Analyse 2017-21

Il y a quelques mois, le Conseil Supérieur de la Santé proposait de généraliser le dépistage génétique des maladies graves en contexte de procréation. Bien que cette suggestion ait pour but de favoriser une conception d’enfants en bonne santé, celle-ci touche également à de nombreux questionnements éthiques. Couples et Familles a voulu s’y intéresser de plus près.

Un enfant, un rêve toujours plus maîtrisé ?

Avec l’évolution de la contraception et le développement des sciences, la procréation est devenue un acte de plus en plus désiré et programmé [1]. Certes, les naissances se veulent moins nombreuses mais elles sont davantage investies d’attentes de la part des futurs parents. « Pourvu que mon enfant soit en bonne santé, qu’il se sente heureux, réussisse bien à l’école, s’épanouisse avec autrui, n’échoue pas, ne souffre pas… ». C’est dans un contexte d’hyperparentalité que « certains parents très exigeants vis-à-vis d’eux-mêmes ont décidé de mettre au monde non pas un enfant, mais un enfant heureux et destiné à le demeurer jusqu’à la fin de leur vie ». Ces parents éprouvent le besoin d’ « assumer la responsabilité totale de la venue au monde de leur enfant, et se sentent, du même coup, responsables de tout ce qui lui arrive comme de tout ce qui pourrait lui arriver » [2]. C’est dans cette perspective parentale que se pose la question du dépistage généralisé pour les futurs parents : il s’agit d’envisager ce qu’il pourrait arriver à un être qui n’a pas encore été conçu.

Un test pour prévenir les maladies génétiques graves

De nombreux tests prénataux ont pour but d’observer et signaler les maladies et handicaps qui peuvent se développer chez le nouveau-né. Le test le plus connu reste le dépistage du syndrome de down ou plus communément appelé « trisomie 21 ». Ces tests ont lieu durant la grossesse et permettent aux parents de poursuivre ou non leur projet de parentalité en toute conscience de ce qui les attend une fois l’enfant né.
 
En ce qui concerne le dépistage des maladies génétiques graves, il consiste en une prise de sang avant toute conception de l’enfant ou pendant la grossesse. Chacun d’entre nous est porteur de deux ou trois gènes défectueux. La plupart du temps, ceux-ci ne causent aucun dommage à la personne ni à sa descendance lorsque ces gènes sont récessifs. Seulement, là où cela devient inquiétant c’est lorsque le même gène a muté chez chacun des parents. Le risque que leur enfant soit  atteint de la maladie est de 1 sur 4, et qu’il soit porteur sain de la maladie de 2 sur 3 [3]. Seulement, les parents ne peuvent être au courant de cela qu’après avoir effectué un test chromosomique (via la prise de sang). Actuellement, ce sont principalement les porteurs de maladies génétiques qui pratiquent ce type de tests, ils souhaitent évaluer la probabilité d’engendrer un enfant souffrant d’une maladie grave et décider de prendre ou non ce risque sur base de cette information.

La proposition du Conseil Supérieur de la Santé

Le Conseil Supérieur de la Santé propose de rendre ce test génétique généralisé à toute la population, au mieux avant la première grossesse ; ce qui implique que chaque parent ait la liberté de le passer ou non mais bénéficie d’un remboursement s’il décide de le faire (ce qui n’est pas le cas actuellement) [4].

Le dépistage viserait les maladies graves se déclarant chez l’enfant telles que « la mucoviscidose, l’amyotrophie spirale infantile, qui conduit à la mort de 80% des bébés avant leur premier anniversaire, ou encore la maladie « X-fragile », principale cause de déficience intellectuelle héréditaire » [5]. Le Conseil Supérieur de la Santé entend cibler les maladies « sur lesquelles on peut s’interroger sur le fait d’avoir ou non un enfant » [6].

Quels avantages à généraliser ce dépistage ?

