Analyse 2018-24

En Pennsylvanie, en Australie, aux Pays-Bas et ailleurs, des affaires d’abus sexuels commis par des prêtres ou des religieux catholiques ont été révélées coup sur coup ces derniers mois. Que penser de cette multiplication des affaires et du silence qui les a si longtemps couvertes ?

La Belgique a connu, début des années 2010, des affaires de pédophilie impliquant des prêtres ou religieux de l’Eglise catholique. Une commission a été mise sur pied pour recueillir les plaintes et témoignages des personnes abusées et la procédure s’est finalement poursuivie par une instruction des différents dossiers et l’indemnisation des victimes. Mais ces derniers mois, les choses semblent s’emballer au niveau mondial et plusieurs affaires faisant état d’abus sexuels de la part de prêtres ou de religieux de l’Eglise catholique ont été révélées en différents lieux du monde.

Un peu partout dans le monde

En août 2018, en Pennsylvanie, une enquête conduit à la dénonciation d’abus perpétrés par plus de 300 prêtres. Au moins 1000 enfants en ont été victimes, dont certains avaient moins de 10 ans. L’Eglise catholique a couvert ces abuseurs et il semble même que le Vatican avait connaissance de ces abus.

Au Chili, 80 membres du clergé ont été impliqués dans des affaires d’abus. Après un voyage dans ce pays début 2018, le pape François a envoyé un représentant pour enquêter. Il y a découvert de graves négligences dans la protection des enfants de la part d’évêques et de responsables religieux, qui n’ont pas effectué certaines enquêtes et auraient même détruit des documents compromettants. Cela a amené l’ensemble des évêques chiliens à démissionner collectivement en mai 2018.

En Australie, une commission royale chargée d’enquêter sur l’attitude de toutes les institutions en contact avec des mineurs a été constituée en 2012. La commission a enregistré les témoignages de près de 17 000 victimes et entendu directement près de 8 000 d’entre elles. Elle a comptabilisé 3 489 institutions concernées par des abus. Les agressions ont eu lieu dans des institutions religieuses pour 58,1 % des victimes et dans des institutions publiques pour 32,5 %. Parmi ceux qui ont subi des violences sexuelles dans une institution religieuse, 61,4 % citaient une institution catholique (environ un quart des Australiens sont catholiques), soit 35,7 % des personnes qui avaient témoigné. L’âge moyen des victimes au premier abus était de 10,4 ans pour les hommes (63,6 % du total) et de 9,7 ans pour les femmes. La commission a déterminé qu’entre 1950 et 2010, 7 % des prêtres ont été accusés d’actes pédophiles, cette proportion s’élevant à 15 % dans certains diocèses. Il s’est écoulé en moyenne trente-trois ans entre les faits et leur signalement par les victimes. Par ailleurs, l’archevêque australien Philip Edward Wilson a démissionné en 2018 après avoir été condamné à un an de prison pour avoir couvert des actes de pédophilie.

En France, Mgr André Fort, ancien évêque d’Orléans, est mis en examen en 2017 pour n’avoir pas dénoncé des faits d’attouchements sexuels sur mineurs commis par un prêtre de son diocèse, Pierre de Castelet. Lors du procès du 30 octobre 2018, une peine de prison ferme de 1 an de prison a été requise pour non dénonciation. Le prêtre Pierre de Castelet était lui poursuivi pour les faits d’abus. Le jugement a été mis en délibéré au 22 novembre. Cela incite certains parlementaires français à demander en septembre 2018 la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les faits de pédophilie dans l’Eglise catholique française. Mais cette demande sera finalement jugée irrecevable par une majorité de sénateurs.

Fin septembre 2018, la conférence épiscopale allemande a présenté un document accablant commandé par l'Eglise il y a quatre ans, portant sur la période 1946-2014. Son président Reinhard Marx a déjà exprimé la "honte" de son institution. Le document fait état d'au moins 3.677 victimes, en majorité des garçons âgés de moins de 13 ans, qui ont été les proies de quelque 1.670 membres du clergé. Selon les auteurs de l'étude, l'Eglise a aussi « détruit ou manipulé » systématiquement pendant des décennies de nombreux documents relatifs à des suspects et minimisé sciemment la gravité des faits.

Aux Pays-Bas, plus de la moitié des évêques et cardinaux actifs entre 1945 et 2010 ont eu connaissance d’agressions sexuelles commises au sein de l’Eglise catholique néerlandaise, a révélé, samedi 15 septembre, le quotidien de référence NRC. « Vingt des trente-neuf cardinaux, évêques et évêques auxiliaires néerlandais ont été impliqués dans des affaires d’abus dans l’Eglise catholique entre 1945 et 2010 », affirme le NRC. « Quatre d’entre eux ont abusé d’enfants et seize autres ont permis le transfert de prêtres pédophiles susceptibles de faire de nouvelles victimes dans d’autres paroisses », poursuit le journal.

Que penser de toutes ces affaires ?

