Analyse 2018-01

« Ce que tu as nous manque peut-être… Coopérons ! L’union fait merveille. » Tel était le slogan de l’évènement organisé par l’ACRF (Femmes en milieu rural), en partenariat avec plusieurs associations dont l’équipe de Couples et Familles, fin décembre dernier.

Si vous êtes passés par la gare de Bruxelles-Central le jeudi 21 décembre dans l’après-midi, peut-être avez-vous aperçu une petite tonnelle au Carrefour de l’Europe où un comité féminin s’était réuni en vue de dénoncer les clichés de la compétition nécessaire, et surtout de sensibiliser les passants à la véritable force que constitue la coopération.

Retour sur la campagne

C’est plus motivées que jamais et emmitouflées dans nos grosses écharpes que nous avons établi un espace éphémère dédié à rendre ses lettres d’or à la coopération. Nos outils : des tables, une grande feuille de papier... et un crayon d’un genre un peu particulier qui invitait à la concertation. Sans oublier un mégaphone, indispensable pour rameuter les citoyens.

Une fois interpellés par notre cause, il était proposé aux passants de réaliser un dessin ; mais pas n’importe comment : avec un crayon relié à plusieurs ficelles, elles-mêmes maniées par plusieurs personnes. Exercice quelque peu complexe et voué à l’échec en l’absence de communication entre les apprentis dessinateurs d’un jour… Mais une fois le dialogue instauré entre eux, une stratégie pour diriger les ficelles pouvait alors s’élaborer et le dessin commençait ainsi, petit à petit, à prendre forme. Parfaite illustration de l’impact positif non négligeable que peut revêtir la coopération.

Ensuite, c’est autour d’une tasse de café bien chaud et d’une pomme – offerts par l’ACRF – que les passants mobilisés par notre cause ont pu discuter – que ce soit entre eux ou avec les animatrices –  de la campagne ; le tout, dans une ambiance conviviale et chaleureuse, quoi qu’en disait la température affichée sur les thermomètres.

Cette initiative fût l’occasion pour Couples et Familles de rappeler sa position favorable à toutes les démarches incluant partage, écoute et concertation, valeurs bien supérieures, à nos yeux, à l’individualisme pourtant toujours actuellement mis sur piédestal dans la société dans laquelle nous vivons et où la compétition semble indétrônable. Mais l’est-elle vraiment ?

« La loi du plus fort »

Qui n’a jamais entendu parler de la « loi du plus fort » ou encore de la « loi de la jungle » ? Dans ces perspectives, le mot d’ordre se résume à « chacun pour soi » ; un peu comme c’est le cas dans de nombreux aspects du fonctionnement de notre société.

Toutefois, comme expliqué dans la vidéo « La loi de la jungle, c'est aussi la loi de l'entraide » [1] mise en ligne par L’Obs, pour survivre, la force est une chose ; mais la coopération n’a rien à lui envier.


Effectivement, dans cette vidéo, Pablo Servigne (biologiste et co-auteur du livre « L’entraide, l’autre loi de la jungle ») met en parallèle la deuxième « loi de la jungle », souvent oubliée du commun des mortels, à savoir : la loi de la coopération, de l’entraide, de l’altruisme [2] ; avec celle que nous connaissons tous, celle animée par la compétition. D’emblée, il s’efforce de ne pas diaboliser la compétition ; il estime que celle-ci peut présenter des avantages, mais sur un temps limité. Il rappelle que cette dernière est dangereuse et que cela, même les animaux l’ont compris et n’y recourent donc que rarement. Mais ce n’est pas le cas de l’homme, pourtant supposé être le « plus intelligent des animaux » …

Pablo Servigne part de simples observations pour nous montrer que les relations entre les vivants sont régies par la coopération, et pas uniquement par la compétition. Il affirme que « tous les êtres vivants sont en relation d’entraide avec d’autres êtres vivants » [3]. Il cite plusieurs exemples dont celui des lionnes qui coopèrent pour chasser ensembles, ou encore, celui des arbres les plus forts qui utilisent leurs racines pour procurer des nutriments aux arbres plus faibles. Ainsi, la coopération existe tout autour de nous, et elle a fait ses preuves depuis des milliards d’années déjà.

