Analyse 2017-24

Il arrive un moment dans la vie où les gens commencent à s’inquiéter de ce qui adviendra de leurs « petites affaires » une fois l’arme passée à gauche. C’est un fait, le patrimoine d’une personne lui survit. Tous ses biens, parfois précieux, parfois pas tant que cela, n’en restent pas moins du concret amené à être dispatché ; et ce, pas toujours de la façon dont « l’ex-propriétaire » aurait souhaité que cela se fasse. Pourtant, il s’agit bel et bien de son propre argent, de ses terres, de ses objets… honnêtement acquis, peut-être même dans la plupart des cas à la sueur de son front.

Néanmoins, ces divers biens vont se frayer un chemin, guidés non pas exclusivement par la volonté de leur défunt propriétaire mais par les lois en vigueur, pour venir gonfler les avoirs d’autrui. Sa fille aura ceci, son fils aura cela ; et bien sûr, l’Etat prendra « sa » part au passage.

Ainsi, la succession constitue davantage une histoire de loi que de décision familiale… mais est-ce normal ? Couples et Familles s’interroge.

Une réforme dans l’air…

Le droit successoral fait peau neuve. En effet, le droit civil des successions se verra bientôt réformé. Même si elle n’est pas encore publiée au Moniteur belge, la loi est passée le 20 juillet au parlement fédéral. Toutefois, la nouvelle loi n’entrera pas en vigueur avant environ un an. [1]

Comme souvent en Belgique, modèle ni ultra libéral (l’individu fait ce qu’il veut) ni ultra étatique (l’Etat impose ses règles), l’évolution de la législation bouge un peu le curseur entre ces deux extrêmes. Avec cette réforme, c’est davantage de liberté qui sera octroyée aux citoyens. Ajoutons que l’adaptation de la loi est peut-être motivée par la multiplication des situations familiales recomposées, où la filiation légale n’est plus la seule base d’appréciation…

Fin juillet, lecho.be mettait ainsi en évidence quatre « règles » en matière de succession qui se verront modifiées à l’avenir. D’abord, la part minimale de l’héritage à laquelle les enfants ont droit. Dans le « régime » actuel, celle-ci est fonction du nombre d’enfant composant la fratrie. Avec la nouvelle loi, peu importe leur nombre, les enfants auront droit à la moitié du patrimoine. L’autre moitié pourra donc être léguée à n’importe qui, ou encore, faire l’objet d’un don. Ensuite, contrairement à ce qui est actuellement d’application, il ne sera plus question de « réserve des parents et ascendants ». Les parents dont l’enfant – sans descendance –  décède, n’hériteront pas automatiquement d’une partie du patrimoine de ce dernier. L’héritage pourra ainsi plutôt revenir à la personne avec qui il cohabitait. Troisièmement, davantage de sécurité pour les biens donnés, qui jusqu’à présent ne l’étaient pas totalement vu qu’ils devaient « revenir en nature dans la succession » [2] au moment du partage. Avec la réforme, ils pourront y revenir en valeur. Enfin, la possibilité de prévoir des pactes successoraux. Actuellement, les familles ne peuvent mettre au point une sorte d’accord concernant la succession d’une personne qui n’est pas décédée. À l’avenir, cela sera possible entre parents et enfants. Les avantages dont un enfant aurait bénéficié dans le passé (financement d’études prestigieuses par exemple) pourraient revenir sur le tapis lors de l’établissement du pacte et être perçus comme équivalant à un autre type d’avantage ayant bénéficié à l’autre enfant (comme une donation) ; dans la mesure où tout le monde s’accorde sur ce point. [3] En fait, il s’agit de s’assurer – grossièrement parlant – qu’il n’y ait pas de jaloux ; qu’aucun des enfants ne se sente désavantagé. Une fois l’accord établi, pas question de le remettre en cause lors du décès des parents… [4]

Vers plus de liberté

Fin juillet, les notaires – soucieux de faire le point sur les changements prévus – ont élaboré un communiqué de presse intitulé : « La réforme successorale : une plus grande liberté pour organiser votre succession ». [5] « Une plus grande liberté » disent-ils donc. Cela confirme que la succession est une affaire de contraintes et que celle-ci n’appartient que partiellement aux principaux intéressés… Tendance que le législateur s’est, apparemment, dit bon d’atténuer car dorénavant il sera question, grâce à la future réforme, d’« un plus grand nombre de possibilités et (d’) une plus grande flexibilité, dans le cadre de la répartition des successions » [6], assurent les notaires dans leur communiqué en précisant qu’ils resteront une « figure-clé » du processus.