Le nombre d’affaires d’abus par des prêtres ou religieux catholiques qui ont éclaté en différents lieux du globe pose question. Lorsque l’on entend par exemple que 15% du clergé de certains diocèses australiens seraient concernés par de tels abus, il n’est plus possible de considérer qu’il s’agit de quelques brebis galeuses. La proportion de déviants est nettement plus élevée parmi cette population spécifique. Qu’est-ce qui peut expliquer ce phénomène ?
Certains pensent immédiatement au célibat imposé aux prêtres. Mais ne pas respecter l’abstinence sexuelle ne pousse pas nécessairement les personnes vers des enfants ou des jeunes. Dans le livre « Pédophilie. Prévenir pour ne pas avoir à guérir » [1], la psychanalyste Yvonne Rousseau avançait une autre explication. Selon elle, ce ne serait pas le célibat qui pousse vers la pédophilie, mais un blocage dans la maturation affective et sexuelle qui pousse certaines personnes vers le célibat. Et ce blocage de l’évolution incite également à une pratique sexuelle infantile. Cet état de fait serait selon elle provoqué par une éducation pudibonde qui impose le tabou sur les questions sexuelles et qui réprime la découverte du corps et de la sexualité. Cette vision n’est certes qu’un point de vue sur cette déviance sexuelle, mais elle présente au moins le mérite de faire le lien avec un discours de l’Eglise qui a souvent été de méfiance et de déconsidération vis-à-vis de la sexualité. Sans doute les choses ont-elles quelque peu évolué de ce côté et cela explique-t-il aussi que dans la plupart des affaires qui ont éclaté, un grand nombre des faits incriminés se sont déroulés entre les années 1950 et 1980.

Le deuxième élément qui pose question est le silence de l’Eglise sur ces affaires et ce de manière générale, quelle que soit la région du monde. Quasi partout, des responsables de l’Eglise étaient au courant de ces faits mais se sont contentés de mesures minimales comme le déplacement du prêtre et ont gardé le silence. Qu’est-ce qui peut expliquer une telle attitude ?
Dans un article [2] de septembre 2018, le théologien belge Ignace Berten avance quelques éléments d’explication. La première explication serait un réflexe institutionnel. Toute institution tend à se défendre et à défendre son image. Ne pas ébruiter de tels agissements viserait donc à protéger l’image d’une institution. Ce réflexe d’autodéfense se renforce dans le cas de l’Eglise catholique, dont le message est justement la défense des plus faibles et, comme dit plus haut, une assez grande retenue vis-à-vis de la sexualité. Difficile de garder une crédibilité morale dans la société en reconnaissant que des prêtres et religieux ont des agissements de prédateurs, en particulier vis-à-vis d’enfants.
Il faudrait sans doute y ajouter le fait que l’Eglise catholique sort d’un passé où elle se considérait un peu au-dessus de la société ou à tout le moins en dehors. Traiter ces questions en interne semblait donc suffisant. Il n’en reste pas moins que même si le coupable était déplacé vers une autre fonction, sa dangerosité n’était pas neutralisée et que la réparation vis-à-vis des victimes n’était nullement prise en compte.
Ignace Berten explique aussi cette attitude par le cléricalisme. Le prêtre était vu jadis comme une personne quasi sacrée. Cela incitait donc les victimes à garder le silence et, quand elles parlaient quand même, on ne les croyait pas, d’autant que la parole des enfants n’était pas toujours considérée comme fiable face à celle d’un prêtre. Et cette sacralisation du prêtre est encore renforcée par l’organisation du pouvoir au sein de l’Eglise catholique, exercé exclusivement par des hommes célibataires.

Des pistes

L’Eglise catholique sort évidemment de ces différentes révélations avec une image noircie et une crédibilité morale affaiblie. Et l’on ne voit pas pourquoi d’autres affaires n’éclateraient pas dans les mois qui viennent. En réaction, elle a bien sûr prôné une tolérance zéro et le renvoi systématique vers les juridictions civiles. Elle s’est aussi engagée dans des processus d’indemnisation des victimes, même lorsque les faits sont couverts par la prescription, beaucoup de faits étant en fait anciens. C’est ce qui a eu lieu en Belgique au début des années 2010.
Pour Couples et Familles, la manière d’appréhender la sexualité doit elle aussi être remise en cause. Que de blocages subsistent encore, notamment vis-à-vis de l’homosexualité ou des approches de genre ! Si les choses ont évolué depuis les années 50, la méfiance vis-à-vis de la sexualité reste malgré tout souvent de mise dans les discours de l’Eglise.
Plus fondamentalement, c’est sans doute toute la conception du pouvoir au sein de l’Eglise catholique qui devrait être remise en cause. Comment encore prétendre au vingt-et-unième siècle que l’accès à la prêtrise doit être réservé aux seuls hommes et que l’exercice du pouvoir doit reposer sur une vision pyramidale ?
Bien sûr, cela ne supprimerait pas encore le problème des abus sexuels, en particulier vis-à-vis des enfants. Les déviances existeront toujours. Les agressions à l’encontre de femmes révélées suite à l’affaire Wenstein montrent assez que toute situation de pouvoir peut inciter certains à laisser libre cours à leurs pulsions déviantes et irrespectueuses de la dignité des personnes. [3]

 

 

 

 

 


[1] Yvonne Rousseau, Pédophilie. Prévenir pour ne pas avoir à guérir !, coédition Jeunesse et Droit et Feuilles Familiales, 1997.
[2] Pourquoi un si long silence ? Eglise, pédophilie, abus sexuels et maltraitance.
[3] Analyse rédigée par José Gérard.

 

 

 

 

 

 

 

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