Analyse 2019-11

En octobre 2018, l’organisation mondiale de la santé (OMS), le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et ONU-Femmes ont déclaré qu’il était temps de mettre fin aux tests de virginité [1]. Ces trois organismes affirment que cette pratique est médicalement inutile et souvent douloureuse, humiliante et traumatisante. Plus largement, ils prônent l’élimination de la violence à l’égard des femmes et des filles partout dans le monde [2].

Suite à cette interpellation, le 16 février 2019, l’ordre national des médecins en Belgique a décidé de recommander aux professionnels de la santé de ne plus pratiquer ces tests [3]. Il souligne que cet acte médical est « inutile pour la santé, sans pertinence scientifique et lourd de conséquences potentielles sur le bien-être de la patiente » [4]. Si cette décision semble sans nul doute permettre une abolition de la prise de pouvoir des hommes sur la sexualité des femmes, elle ne fut pourtant pas accueillie à l’unanimité de la part des différents professionnels en charge de ces pratiques. Couples et Familles fait le point sur la question.

La Belgique concernée par ces tests de virginité ?

Bien que le test de virginité prénuptiale semble appartenir à une autre époque et ne plus concerner les habitants de la Belgique depuis longtemps, les chiffres semblent pourtant démontrer une toute autre réalité ! En 2007, le Groupement des Gynécologues Obstétriciens de Langue Française de Belgique (G.G.O.L.F.B) a réalisé une enquête auprès de ses membres à propos de la confrontation à des croyances ou demandes étrangères à notre culture dite occidentale. Seuls 32% des questionnaires ont été remplis et ont été analysables. Néanmoins, les réponses révèlent tout de même que cette année-là, 310 demandes de certificats de virginité et 238 demandes de réfection d’hymen ont eu lieu [5]. Le G.G.O.L.F.B souligne que ces chiffres sont à interpréter avec précaution puisqu’ils ne reflètent pas l’ensemble des données du territoire belge, d’une part parce que l’ensemble des praticiens francophones n’y ont pas répondu et d’autre part, parce que les professionnels néerlandophones et les généralistes travaillant en planning familial n’ont pas été consultés lors de cette enquête [6]. C’est pourquoi, il est fort à parier que ces chiffres soient bien plus élevés en réalité.

Une pratique des plus discriminantes

De nombreuses raisons justifient l’arrêt de ces tests de virginité.
Tout d’abord, il est indéniable que ces tests reflètent une réelle inégalité de genre. Face à une consigne culturelle commune, à savoir « être vierge jusqu’au mariage », comment se fait-il que ces dames soient soumises à une vérification de leur propre virginité alors que ces messieurs en sont exempts ? Comment se fait-il que la parole de l’homme qui affirme ne pas avoir eu de rapport sexuel ait plus de valeur et de poids que celle d’une femme adoptant les mêmes propos ? Cette question est d’autant plus interpellante que les médecins s’accordent à dire que ces tests de virginité ne reposent sur aucune base scientifique ni clinique et qu’aucun test ne peut prouver qu’une femme n’a eu des rapports sexuels, pas même en examinant l’état de son hymen [7]. « Certaines femmes naissent sans hymen, d’autres le perdent en faisant de l’équitation, de la gymnastique ou même en mettant un tampon. » [8] « Cette petite membrane située à l’entrée du vagin et dont la forme varie selon les personnes, peut se rompre lors d’une première pénétration ou être assez souple pour rester en place lors de ce rapport et des suivants. » [9] C’est incontestable, l’hymen ne prouve rien.

Ensuite, cette pratique renvoie également au fait que les femmes ne peuvent pas disposer de leur corps aussi librement que les hommes. Elles sont dépossédées de leur propre sexualité. Il est évident qu’elles sont au courant de leur activité sexuelle et que ce certificat de virginité est destiné à un tiers au regard évaluateur. Pratiquer ces tests de virginité, c’est faire étalement sur la place publique de ce qu’il y a de plus intime pour elles-mêmes. C’est d’une violence symbolique inouïe !