Attardons-nous sur les pactes successoraux, parfaite illustration d’une des quelques petites parts de liberté qui se verra prochainement accordée aux familles. Comme précédemment expliqué, les parents, en compagnie de leurs enfants, pourront s’accorder sur leur succession chez le notaire. Les enfants peuvent donc activement participer à la discussion censée vérifier que chacun d’entre eux a eu droit au même traitement de la part de leurs parents. En pareil cas, le pacte signé par toutes les parties aura pour effet de « remettre les compteurs à zéro » [7], ce qui contribuera à éviter l’apparition de conflits le moment venu.

Mais les enfants ont-ils réellement leur mot à dire quant à la succession de leurs parents ? En principe, les parents n’œuvrent-ils pas pour qu’une certaine égalité règne entre leurs enfants ? Veiller toute une vie à ce que chacun ne manque de rien et puisse s’épanouir pour ensuite s’entendre dire par l’un ou l’autre de leurs enfants qu’il s’est senti lésé parce que ceci ou pour cela… Ne serait-ce pas le signe d’une légère ingratitude ? Il est logique que les avantages dont chaque enfant a bénéficié diffèrent de celui de ses frères et sœurs ; et pour cause, chaque personne est différente. Les besoins de l’un ne sont pas nécessairement identiques à ceux de l’autre… L’aide que les parents procurent à leurs enfants est fonction de la personnalité de chacun, des aspirations qui lui sont propres, de ses projets de vie, etc. Dans cette perspective, les comparaisons faites par les enfants paraissent, selon Couples et Familles, malvenues. Si un enfant s’est effectivement vu favorisé, il est certain que les parents les mieux attentionnés – car ce sont probablement ce type de parents qui auraient tendance à recourir aux pactes successoraux – seraient capables de s’en rendre compte par eux-mêmes.

Peut-on vraiment parler d’inégalité ?

La réforme prévoit que la réserve des enfants, la part minimale de l’héritage à laquelle ils ont droit (peu importe leur nombre), s’élèvera à la moitié du patrimoine des parents. De ce fait, l’autre moitié (« la quotité disponible ») sera plus élevée qu’auparavant pour les personnes ayant au moins deux enfants [8], d’où plus de liberté pour les parents quant à la gestion de leur patrimoine.

Selon la Ligue des familles, ce procédé sera source d’inégalités et de conflits. La Ligue craint des « situations potentiellement plus inéquitables (…) avec des conséquences très importantes pour les enfants ».[9] Plusieurs cas de figures sont proposés, dont notamment la situation où un enfant de la fratrie hériterait, en plus de « sa part », des 50% de la quotité disponible… Autre exemple, la quotité disponible pourrait revenir aux « beaux-enfants », qui hériteraient dans ce cas peut-être davantage que les enfants biologiques de la personne. [10]

« Ces inégalités pourraient compliquer la liquidation des successions en renforçant le risque de conflits familiaux. Au final, qu’est-ce qui compte pour les enfants lorsqu’un parent décède ? Ce n’est pas tant l’héritage. C’est aussi d’être reconnu et d’être traité de manière équitable. Souvent, les enfants ne verraient pas d’inconvénient à ce que les demi-frères ou demi-sœurs reçoivent une part de l’héritage. » [11] écrit Patrick Binot, directeur général de La Ligue des familles.

