Analyse 2018-14

Une nouvelle réforme du droit successoral entrera en vigueur le 1er septembre 2018.  Selon un communiqué de presse des notaires, cette réforme a pour but d’offrir plus de liberté aux familles dans l’organisation de leur succession [1]. Un objectif sur lequel « Couples et Familles » s’est attardé avec beaucoup d’attention dans une analyse précédente : « Succession : familles dépossédées ou protégées par la loi ? » [2].

À l’approche de la mise en application de cette nouvelle loi, « Couples et Familles » a voulu profiter de l’occasion pour se questionner sur la fonction sociale de l’héritage. Pourquoi le droit successoral, c’est-à-dire l’ensemble des lois qui régissent l’héritage, fonctionne-t-il de cette manière-ci, à savoir avec une partie de liberté octroyée aux individus et une partie imposée par l’État? Qu’impliquent ces décisions ? Et en quoi mettent-elles en lumière les valeurs prônées par notre système social actuel ?

La planification successorale, un projet personnel ?

Lorsque l’on parle d’héritage, chaque personne est amenée à penser à son histoire personnelle et familiale. Chaque personne investit sa vie et envisage sa mort en fonction de ses envies, de ses rêves, de ses besoins ou simplement de ses possibilités. Lorsqu’il s’agit de répartir son patrimoine, il existe autant de volontés différentes que de vies vécues. Et encore plus de nos jours, dans un paysage où les familles se sont diversifiées et complexifiées. La question de l’héritage est par conséquent, une question on ne peut plus singulière.

Pourtant, en Belgique, la succession ne s’organise pas en toute liberté. On ne peut décider en totalité de ce que l’on désire faire de notre patrimoine. Seule une partie, la quotité disponible, peut faire l’objet de cette liberté. Avant septembre 2018, la quotité disponible dépendait du nombre de descendants ou d’ascendants restants. Par exemple, si le défunt avait trois enfants ou plus, la réserve globale des enfants constituait ¾ du patrimoine à diviser par le nombre d’enfants et la quotité disponible ¼ du patrimoine [3]. Dès septembre 2018, la quotité disponible sera constituée de la moitié du patrimoine de la personne quelle que soit la situation familiale. La personne pourra alors décider de la léguer ou d’en faire un don à qui bon lui semble [4].

L’autre moitié du patrimoine, la part réservataire, sera indubitablement attribuée à certains héritiers (le veuf ou la veuve du défunt et ses enfants). Il est donc impossible de les ‘déshériter’.  Par exemple : Monsieur Paul possède un patrimoine de 100 000 euros, il décède après son épouse et laisse deux enfants. Monsieur Paul pourra disposer de 50 000 euros pour en faire ce qu’il souhaite, en faire un don à une association caritative. Mais il devra obligatoirement remettre 25 000 euros à chacun de ses enfants [5]. Ces mesures visent ainsi à protéger les intérêts des différents membres de la famille.

Quand les inégalités se font ressentir

S’il est évident que l’héritage concerne la famille, il ne concerne pas toutes les familles. En effet, l’héritage est un sujet qui touche les gens de façon plus ou moins proche en fonction de leur situation sociale et de leur contexte de vie. Alors que telle personne a pu investir dans l’immobilier, amasser un tas de petits objets de valeur, gonfler son capital… avec l’espoir d’assurer un avenir meilleur à sa descendance, telle autre n’aura  jamais été amenée à se poser la question, faute de moyens pour subsister à ses propres besoins quotidiens. La question de la succession vient directement pointer du doigt les inégalités sociales dans notre société.

Les droits de succession, un moyen pour rétablir une certaine équité

Afin de réduire le fossé entre les plus riches et les plus démunis, l’État assure un rôle de distribution et de redistribution des richesses. C’est une façon de veiller au bien-être de tous les citoyens. C’est pourquoi, lorsque une personne hérite d’un patrimoine, l’état lui prélève un impôt proportionnel à la masse des biens hérités que l’on appelle « droits de succession ». Cette quantité d’argent prélevée a pour but de redistribuer la richesse soit à travers des services qui profitent à tout le monde, soit en ciblant une population plus spécifique à savoir les personnes en situation de précarité. En payant ces droits de succession, chaque citoyen participe directement à la sécurité sociale et assure un système qui tienne compte de la solidarité entre les différentes familles. Il veille à rétablir une même égalité des chances pour chacune des familles, assure à toutes d’avoir des moyens pour exister et permet de réduire les inégalités de génération en génération [6].
 
À la croisée de l’individu et de la société

En étant un système ni ultra libéral ni ultra étatique, l’État belge veille de cette manière à légiférer en faveur de l’individu, de la famille, mais aussi des familles. Il garantit un soutien aux différents membres d’une même famille mais également aux familles en difficulté.

Les choix que nos ancêtres ont porté à l’égard de nos dirigeants indiquent de quelle façon ils ont souhaité construire notre société, ce qui a inévitablement influencé les décisions législatives auxquelles nous sommes soumis. L’État belge, qui est un État social, a été construit dans le but d’assurer une certaine égalité et repose sur un fonctionnement démocratique, c’est-à-dire que chacune des décisions qui le concerne tente de représenter la voix de l’ensemble de sa population. C’est donc en cela que l’héritage est le fruit d’une construction sociale.

Cependant, la récente modification de loi successorale démontre combien nous aussi sommes acteurs de notre société  Elle met en évidence un souhait qu’a la population belge, à cette époque actuelle, de tendre vers plus de liberté personnelle.