Alors qu’à ce jour, le prix de ce test est assez onéreux (il coûte entre 600 et 1 200 euros [7]) et non remboursé,  il se verrait pris en charge par la société ; ce qui permettrait à tout un chacun d’y avoir accès. Le financement ne serait plus un frein pour les familles désireuses d’avoir toutes les informations en main avant de se lancer dans la grande aventure de la parentalité. Leur choix d’enfanter serait davantage éclairé et, par conséquent, responsable.

Ensuite, « cela permettrait d’identifier les risques chez les couples pour lesquels il n’existe à priori aucun risque familial connu de certaines maladies, ce qui permet d’accroitre les options en matière de procréation » [8]. En effet, dans  cette perspective, l’objectif serait de pouvoir permettre aux parents « de choisir et d’avoir des enfants en bonne santé » souligne Mme Verellen-Dumoulin [9]. Différentes alternatives leur seraient proposées afin qu’ils puissent prendre une décision en toute connaissance de cause. Ils pourraient décider d’avoir un enfant comme ils l’ont prévu initialement, à savoir naturellement, ou avoir recours à un dépistage prénatal sur le fœtus, ils pourraient également opter pour une fécondation in vitro ou encore faire appel à un organisme d’adoption [10].

Par ailleurs, effectuer ces tests avant toute conception de l’enfant protègerait la famille de souffrance émotionnelle liée à la décision à prendre de garder ou non l’enfant en cours de grossesse [11]. Cela éviterait également aux parents de vivre une détresse relative à un deuil précoce de leur enfant suite à une maladie grave.

Finalement, cette décision permettrait d’ « encadrer et d’éviter les dérives commerciales ». Différents tests génétiques sont déjà disponibles sur internet via des sociétés privées néanmoins leur fiabilité semble douteuse. En outre, aucune sécurité n’est garantie concernant les données génétiques fournies à ces entreprises [12]. Qu’adviennent-elles ?

Quels questionnements cela soulève-t-il ?

Tout d’abord, le Conseil Supérieur de la Santé soutient que ces tests consistent en une façon pour les parents d’obtenir un avis éclairé sur leur volonté de procréer et de leur donner plus d’autonomie en la matière. Toutefois,  cette proposition ne découle-t-elle pas d’un souhait de mettre au monde un être qui se veut à l’image de la société, performant et infaillible ? Qui plus est, jusqu’où évaluer la responsabilité des parents de donner la vie à des enfants en bonne santé ? 

De plus, pouvons-nous réellement nous assurer qu’aucun parent ne souffrira grâce à ce test, qu’aucun enfant ne vivra de maladie grave ou ne mourra? Certainement pas ! On tente de prendre de plus en plus de précautions face à la vie mais il y a parfois des évènements inévitables et d’autres totalement aléatoires qui échappent à notre contrôle. De nouvelles maladies génétiques, des morts prématurées, des accidents… qui n’impliquent aucune rationalité ou savoir scientifique préalable. Mais vivre c’est prendre un risque, le risque de faire face à notre condition humaine, à ses fragilités, à sa finitude et aux expériences de pertes et de souffrance qui en découlent.

Géraldine Mathieu souligne d’autres risques de dérives relatifs à la (r)évolution génétique : la « volonté d’amélioration de l’espèce humaine, d’éradication de la maladie, du handicap, d’eugénisme, l’instrumentalisation des corps, la chosification de l’enfant à naître… » [13]. Pour elle, le progrès de la science ne rime pas nécessairement avec le progrès de l’humanité. Elle ajoute également que ce qui nous rend humain c’est aussi cette part de hasard à la naissance. C’est cette acceptation de notre vulnérabilité qui nous rend si singulier.

Quant au Docteur Verellen Dumoulin, elle affirme que les parents garderont leur liberté de choix et que le secret médical permettra de rendre la décision des parents confidentielle. Cependant, ne risquons-nous pas de culpabiliser les familles qui ont « tenté le coup » sans faire de tests ? Ou bien de stigmatiser les familles dont l’enfant est malade, d’en déduire qu’ils n’ont pas été responsables ? Dans une société où l’on tend à éradiquer la maladie, celle-ci continuera-t-elle à être accueillie et soutenue lorsqu’elle surviendra là où on ne l’attendait pas ? Accepterons-nous encore la différence et aussi, agirons-nous toujours de manière solidaire si l’on considère que seuls les parents sont responsables de cette souffrance ? Dans un tel contexte, est-il encore possible de prendre une décision librement ?