En plus d’une atteinte aux droits les plus fondamentaux de la femme, ces tests de virginité ont de lourdes conséquences sur de nombreuses femmes, tant aux niveaux physique et psychologique que social. Elles peuvent développer de l’anxiété, une dépression, ou encore, un stress post-traumatique à la suite de cette expérience. Et dans les cas les plus extrêmes, des femmes ou des filles tentent de se suicider ou sont tuées au nom de l’« honneur » [10]. En effet, dans certaines cultures, « l’honneur de la famille repose désormais et quasi exclusivement sur "l’honneur des filles" c’est-à-dire, leur virginité et leur soumission aux règles patriarcales… Pire encore, la virginité des filles semble devenir l’emblème de l’honneur et de la virilité des garçons et le défaut de virginité équivaut à l’impuissance masculine et au déshonneur » souligne la gynécologue Françoise Kruyen [11].

Face à de tels arguments, on ne peut que comprendre le souhait de l’ordre des médecins d’interdire la réalisation des tests de virginité. Plusieurs hôpitaux, plannings familiaux, gynécologues et médecins généralistes se sont déjà prononcés en faveur de cette recommandation, une position qui a réjoui notamment Christine Defraigne, ancienne présidente du Sénat, qui avait déjà préalablement déposé à deux reprises une proposition de loi dans le but d’interdire ces pratiques [12].

Un choix bien plus complexe qu’il n’y parait

De nombreux praticiens partagent les valeurs éthiques qui sous-tendent cette interdiction de tests de virginité, néanmoins ils rapportent que dans leur réalité professionnelle quotidienne cette décision reste discutable. « C’est une question qui n’a jamais été tranchée parce qu’il y a autant de bonnes raisons de justifier la délivrance de certificats de virginité (situation familiale, environnement social de la jeune fille/femme) que de bonnes raisons de s’y refuser (dignité et droits de la femme, concept même de la virginité qui pose question) » avance Aurélie Piessens, chargée de missions au sein de la Fédération laïque des centres de planning familial (FLCPF) [13].
Par égard pour ces femmes et dans une volonté d’apporter une réponse à la détresse qu’elles peuvent vivre, des professionnels ont refusé de suivre la décision émise par l’ordre des médecins. « On ne peut pas abandonner des jeunes filles qui se trouvent en grande détresse et subissent de fortes pressions familiales voire des menaces. Si on ne leur délivre pas l’attestation de virginité, cela peut avoir des conséquences très graves pour elles » soutient Jean-Philippe Hogge, assistant social au Planning Marolles [14]. Selon lui, l’interdiction de ces pratiques ne servirait à rien « car elles sont toujours bel et bien inscrites dans les mentalités » ajoute-t-il [15]. Le risque étant que ces femmes recourent à d’autres moyens plus complexes pour assurer leur virginité lors de la consommation du mariage. Elles pourraient par exemple se soumettre à une hyménoplastie ou se procurer des capsules de sang artificiel destinées à entretenir l’illusion de virginité [16].

Dès lors, que faire ?

Puisque le test de virginité ne peut en aucun cas déterminer si une personne a eu ou non des rapports sexuels, Couples et Familles soutient que l’existence même de ce test est à remettre en question dans le monde médical. Soutenir qu’un test médical permet de répondre à une telle visée, à savoir diagnostiquer si la personne est vierge ou non, n’est-ce pas entretenir un système de croyances des plus erroné ? Dès lors, n’est-ce pas de la responsabilité des médecins de ne pas perpétuer une telle mésinformation ?

Ensuite, en tant qu’association d’éducation permanente, Couples et Familles est d’avis qu’il est important de favoriser l’éducation aux questions d’égalité hommes/femmes et aux droits sexuels de chacun.

