Analyse 2017-36

Au départ de l’exemple d’une technique psychothérapeutique qui pose question, on peut s’interroger sur les outils dont disposent les citoyens comme les pouvoirs publics pour évaluer la qualité d’un psychothérapeute ou d’une psychothérapie.

Un livre présentant une nouvelle forme de thérapie de couple, paru en 2017, a attiré l’attention de Couples et Familles. « Couples et EMDR. Une thérapie intégrative » [1], écrit par Jacques Roques, psychanalyste et psychothérapeute, fondateur de l’association EMDR France, présente une nouvelle manière d’aborder la thérapie de couple, qui met à jour l’origine des dysfonctionnements pour restaurer l’empathie entre les conjoints.

Qu’est-ce que l’EMDR ?

L’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) est une thérapie mise au point par Francine Shapiro, psychologue américaine de Palo Alto, en 1987. Elle vise à traiter des perturbations émotionnelles liées à des traumatismes psychologiques tels que : abus sexuel, incendie, attentat, maladie grave, deuil, fausse couche, perte d’emploi, séparation, etc. Le thérapeute demande au patient de se concentrer sur l’événement perturbant en prenant conscience des sensations qui y sont associées. Le thérapeute sollicite alors le cerveau par des mouvements oculaires ou des stimulations tactiles. L’opération est répétée jusqu’à ce que le souvenir de l’événement traumatisant ne soit plus associé qu’à des ressentis calmes. Depuis 2013, l’OMS (Organisation mondiale de la santé) reconnaît l’efficacité thérapeutique de l’EMDR et la recommande en cas de stress post-traumatique.
Jacques Roques a appliqué la méthode aux thérapies de couple. Il part du principe que les dysfonctionnements du couple trouvent leur origine dans les blessures du passé que chaque personne porte en elle. Certaines paroles ou attitudes du partenaire peuvent entrer en résonnance avec ces blessures et provoquer un blocage dans la relation. Il s’agit donc d’abord de mettre au jour ces blessures, puis d’essayer d’en neutraliser les effets. Le thérapeute demande à la personne de se remémorer l’événement traumatique tout l’invitant à suivre des yeux une petite boule qu’il déplace devant ses yeux, en alternant avec des tapotements sur les épaules ou sur les genoux.

Comment juger ?

Explicitée succinctement, cette thérapie peut paraître fumeuse ou magique. Si on parcourt le livre évoqué plus haut, on constate pourtant que la plus grande partie de la thérapie repose sur des techniques d’écoute assez classiques pour mettre au jour les événements douloureux qui devraient être retravaillés. Mais comment croire que le fait de suivre des yeux une petite boule va résoudre les difficultés rencontrées ? Les thérapeutes qui utilisent la méthode avancent des résultats qui semblent prouver son efficacité. Certains s’interrogent néanmoins : l’effet thérapeutique ne réside-t-il pas davantage dans l’élucidation d’un événement traumatique du passé que dans l’association de celui-ci avec les mouvements des yeux qui suivent une petite bille ? Et l’essentiel ne réside-t-il pas dans la relation de confiance que le thérapeute parvient à nouer avec son client ?
Chacun aura sans doute une opinion personnelle sur le sujet, mais cela pose, au départ d’un exemple concret, la question des critères d’évaluation des psychothérapies.

L’évaluation légale

L’exercice de la psychothérapie est réglé par une loi du 10 mai 2015, la Loi coordonnée relative à l’exercice des professions des soins de santé. C’est le chapitre 6 qui se penche sur l’exercice de la psychologique clinique et de l’orthopédagogie clinique. Outre les mesures transitoires pour ceux qui exerçaient déjà, l’essentiel de la loi concerne les diplômes universitaires nécessaires. Les psychologues cliniciens et les orthopédagogues cliniciens doivent disposer du diplôme universitaire correspondant, avoir suivi un stage dans un service agréé et disposer de l’agrément accordé par les Communautés.
Pour exercer la psychothérapie, il faut disposer d’un diplôme et d’un agrément comme médecin, psychologue clinicien ou orthopédagogue clinicien, avoir suivi une formation complémentaire en psychothérapie dans une université ou une haute école et avoir suivi un stage professionnel d’au moins deux ans.

Le critère du diplôme a le mérite d’être clair, mais l’on sait que tous ceux qui exercent la psychothérapie ne sont pas porteurs des diplômes aujourd’hui requis. Si ceux-ci peuvent bénéficier de droits acquis, il ne pourra plus en être de même à l’avenir. Les psychanalystes, par exemple, ne doivent pas obligatoirement être porteurs d’un diplôme universitaire. On devient psychanalyste d’abord en suivant soi-même une psychanalyse et en participant aux formations et séminaires prodigués par l’école à laquelle on se rattache. Par exemple, en Belgique : l’Ecole Belge de Psychanalyse (www.bsp-ebp.be) ou la Société Belge de Psychanalyse (www.psychoanalyse.be). Il faut aussi justifier d’une pratique professionnelle et d’une supervision de celle-ci. Les opposants à la loi de Maggie De Block lui reprochent de privilégier le diplôme par rapport aux compétences et de privilégier les interventions courtes par rapport aux thérapies de longue haleine comme les psychanalyses.
On peut cependant remarquer que le reproche de privilégier le diplôme plutôt que les compétences est en partie biaisé. En effet, ces « écoles » de psychanalyses certifient elles aussi d’une certaine manière un cursus et, par ailleurs, la loi n’exige pas seulement un diplôme mais une pratique professionnelle supervisée, où les compétences sont censées être constatées. La question qui se pose est plutôt de savoir quelle procédure suivre pour faire reconnaître une formation professionnelle, en ménageant tout à la fois l’autonomie et l’originalité des prestataires de formations et le légitime besoin de critères objectifs pour les pouvoirs publics.