En outre, ces tests sont-ils réellement issus d’une préoccupation qu’a le Conseil Supérieur de la Santé d’amoindrir la douleur vécue par les parents qui sont confrontés à la maladie de leur enfant ? Ou bien s’agit-il d’une manière de diminuer les coûts que ces maladies occasionnent à la société ? En effet, le traitement de celles-ci peut générer une importante charge physique, émotionnelle mais aussi financière. [14]

Notre position

Pour  « Couples et Familles », il nous semble que les décisions les plus responsables se prennent lorsque l’on bénéficie du plus grand nombre d’informations en main, qu’elles soient scientifiques ou autres [15]. C’est pourquoi, rendre ce test généralisé permettrait à un plus grand nombre de couples d’y avoir accès et de choisir librement d’y recourir ou non.

Néanmoins, nous pensons qu’il est important de questionner la démarche du Comité Supérieur de la Santé car à notre sens, il ne s’agit pas seulement d’offrir un nouveau dispositif à la population, il s’agit d’une direction que la société prendra et qui la fera évoluer en termes de procréation, de famille, de liberté personnelle et d’ouverture à la différence.

Finalement, nous sommes d’avis que cette proposition de test ne doit en aucun cas devenir une obligation ! Chacun doit pouvoir faire son choix en âme et conscience et décider de le passer ou non en fonction de ses critères de références et de ses valeurs. [16] 

 


Pour aller plus loin :

« Que pensez des tests génétiques », Analyse 2015-09, Couples et Familles.

 

 

 

 


 

[1] Le syndrôme d’hyperparentalité (le 24 avril 2016) In  http://www.lalibre.be/ (Consulté le 25 juillet 2017)
[2] Le syndrôme d’hyperparentalité (le 24 avril 2016) In  http://www.lalibre.be/ (Consulté le 25 juillet 2017) 
[3] Dépister les gènes de tous les parents (le 12 avril 2017) In http://www.lavenir.net/ (consulté le 25 juillet 2017)
[4] Dépister les gènes de tous les parents (le 12 avril 2017) In http://www.lavenir.net/ (consulté le 25 juillet 2017)
[5] Dépister les gènes de tous les parents (le 12 avril 2017) In http://www.lavenir.net/(consulté le 25 juillet 2017)
[6] Dépister les gènes de tous les parents (le 12 avril 2017) In http://www.lavenir.net/ (consulté le 25 juillet 2017)
[7] Ce test médical pour les futurs parents coûte jusqu'à 1.200 euros: il pourrait bientôt être remboursé (le 13 avril 2017) In http://www.rtl.be/ (consulté le 19 juillet 2017)
[8] Une approche responsable du dépistage génétique In https://www.health.belgum.be/ (consulté le 19 juillet)
[9] Dépister les gènes de tous les parents (le 12 avril 2017) In http://www.lavenir.net/ (consulté le 25 juillet 2017)
[10] Dépister les gènes de tous les parents (le 12 avril 2017) In http://www.lavenir.net/ (consulté le 25 juillet 2017)
[11] Une approche responsable du dépistage génétique In https://www.health.belgium.be/ (consulté le 19 juillet)
[12] Dépister les gènes de tous les parents (le 12 avril 2017) In http://www.lavenir.net/ (consulté le 25 juillet 2017)
[13] Bébé 2.0 ou la (r)évolution génétique ?  Géraldine Mathieu TED x UNamur  (le 28 février 2017) In  https://www.youtube.com/ (consulté le 27 juillet 2017)
[14] La Belgique en flagrant délit d’eugénisme  In http://www.genethique.org/ (consulté le 
[15] « Que pensez des tests génétiques », Analyse 2015-09, Couples et Familles. In http://www.couplesfamilles.be/
[16] Analyse rédigée par Aurelie Degoedt.

 

 

 

 

 

 

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