D’autres variations possibles du droit successoral

Comme nous l’avons évoqué ci-dessus, le droit successoral reflète une construction sociale que l’on a définie à un moment donné. Cette construction sociale n’est donc en aucun cas figée à jamais. Qui dit construction, dit également, création et aménagements ! Dès lors, quelles sont nos différentes options et qu’impliquent-elles?

Une première option serait de poursuivre le schéma actuel dans lequel nous nous trouvons, à mi-chemin entre liberté individuelle et soutien aux familles.

Une seconde option permettrait de rendre à la personne son droit le plus ultime de disposer de ses biens en totalité et cela, y compris, après sa mort. Cette partie est symboliquement importante pour les personnes qui se sont investies corps et âme durant leur vie entière dans l’espoir de soutenir leur descendance. Dans ce cas de figure, la taxation serait infime voire nulle lors de la succession et la part réservataire réduite à néant.  Le point positif de cette proposition est qu’elle invite le détenteur de ses biens à les répartir selon sa propre convenance. La personne gagne en liberté et choisit d’être solidaire aux personnes qu’elle désigne méritantes. Seulement, le risque avec une telle proposition est que les personnes aisées ne soient solidaires qu’envers leur propre famille et ne participent pas à la société, ce qui renforcerait le creux entre les plus riches et les plus pauvres.

Une troisième option, consisterait à augmenter les droits de succession voire à abolir l’héritage. Cette proposition repose sur le postulat d’Arnaud Gonzague selon lequel « l’héritage n’est rien d’autre que la conservation indue des privilèges matériels de familles qui, génération après génération, n’ont rien fait d’autre que naître pour les mériter. … Les plus fortunés transmettent, en plus à leurs descendants une culture, une éducation, un réseau de pairs ou ce qu’on appelle simplement l’assurance des gens bien nés ». Dans ce cas de figure-ci, l’ensemble des patrimoines cumulés servirait à alimenter un fonds au service de la société. Arnaud Gonzague [7] propose par exemple de redistribuer le patrimoine des défunts sous forme d’un revenu universel destiné aux jeunes de 18-30 ans. « Ce coup de pouce arriverait dans un moment de leur vie où leur situation matérielle est souvent objectivement difficile – et non, aléatoirement, après le décès du dernier de leurs parents, comme c’est le cas aujourd’hui » [8]. Le point positif est qu’un tel projet permettrait sans aucun doute de rétablir un équilibre dans la société. Chaque jeune disposerait des mêmes cartes en main pour entamer sa vie. Néanmoins, cette proposition néglige complètement la solidarité au sein de sa propre famille ainsi que la part affective de l’héritage filial. C’est pourquoi Arnaud Gonzague atténue ses propos : « une part affective doit donc être laissée aux héritiers, plafonnée en termes de valeurs pour éviter les abus, mais qui respecterait la nécessité humaine de posséder quelque chose de ceux qui nous ont précédés » [9].

Un choix par conviction

Bien que cette réflexion ait été réalisée au départ de la question de l’héritage, elle peut tout à fait se transposer à d’autres décisions sociétales. Chacune des décisions n’est que le reflet d’une construction sociale à un moment donné. C’est pourquoi, à l’approche des élections, il est de bon ton de se demander en tant que citoyen, à quelle société l’on souhaite appartenir ? Avec quelle(s) famille(s) a-t-on envie d’être solidaire? Mais aussi, à quel choix sommes-nous prêt à renoncer ? Car quel que soit le choix, il impliquera nécessairement un renoncement…

Pour « Couples et Familles », l’option préférentielle est celle qui combine deux valeurs essentielles : autonomie et solidarité, dans le but de promouvoir une plus grande égalité. L’endroit où l’on place le curseur dépend de l’évolution des structures familiales, plus complexes aujourd’hui et qui demandent donc plus d’autonomie, mais aussi des évolutions sociétales où les inégalités semblent se creuser. Une équation difficile à résoudre mais que semble chercher la nouvelle loi. [10]

  

 

 

 


[1] La réforme successorale : une plus grande liberté pour organiser votre succession. Communiqué de presse, 01 septembre 2017, 5 p. In : notaire.be Consulté le 28 août 2018.
[2] Succession : Familles dépossédées ou protégées par la loi ? In http://www.couplesfamilles.be/ Consulté le 28 août 2018.
[3] La planification successorale en Belgique : Mode d’emploi. Février 2016. In : https://www.treetopam.com/ Consulté le 28 août 2018.
[4] La succession sur le plan du droit civil In : http://www.droitbelge.be/ Consulté le 28 août 2018
[5] La succession sur le plan du droit civil In : http://www.droitbelge.be/ Consulté le 28 août 2018
[6] Cours d’économie sociale,  2ème Baccalauréat Assistant social, B. Conter, Institut Cardijn, Louvain-la-Neuve, 2007-2008.
[7] Affaire Hallyday : et si on abolissait l’héritage (tout simplement) ? In https://www.nouvelobs.com/ Consulté le 28 août 2018.
[8] Affaire Hallyday : et si on abolissait l’héritage (tout simplement) ? In https://www.nouvelobs.com/ Consulté le 28 août 2018. 
[9] Affaire Hallyday : et si on abolissait l’héritage (tout simplement) ? In https://www.nouvelobs.com/ Consulté le 28 août 2018. 
[10] Analyse rédigée par Aurelie Degoedt.

 

 

 

 

 

 

 

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