« Ce sont les espèces et les individus qui s’associent, qui s’entraident, qui survivent le mieux aux conditions difficiles » explique Pablo Servigne. Il signale aussi que l’entraide est indissociable de l’humain et il parle même d’une « propension spontanée à l’entraide ». [4] Il rappelle que c’est grâce à la coopération dont nos ancêtres ont fait preuve en milieu hostile que nous sommes là aujourd’hui. D’ailleurs, il semblerait que des expériences aient démontré la puissance de nos aptitudes pro sociales. Par exemple, lorsque l’on presse des personnes à répondre à des questions ; elles répondraient de manière très pro sociale. Par contre, quand on leur laisse le temps de la réflexion, elles émettraient alors un avis qui va davantage dans le sens de leur propre intérêt que dans celui du bien commun. [5]

Devrions-nous alors arrêter de réfléchir afin de favoriser les actes emprunts d’entraide plutôt que ceux porter par l’individualisme ? Pour Couples et Familles, cela n’est pas la solution. Il faudrait plutôt doublement réfléchir, ou réfléchir « un cran plus loin » ; aller au-delà de notre tendance à penser d’abord à nous pour réveiller les dispositions altruistes bel et bien présentes en nous. Evidemment, cela semble plus facile à dire qu’à faire. Surtout qu’à l’échelon individuel, nos actes semblent équivaloir à une goutte d’eau dans l’océan. Par contre, si les institutions donnaient l’exemple, alors il serait probablement plus aisé de tout doucement quitter le mouvement de la compétition pour s’inscrire dans celui de la coopération. Aux politiques publiques de changer leur fusil d’épaule pour faire de notre société un véritable espace de « vivre ensemble ». Mais peut-être que pour qu’un changement apparaisse, c’est à nous, ensemble, de leur montrer la direction dans laquelle nous aimerions que notre descendance évolue. Chaque petite action revêt donc une importance de taille car en se joignant à celles déjà existantes, elle pourrait bien être celle qui fera pencher la balance.

À l’école, coopérons

La coopération commence déjà à timidement s’inviter dans certains aspects de nos vies, notamment dans le contexte scolaire.
À l’école, avec la pédagogie active, il est par exemple clairement question de coopération. Dans ces établissements scolaires « alternatifs », pas de « points » et donc, pas de place pour la compétition. Il semble « normal » que les élèves soient plus brillants dans certaines matières que dans d’autres ; il n’y a rien d’étrange à ce que certains aient des prédispositions pour les sciences et que d’autres en aient plutôt pour l’apprentissage des langues étrangères par exemple, car chaque enfant est différent. [6]

Dans cette perspective, lors de la seconde édition du TEDxUNamur, un des speakers, Romain Gauthier, présentait une école un peu particulière dite « démocratique ». Celle-ci accueille des enfants de trois à dix-huit ans qui vont apprendre en « auto-apprentissage ». Les élèves les plus jeunes vont être en interaction avec les plus âgés, et vice versa, ce qui va permettre un échange de compétences entre eux. En outre, les enfants vont s’investir, au côté des adultes, dans la gestion de l’école : organisation d’évènements, aménagement de l’espace ; le mot d’ordre est à la cogestion. [7] C’est donc très jeunes que ces élèves développent leur sens de la citoyenneté et sont amenés à expérimenter la coopération.

Dans l’enseignement où une pédagogie plus « classique » est appliquée, même si la compétition est assurément présente (système de cotation oblige), il est tout de même possible d’y observer des initiatives qui prônent la coopération. Par exemple, il n’est pas rare que des élèves s’entraident pour un devoir ou lors de révisions, ceux maîtrisant la matière dispensant conseils et moyens mnémotechniques à leurs camarades moins (ou pas du tout) au point. Ce genre de soutien, généralement informel et entrant à cent pour cent dans le champ de la coopération, existe véritablement et aurait tout à gagner à se voir favoriser par la direction de l’école. Comment ? En faisant en sorte que le programme scolaire accorde une place à l’apprentissage de la citoyenneté par exemple… Cela ne pourra que conscientiser les jeunes à l’importance d’aider son prochain. D’ailleurs, remarquons que le Pacte pour un enseignement d’excellence prévoit un tronc commun composé de sept domaines d’apprentissage dont « les sciences humaines et sociales, la philosophie et la citoyenneté » [8].