L’argument financier

Liée à l’agréation et à la reconnaissance par les pouvoirs publics se profile aussi la question du coût des psychothérapies. Si les consultations chez le psychiatre bénéficient d’un système de remboursement par l’INAMI comme les autres médecins, il n’en est pas de même pour les psychologues, psychanalystes et autres psychothérapeutes, sauf s’ils sont aussi porteurs d’un titre de médecin.
Les consultations psychologiques ne sont pas prises en charge par l’assurance obligatoire des mutuelles, mais depuis quelques années, la plupart proposent dans leur assurance complémentaire une intervention forfaitaire (15 à 20 € par consultation), avec un nombre maximum de consultations remboursées par année ou plafond de remboursement annuel. D’autres critères doivent aussi être rencontrés, comme l’agréation du psychologue ou le type d’institution dans laquelle il travaille.
Pour le particulier, surtout s’il dispose de revenus limités, il est donc clair que l’argument financier sera un argument de poids dans le recours ou non à une psychothérapie, d’autant qu’il doit déjà souvent franchir la barrière d’une certaine réticence, les psy étant encore considérés par certains comme les médecins des fous.

Quel psy, quelle thérapie choisir ?

Comme pour la consultation d’autres spécialistes, le plus simple est sans doute de se laisser orienter par son médecin généraliste ou de se rendre dans un centre de santé mentale, qui travaille avec une équipe pluridisciplinaire capable d’entendre les demandes et de les diriger vers la meilleure piste.
L’on peut aussi se fier aux proches et connaissances, en fonction de leur sensibilité et des expériences éventuelles de soins.
On peut aussi se documenter soi-même sur les différentes thérapies proposées, la localisation des prestataires et prendre contact avec celui qui nous semble répondre le mieux à notre attente et aux critères que l’on s’est fixés. Parfois, les psychothérapeutes proposent une première rencontre gratuite, où ils exposent la manière dont ils travaillent et écoutent ce que le patient cherche, afin de vérifier si l’un et l’autre envisagent ensuite une relation thérapeutique possible.
La grande difficulté est que, contrairement sans doute au traitement d’un mal physiologique, le soin de l’âme dépend de chaque personne en particulier. C’est un des reproches que des psychothérapeutes faisaient à la nouvelle loi de Maggie De Block, qui vise un peu à faire rentrer la psychothérapie dans des cases et des critères équivalents à d’autres prestations comme un scanner ou une chimiothérapie. Dans une lettre ouverte à Maggie De Bloc de janvier 2017, le psychologue clinicien Olivier Bury disait ainsi : « Le modèle principal et valorisé dans la loi est celui de la médecine technoscientifique. Or, ce modèle n’est pas adapté pour dire quelque chose de définitif et de suffisant sur la souffrance d’un être humain dans toute sa complexité. Malgré cela, je ne trouve pas de diversité dans la loi. Pourtant, il me paraît absolument essentiel que tout patient puisse s’adresser à des intervenants de diverses théories, chacune appropriée pour dire quelque chose de cette souffrance. Elle est appropriée si elle convient au patient, si elle tient compte de sa demande et si une relation de confiance se construit. Certains patients attendent une lecture plus médicale, adaptatrice voire même biologique, tandis que d’autres s’accommodent de leurs difficultés et ne souhaitent jamais en parler ni tenter d’y trouver une solution. Il y a aussi des patients qui préfèrent éviter une approche médicale et trouver un espace d’élaboration qui leur permettrait de mieux comprendre ce qu’ils vivent. Il serait dommage que cette possibilité ne trouve pas de reconnaissance dans la loi. »

Dans cette matière comme dans beaucoup d’autres, il est bien difficile d’articuler l’individuel (la souffrance et la demande de soin d’une personne particulière) et le collectif (la reconnaissance du droit de prodiguer des soins de santé et la prise en charge collective du remboursement de ces soins). Si elles ne garantissent pas à 100% la qualité des soins, la certification des formations suivies et le recours à des structures collectives (comme les centres de santé mentale) constituent malgré tout pour le citoyen des filtres efficaces contre les farfelus ou les manipulateurs, qui existent dans cette branche des soins aux personnes comme ailleurs. [2]

 

 

 

 

 

 

 


[1] Couples et EMDR. Une thérapie intégrative, Jacques Roques, Desclée De Brouwer, 2017.
[2] Analyse rédigée par José Gérard.

 

 

 

 

 

 

 

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