Les premières personnes à sensibiliser sont les femmes concernées par ces pressions d’ordre sexuel. Jean-Philippe Hogge propose « de discuter avec ces femmes pour tenter de les dissuader de reproduire ces pratiques avec leurs futurs enfants » [17]. Cette suggestion est d’autant plus pertinente qu’il semblerait que ce sont les femmes (mères, tantes…) qui sont garantes de l’application de cette tradition dans la famille et cela même si celle-ci joue en leur défaveur [18].

Les animations à l’EVRAS (éducation à la vie relationnelle affective et sexuelle) peuvent également être un puissant levier à actionner pour veiller à la déconstruction des stéréotypes concernant la virginité et la sexualité féminine. Ces animations peuvent avoir lieu en milieu scolaire et extrascolaire et toucher les garçons et les filles dès leur plus jeune âge.

Par ailleurs, la diffusion de documentaires tels que « Hymen National – Malaise dans l’islam » [19] réalisé par Jamel Mokni permet de lever le tabou au sujet de la sexualité féminine au sein de la communauté arabo-musulmane. Ce n’est qu’en sensibilisant les personnes à la souffrance de ces femmes et en interrogeant les hommes sur leurs propres croyances que les mentalités pourront évoluer vers un plus grand respect des droits individuels de l’homme et de la femme.

En conclusion, bien que l’interdiction des tests de virginité semble être une réelle avancée en termes d’émancipation de la femme, il n’en demeure pas moins que cette décision n’est pourtant pas garante de moins de violence à l’encontre des femmes et de leur sexualité dans certaines cultures. C’est pourquoi, il est essentiel de soutenir les associations qui luttent pour l’application des droits des femmes et de favoriser une éducation égalitaire au sein des familles et de l’école [20].



 

 

 

[1] Sexual and reproductive health. In : https://www.who.int/. Consulté le 18 juin 2019.
[2] Plusieurs organismes des Nations Unies appellent à l’interdiction des tests de virginité. In : https://www.who.int/. Consulté le 18 juin 2019.
[3] Tests et certificats de virginité. In : https://www.ordomedic.be/. Consulté le 18 juin 2019.
[4] L’ordre des médecins recommande de ne plus délivrer d’attestation de virginité en Belgique. In : http://www.vivreici.be/. Consulté le 18 juin 2019.
[5] Éthique et pratique de gynécologue. In : https://www.cesep.be/. Consulté le 18 juin 2019.
[6] Ibid.
[7] Sexual and reproductive health. In : https://www.who.int/. Consulté le 18 juin 2019.
[8] L’hyménoplastie, une seconde virginité. In : https://www.lemonde.fr/. Consulté le 18 juin 2019.
[9] Le fantasme masculin de la virginité continue de peser sur la vie des femmes. In : http://www.slate.fr/. Consulté le 18 juin 2019.
[10] Plusieurs organismes des Nations Unies appellent à l’interdiction des tests de virginité. In : https://www.who.int/. Consulté le 18 juin 2019.
[11] Éthique et pratique de gynécologue. In : https://www.cesep.be/. Consulté le 18 juin 2019.
[12] DESORBAY, Caroline. « L’interdiction de l’ordre des médecins divise », Vers l’avenir, mardi 26 février 2019, p.5.
[13] Ibid.
[14] Ibid.
[15] Ibid.
[16] Au Maroc, la virginité à tout prix : « Ils veulent du sang alors on leur en donne ». In : https://www.lemonde.fr/. Consulté le 18 juin 2019.
[17] DESORBAY, Caroline. Op. cit.
[18] Éthique et pratique de gynécologue. In : https://www.cesep.be/. Consulté le 18 juin 2019.
[19] Hymen national – Malaise dans l’islam. In : http://www.film-documentaire.fr/. Consulté le 18 juin 2019.
[20] Analyse rédigée par Aurelie Degoedt.

 

 

 

 

Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants