Analyse 2018-22

C’est un fait, publicité et réalité sont deux choses totalement différentes, même s’il n’est pas rare que ces deux entités puisent de l’inspiration l’une dans l’autre. Ainsi, la famille, thème volontiers exploité par les publicitaires, peut parfois se voir vilipendée dans des spots télévisés ou radiophoniques diffusés à grande échelle... Est-ce problématique ?

Un garçonnet infernal appelant, ou plutôt hurlant, à tue-tête « maman ! » sans raison apparente déambule dans la maison à la recherche de cette dernière qui, ayant entendu son enfant l’interpeller de la sorte, se rue à la recherche de son téléphone portable, le colle à son oreille, et fait ainsi mine d’être indisponible pour répondre à son bambin lorsque celui-ci la trouve enfin : tel est le pitch d’une publicité imaginée par une entreprise de téléphonie pour promouvoir son produit. « Le téléphone portable : l’outil qui permet aux parents d’ignorer la demande de leur enfant pénible » : un message indéniablement assez limite, même s’il s’inscrit dans le registre de la pub.

Autre exemple de publicité actuelle, dans le domaine de la literie à présent. Une marque vante le confort de ses matelas en présentant ceux-ci comme parfaits pour les parents exténués par les sollicitations de leur progéniture, comme celle de confectionner un costume d’éléphant sous prétexte que les animaux sauvages sont étudiés en classe. Comme si s’impliquer dans le quotidien de son enfant représentait une sorte de corvée. Vive la pédagogie « ultra-traditionnelle », voire « moyenâgeuse », où les parents sont le moins impliqués possible dans les apprentissages scolaires de leur enfant et au diable la pédagogie alternative et tout ce qui impliquerait que les parents mettent davantage la main à la pâte dans les projets de leur rejeton. Encore un message effronté qui encourage les parents à se réfugier dans un égoïsme de mauvais aloi ; ou tout du moins, banalise ce mode de réaction.

Et que dire de la publicité, un peu plus ancienne mais mémorable, où un petit garçon, dont le père refuse de lui acheter des bonbons, pique une crise monumentale dans une grande surface au grand désarroi du papa qui préférerait être n’importe où plutôt que sous des regards réprobateurs, à devoir gérer cette situation plus que gênante… En fait, pour éviter de se retrouver dans cette fâcheuse posture, il aurait dû penser à utiliser un préservatif, n’est-ce pas ? D’ailleurs beaucoup d’images allant dans ce sens sont diffusées et partagées à la pelle sur les réseaux sociaux, notamment via des « pages humoristiques ».

Humour toujours

Humour. Le mot est lâché. Le mot derrière lequel bon nombre de dérapages publicitaires, si pas tous, se réfugient pour se justifier, se légitimer. Nous n’allons pas entrer dans le débat « peut-on rire de tout », qui a déjà fait l’objet de l’une des études de Couples et Familles. [1] Mais on peut se demander si de telles mises en scène peuvent cacher autre chose derrière la plaisanterie revendiquée…

Alors que le burn-out parental [2] – fléau de notre époque – touche bon nombre de parents, en « rajouter une couche » à force de messages publicitaires recourant à l’image du parent « à bout » pourrait poser question…

En effet, scénariser le sentiment d’inefficacité parentale et la distanciation affective que les parents épuisés peuvent mettre en place envers leur(s) enfant(s), tout cela dans le seul but de vendre un produit, frôle le manque de morale. Ces éléments [3] qui caractérisent le burn-out parental ne sont pas à prendre à la légère. En banalisant la situation de la sorte, les parents véritablement victimes de ce mal pourraient se sentir non reconnus dans leur souffrance ou pire, estimer qu’ils n’ont en fait pas de souci particulier car « être épuisé, c’est la norme » s’amusent à scander certaines publicités… 

Et même si ce n’est pas un véritable burn-out mais bien un « simple » ras-le-bol passager qui est illustré dans ces publicités, pour les téléspectateurs/auditeurs, le message clé reste le même : le fait d’être au bout du rouleau est inhérent au rôle de parent. Certes, la parentalité n’est pas de tout repos, mais le rôle du parent ne se limite pas à nourrir son enfant et à s’assurer qu’il ait un toit. Il doit aussi aider son enfant (aussi fatigant puisse-t-il être parfois) à s’épanouir. Cela implique écoute et investissement parental ; et par conséquent, une bonne dose d’énergie. Mais de là à associer cette dépense d’énergie à un état quasi dépressif… Cela pourrait laisser penser que les parents regrettent le temps où ils ne devaient penser qu’à leur petite personne et qu’ils ne s’attendaient pas à devoir changer leur mode de vie en fondant une famille.

Où avaient-ils donc la tête, ces publicitaires ?

Tout simplement sur les épaules. Chacun son métier. Ni psychologue, ni pédagogue, le concepteur de publicité a pour tâche de promouvoir un bien (ou autre chose), de le faire connaître, et plus on en parlera, mieux ce sera ; et ce, même si ce n’est pas toujours en des termes élogieux. Faire le buzz, se démarquer, tels sont des objectifs que l’on se doute que la publicité poursuit. Pour ce faire, une multitude de techniques peuvent être exploitées, comme défier le « politiquement correct ».

Un parent qui semble en avoir marre des demandes de son enfant… Cela ne se dit – en principe – pas. Même si une multitude de parents ont sûrement déjà eu ce ressenti. Et bien la publicité, elle ose. Elle ose montrer des parents qui en ont marre et dans lesquels certains téléspectateurs pourraient se retrouver. Car en avoir marre, de temps en temps, ce n’est pas dramatique. Être au top, sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, rares sont les parents qui y parviennent, si tant est qu’il y en ait. Les coups de mou existent et du moment qu’ils ne durent pas, il n’y a pas de quoi s’inquiéter…

Le rappeler peut parfois faire du bien au moral car la société actuelle a plutôt tendance à diffuser en masse des images de « parents parfaits », ceux qui ont toujours un sourire collé aux lèvres et qui sont exaltés à la perspective de s’acquitter de n’importe quelle tâche pourvu qu’elle ait un lien avec la parentalité…  

La parentalité : que du bonheur. Vraiment ?

Ces images de familles idylliques et de parents pleinement épanouis, en plus d’être épinglées massivement sur les blogs ou comptes Instagram de mamans tendances et exposés dans les pages des nombreux magazines, sont aussi fréquemment utilisées dans les publicités. Là, pour vendre le produit, la technique ne consiste plus à choquer le consommateur mais bien à lui donner envie de ressembler à ces êtres heureux, pour qui tout semble aller à merveille dans le meilleur des mondes ; et ce, grâce à tel produit x ou y. Peut-être même viserait-elle aussi à en faire culpabiliser certains face à tant de perfection… Ainsi, ces stratégies marketing ne sont pas plus bienveillantes envers les parents que celles qui proclament qu’il est normal d’être irrités par les demandes de ses enfants et qui mettent en avant des stratagèmes pour les contourner. Il s’agirait presque de deux extrêmes entre lesquels se situerait la plupart des réalités familiales.

Alors, faut-il s’inquiéter ?

De pareils spots publicitaires ne sont pas inquiétants outre-mesure. Les publicités qui malmènent le rapport à la famille prennent le contrepied de celles qui font croire à l’existence de la famille « zéro défaut » et dont le pouvoir de faire culpabiliser les téléspectateurs peut être bien réel.

En fait, ces deux types de publicités pourraient être problématiques si le canal par lequel elles transmettent leur message n’était pas clairement identifiable. Mais quand il ne fait aucun doute que l’on se trouve dans le registre de la publicité, on sait normalement d’emblée que ce qui va y être véhiculé n’est pas à prendre comme une vérité scientifique, et ne constitue pas non plus un exemple à suivre.

Peut-être faudrait-il renforcer l’éducation à cette question pour que les individus évitent de mettre en parallèle leur propre vie avec celles de personnes irréelles, montées de toutes pièces derrière les écrans : publicités, films, séries télévisées… Cela reste néanmoins beaucoup plus facile à dire qu’à faire vu l’omniprésence des smartphones, tablettes, etc. dans notre quotidien. Chaque jour, nous sommes bombardés de publicités et il est donc logique que celles-ci parviennent parfois, dans l’un de nos moments de faiblesse, à avoir une certaine influence sur nos choix. Pour éviter que cela ne se produise, nous ne pouvons qu’essayer de prendre du recul, relativiser, déconnecter, et surtout, dire « non » à la société de consommation.

L’analyse de ces messages publicitaires et des images qu’ils véhiculent peut être favorisée par l’éducation permanente. Et dans ce cas particulier où il est question d’images contrastées des réalités familiales, Couples et Familles s’efforce d’y contribuer. [4]

 

 

 


[1] Voir à ce propos : « Humour et relations » (Dossier NFF n°112).
[2] Voir à ce propos : Le burn-out parental, fléau de notre époque ? Analyse 2017-26 de Couples et Familles.
[3] Burn-out parental : les professionnels aux côtés des parents. In : https://www.mc.be/. Consulté le 22 octobre 2018.
[4] Analyse rédigée par Audrey Dessy.

 

 

 

 

 

 

 

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