L’opinion de Couples et Familles sur le sujet ne va pas totalement dans cette direction. En effet, quand un enfant perd un parent, ce qui importe n’est pas tant l’héritage – là-dessus, nous sommes d’accord – mais bien l’amour, la tristesse, le chagrin ; bref, les émotions… et les souvenirs. Le fait « d’être reconnu et d’être traité de manière équitable » ne relève pas nécessairement de l’organisation de la succession. Effectivement, l’enfant ayant perdu son parent peut se sentir reconnu et aimé sans que ne soit encore abordé la question de l’héritage. Pour ce qui est de l’équité, si enfant lésé il y a, celui-ci pourra peut-être tout à fait comprendre que son manque d’implication envers son parent, comparé à ses frères et sœurs (voire « demi-sœurs » / « demi-frères ») toujours prêts à se plier en quatre, justifie cette décision. Ne serait-ce pas le fait qu’il ait reçu autant que ces derniers qui soit vraiment inéquitable ? Pour Couples et Familles, la réponse tend vers le oui. La famille ne se limite pas aux statuts « enfant », « parent », « grand-parent »… ; mais aussi aux relations qui en unissent les membres. Il nous parait juste que les parents qui souhaitent d’une part valoriser des qualités telles que : le dévouement, la disponibilité, la bienveillance, l’appui… et d’autre part, désapprouver le manque de respect, l’intolérance, la violence, l’indifférence… puissent en avoir l’opportunité.

Couples et Familles considère que tout n’est pas dû à l’enfant sous prétexte qu’il est justement « l’enfant ». Alors que la Ligue des familles s’inquiète de ce que pourrait ressentir un enfant déshérité et soutient l’élaboration d’un cadre légal qui veille à ce que tous soient traités correctement (mais a priori, le « tous » concernerait d’avantage les « héritiers » que la personne décédée) ; chez Couples et Familles, nous trouvons concevable que les rapports entre parents et enfants impactent la succession, cela revient simplement à assumer les conséquences d’actes posés… Pour nous, la mort d’un parent ne devrait jamais être considérée comme une sorte de « jackpot ». Nous ne comprenons pas pourquoi les parents devraient veiller à ce que toute leur descendance soit mise sur un pied d’égalité dans le cas où les rapports que leurs enfants entretenaient avec eux étaient à mille lieux d’être égaux…

Pour conclure

Il semblerait que la loi, réformée ou non d’ailleurs, veille à protéger les familles – comme si elles étaient toutes coulées dans un moule quasiment identique où tout va bien dans le meilleur des mondes – mais dépossède incontestablement le principal intéressé de la faculté de choisir ce qu’il compte faire de ses avoirs. Les parents n’ont pas nécessairement de bons rapports avec leurs enfants, ces derniers ne se préoccupant peut-être pas le moins du monde de ce qui pourrait advenir de leur pauvre mère ou père… Dès lors, pourquoi ces parents devraient-ils concéder à ce que leurs économies soient remises à des personnes n’ayant aucune considération pour elles plutôt qu’à – par exemple – une voisine ayant toujours fait preuve de bienveillance à leur égard ; ou encore à une œuvre de bienfaisance chère à leur cœur ?

À croire que nos biens ne nous appartiennent pas totalement…

Notons aussi que, même si la loi veille à ce que les enfants reçoivent une partie du patrimoine de leurs parents, ceux-ci se verront tout de même également dépossédés, mais cette fois-ci, non pas d’une prise de décision, mais de sommes assez considérables d’argent : les droits de successions. Encore un moyen utilisé par l’Etat pour assurer son financement… et veiller à la redistribution des richesses. Mais ça, c’est un autre débat. [12]

 

 

 

 


 

[1] Ce que la réforme du droit successoral change pour vous |L’Echo. In : http://www.lecho.be/. Consulté le 16 août 2017.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] Notaire.be. La réforme successorale :  une plus grande liberté pour organiser votre succession. Communiqué de presse, 20 juillet 2017, 5 p. In : notaire.be. Consulté le 17 août 2017.
[6] Ibid.
[7] Ibid.
[8] Ibid.
[9] Succession : quand raison et sentiments font bon ménage. In :  https://www.laligue.be/. Consulté le 17 août 2017.
[10] Ibid.
[11] Ibid.
[12] Analyse rédigée par Audrey Dessy.

 

 

 

 

 

 

 

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