, notamment car elle ne tient pas compte de la durée de trajet en transports en commun [12], mais elle a au moins le mérite de soulager un peu la charge financière que représente un étudiant pour ses parents.

… à poursuivre et à renforcer

Comment réduire encore les dépenses liées à l’école ? Cette question nécessite une réflexion plus globale sur nos habitudes de consommation. Comme dans tous les secteurs de la vente, le marketing crée en nous de faux besoins et nous pousse à acheter. Dans les rayons, on retrouve parmi les fournitures scolaires de nombreux gadgets, qui plaisent généralement beaucoup aux enfants. Peut-être serait-il judicieux, dans une optique qui concilie à la fois économies sur le budget et attitude écoresponsable, de résister à l’influence des modes et de privilégier qualité et durabilité. Le site de l’asbl Écoconso propose des « bons plans pour une rentrée scolaire moins chère et écologique », comme le réemploi, l’achat en seconde main, l’emprunt, la location, l’achat groupé… [13] De telles actions devraient être encouragées et mises en valeur par les écoles, par l’organisation de bourses d’échange ou de revente de fourniture en seconde main et/ou par la mise à disposition de matériel pédagogique en location. Des mesures de ce type ont déjà cours dans quelques établissements. 

En ce qui concerne les activités scolaires et les séjours à l’étranger, des alternatives moins onéreuses peuvent être envisagées. Sans supprimer ces sorties, qui sont l’occasion d’offrir à chaque enfant, sans distinction sociale et économique, la possibilité de découvrir, de rencontrer, d’apprendre et de développer sa connaissance du monde, il pourrait être intéressant de mener une réflexion sur le transport et la destination. Pourquoi ne pas rapprocher la destination d’un voyage lorsque cela est possible et que cela ne nuit pas aux objectifs pédagogiques ?

Au final, la gratuité de l’enseignement n’est pas un mythe ; elle constitue un objectif à atteindre. Et il semblerait que la rentrée 2019 inaugure le long chemin qui y mène. Parallèlement aux nouvelles réglementations communautaires et à leur stricte observance de la part des établissements, de nombreux efforts sont encore à fournir en matière de réduction des coûts scolaires (y compris des frais de garderie), pour que rien, et encore moins la situation financière de ses parents, ne puisse plus entraver la scolarité et le développement d’un enfant [14].

 

 

 

 

 

 

[1] 150 ans d’histoire de l’enseignement en Belgique francophone, mai 2014 : https://150ans.ligue-enseignement.be/ (consulté le 28/8/2019).
[2] GLINEUR M., « Tendre vers la gratuité scolaire, concrètement », Prof. Le magazine des professionnels de l’enseignement, 42, juin-juillet-août 2019, p. 8-9.
[3] WARLAND M., « La prime scolaire arrive sur votre compte demain : est-ce suffisant ? », 07/08/2019 : https://www.rtbf.be/ (consulté le 29/08/2019).
[4] BERTAND Fr. e. a., Le coût privé de l’élève en Fédération Wallonie-Bruxelles. Rapport d’enquête : année scolaire 2016-2017, juillet 2017, p. 4 : https://www.laligue.be/ (consulté le 28/08/2019).
[5] TIRMARCHE C., « Coûts scolaires : les mauvaises pratiques », Analyse de La Ligue des Familles, août 2019 : https://www.laligue.be/ (consulté le 21/08/2019).
[6] GLINEUR M., op. cit.
[7] Les frais de photocopies sont autorisés uniquement dans l’enseignement secondaire, pour un montant maximal de 75 euros.
[8] TIRMARCHE C., op. cit.
[9] GLINEUR M., op. cit.
[10] TIRMARCHE C., « Gratuité scolaire. Comment certaines écoles s'en sortent pour réduire les coûts ? », Analyse de La Ligue des Familles, août 2018 : https://www.laligue.be/ (consulté le 28/08/2019).
[11] « Une aide de 1000 euros pour les étudiants kotteurs », 31/01/2019 : https://gouvernement.wallonie.be/ (consulté le 29/08/2019).
[12] TOUSSAINT C., « Prime wallonne pour les kots : une mesure mal pensée ? », 05/02/2019 : https://www.rtbf.be/ (consulté le 29/08/2019).
[13] DE BONTE N., « Bons plans pour une rentrée scolaire moins chère et écologique », 22/08/2018 : https://www.ecoconso.be/ (consulté le 29/08/2019).
[14] Analyse rédigée par Sigrid Vannuffel.






 

 

 

 

Couples et Familles
Mise à jour :
La prime de 1000€ pour les étudiants kotteurs a été abandonnée par le nouveau gouvernement wallon. La mesure sera plutôt étudiée au niveau de la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais il n'y a aucune certitude autour de cette aide pour l'instant.

Source : "Prime de 1000 euros pour les koteurs wallons : mesure abandonnée, pas enterrée", 18/09/2019 : https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_prime-de-1000-euros-pour-les-koteurs-mesure-abandonnee-pas-enterree?id=10318296.

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