En parlant de ce fameux « Pacte », l’on peut aussi signaler que sa conception s’est basée sur une démarche qui appelait la coopération ; tout comme c’est actuellement le cas pour sa mise en œuvre. En effet, la méthodologie choisie pour son élaboration incluait un processus participatif ayant permis de récolter l’avis des acteurs de terrain. [9] « Le Gouvernement a organisé du 21 mars au 15 juin 2017 de nombreuses rencontres d’information et de débat pour qu’enseignants et parents puissent donner leur opinion. Le Pacte est, depuis le début, un processus participatif : des milliers de personnes continueront à contribuer aux travaux. » [10] peut-on lire sur le site consacré au pacte. Et ça ne s’arrête pas là. Une consultation citoyenne est prochainement prévue pour recueillir les suggestions des parents tout comme des enseignants quant à la grille horaire de « l’École de demain ». [11] Elle se tiendra le 20 janvier 2018 à Bruxelles. Un bel exemple de coopération. Même si au vu de l’ampleur du Pacte l’on peut se demander si sa concrétisation ne relève pas de l’utopie, Couples et Familles estime que la démarche reste cependant plus que louable.

La coopération au sein des familles

Selon Couples et Familles, la compétition n’a rien à faire au sein de la cellule familiale. Des parents qui, dans l’espoir d’être « le parent préféré » gâtent sans cesse leur(s) enfants(s), des grands-parents qui analysent minutieusement les bulletins scolaires de leurs petits-enfants pour ensuite y aller bon train en comparaisons, des frères et sœurs qui se chamaillent constamment en revendiquant chacun être « le meilleur », etc. ; pour une vie familiale harmonieuse et épanouissante, ce type de situations toxiques est à éviter. Il convient que chaque enfant se sente autant aimé l’un que l’autre par leurs parents (et grands-parents), et que les membres de la fratrie ne voient pas dans leurs différences une opportunité de se mettre en avant en pointant du doigt les points faibles de l’autre ; en le rabaissant.

Les parents doivent apprendre à leurs enfants que leurs points forts ne doivent pas être utilisés pour écraser les autres, mais plutôt être mis au service d’autrui pour l’aider à s’améliorer. Tous, nous sommes faits de forces et de faiblesses et de ce fait, sommes complémentaires. C’est donc bien en coopérant que nous pourrons exploiter au maximum cette complémentarité qui permettra de mener à bien toutes sortes de projets de façon originale. Il importe que dès le plus jeune âge, les enfants soient sensibilisés au respect des différences et à l’altruisme, deux qualités essentielles pour préférer la coopération à la compétition et ainsi, ouvrir la porte sur une société où le souci du bien commun viendra balayer les ravages du capitalisme. [12]

 


Pour aller plus loin :
- SERVIGNE, Pablo, et CHAPELLE, Gauthier. L’entraide, l’autre loi de la jungle. Editions Les liens qui libèrent, 2017, 400 pages.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] "La loi de la jungle, c'est aussi la loi de l'entraide" – YouTube. (L’Obs) In : https://www.youtube.com/watch?v=-gB5x4LshGo. Consulté le 2 janvier 2018.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Vive la rentrée ! Peu importe l'école ? Analyse 2017-25 de Couples et Familles.
[7] Ecole 2.0 : apprentissages autonomes et cadre démocratique | Romain Gauthier | TEDxUNamur. https://www.youtube.com/watch?v=RtbQJOin2Ao. Consulté le 3 janvier 2018.
[8] Pacte pour un enseignement d’excellence. Avis N°3 du Groupe central. Synthèse des cinq axes stratégiques du pacte. (7 mars 2017). (p.2).
[9] Pacte pour un enseignement d'excellence : un projet (un peu trop) ambitieux ? Partie II : participation des enseignants et des élèves. Analyse 2016-18 de Couples et Familles.
[10] L’ESSENTIEL DU PACTE. In : http://www.pactedexcellence.be/index.php/lessentiel-du-pacte/. Consulté le 3 janvier 2018.
[11] La grille horaire de l’École de demain. In : http://www.pactedexcellence.be/. Consulté le 3 janvier 2018.
[12] Analyse rédigée par Audrey Dessy.

 

 

 

 

 

 

 

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