Imprimer

Analyse 2017-12

Notre avis compte-t-il ? L’opinion de tout un chacun pèse-t-elle un minimum dans la balance décisionnelle politique ? A-t-on réellement prise sur la façon dont la société se dessine ou sommes-nous condamnés à subir le poids des décisions prises par autrui ? Telles sont des exemples de questions que peuvent se poser bon nombre de citoyens à l’heure actuelle, où certains individus « haut placés » semblent se croire tout permis. Effectivement, nul ne peut nier que le climat politique ambiant, loin d’être au beau fixe, ne contribue guère à instaurer une relation de confiance entre « le peuple et les dirigeants ». Toutefois, le milieu politique ne se limite pas à une accumulation de scandales, dont on entend certes, inévitablement parler dès que l’on allume notre radio ou lorsque l’on ouvre un journal.

Ainsi, la politique, ce n’est pas qu’une superposition d’histoires de conflits d’intérêts, de corruptions, etc. La politique, c’est aussi la « colonne vertébrale » de la société dans laquelle nous vivons, d’où l’importance de s’y intéresser de près plutôt que de la dénigrer aveuglément. De fait, des décisions qui impactent aussi bien de manière directe qu’indirecte notre façon de vivre relèvent de la politique. L’enseignement, avec le pacte d’excellence [1] ; la famille, avec la réforme des allocations familiales [2] ; les transports, avec de nouvelles exigences sécuritaires ; l’environnement, avec l’interdiction du Round Up ; la santé, avec la modification des conditions pour le don de sang, etc. sont autant d’exemples d’immixtions de décisions politiques qui prennent (où prendront bientôt) vie dans notre quotidien.

Tout citoyen est indéniablement concerné par les problèmes que nos décideurs mettent à l’agenda, mais surtout par les mesures qui en découlent. Couples et Familles insiste sur l’importance d’une relation saine entre familles et politique ; mais pour cela, il est indispensable que le monde politique redore son blason. Pour l’instant, c’est une piètre image que celui-ci nous livre ; et l’affaire Publifin n’y est évidemment pas pour rien. Selon le "baromètre politique" RTBF-La Libre établi par Dedicated, huit à neuf francophones sur dix soulignent le caractère grave de cette affaire. En outre, la majorité des répondants considèrent que le monde politique fait passer ses propres intérêts avant ceux de la population et que la corruption y est incontestablement présente. Plus inquiétant encore, plus de 60% des wallons sondés n’attendent rien de la commission d’enquête, estimant que "les loups ne se mangent pas entre eux". [3]

Si les quelques hommes (et femmes) politiques véreux entachent la réputation de l’ensemble des politiciens, comment travailler main dans la main avec ces derniers pour faire en sorte que notre pays fonctionne au mieux ?

Jeunesse et citoyenneté

Et qu’en pensent les jeunes ? Quels rapports avec la politique entretiennent-ils ? Une étude publiée en 2015 par l’Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse, révèle que les jeunes adolescents sont tout à fait disposés à se mobiliser pour une cause, mais lorsqu’il est question d’engagement concret, moins de jeunes répondent présents. [4]

La mobilisation politique des jeunes ne diffère pas vraiment de celle des autres tranches d’âges de la population : leur intérêt pour la politique peut être qualifié de « modéré ». [5]

Remarquons que les moins de trente ans ne se sentent pas particulièrement capables de faire bouger les choses. Néanmoins, même si au niveau international très peu d’entre eux pensent pouvoir faire évoluer la société ; au niveau national, le pourcentage de personnes pensant pouvoir apporter du changement augmente ; et celui-ci croît encore quand il s’agit du niveau local où environ 30% des sondés estiment qu’ils peuvent contribuer à faire avancer les choses. [6] Pourcentage toutefois peu élevé…

Dans cette perspective, l’éducation à la citoyenneté, définie comme « l’éducation à la fois à la capacité de vivre ensemble de manière harmonieuse dans la société et à la capacité de se déployer à la fois comme personne et comme citoyen, sujet de droits et de devoirs, libre, responsable, solidaire, autonome, inséré dans la société et capable d’esprit critique et de questionnement philosophique. » [7] sur le site enseignement.be, prend tout son sens.

Cette éducation est plus qu’indispensable dans un contexte où, généralement, les jeunes ne se sentent que peu ou pas concernés par la politique, qu’ils associent d’ailleurs souvent à une image négative. Remédier à cette fâcheuse tendance s’avère nécessaire. C’est à l’adolescence que l’individu se construit, repère les valeurs qui lui tiennent à cœur et éventuellement, s’engage ; mais surtout, c’est à cette période que le jeune peut pour la première fois voter.

Loin d’être anodin, cet acte doit être préparé. Une connaissance du paysage politique de même qu’une prise de conscience des conséquences que pourraient amener certaines décisions sont indispensables pour effectuer un choix réfléchi.

Dès l’enfance, les questions politiques se doivent d’être discutées en famille. [8] Une éducation au « vivre ensemble » ne peut qu’être bénéfique aux plus jeunes et contribuer à ce qu’ils deviennent des adultes responsables et conscients des enjeux sociétaux.

Mais il ne revient pas uniquement qu’aux familles de conscientiser les plus jeunes à ces questions. L’école, bien sûr, doit également poursuivre cette mission ; mais en parallèle, il existe aussi plusieurs projets qui ont pour but d’éduquer les adultes de demain à la citoyenneté.

Ainsi, fin avril, un programme d’éducation citoyenne à dimension internationale (auquel Couples et Familles a contribué) était proposé à plusieurs élèves de l’enseignement secondaire de la Province de Namur. Ce type d’initiative permet aux jeunes de prendre le temps de la réflexion.

Pour que le dialogue entre les citoyens et le monde politique soit bon, qu’est-ce que – selon les jeunes – devraient faire les femmes et les hommes politiques ? Et eux, en tant qu’adolescents, que pourraient-ils faire ? Et leur école ? Par ailleurs, en tant que jeunes, pour favoriser le souci du bien commun ou du vivre ensemble, dans quoi pourraient-ils s’engager ? Toutes ces questions ont permis aux adolescents de se rendre compte que s’impliquer dans la vie en société constitue une sorte de devoir citoyen, et qu’il n’y a pas qu’en votant qu’il est possible de « faire bouger » les choses. L’adhésion à des mouvements de jeunesses, aux scouts, etc. constitue déjà une forme d’engagement dont ils n’avaient peut-être pas conscience auparavant. 

Autre exemple d’opportunité offerte aux jeunes pour se familiariser avec les enjeux citoyens : le Parlement Jeunesse ; ou autrement dit, une semaine d’immersion dans le monde politique. Ainsi, en février 2017, plus d’une centaine d’étudiants âgés entre 17 et 26 ans ont pu se familiariser avec la pratique professionnelle de nos décideurs en votant des projets (fictifs) de lois par exemple. [9] En participant à ce projet, ces jeunes citoyens prouvent que la jeunesse n’est pas incompatible avec l’engagement politique. Cependant un article de Paris-Match laisse entendre que parmi ces jeunes belges, certains auraient tendance à s’intéresser davantage à ce qui se passe ailleurs au niveau politique, en France ou aux USA par exemple, plutôt qu’à la complexité rebutante du système belge. [10]

La proposition du cdH : farfelue ou sensée ?

Pourquoi ne pas instaurer un « service citoyen » obligatoire pour concrétiser l’apprentissage du vivre ensemble et développer le souci du bien commun ? Une proposition de loi déposée fin mai par le cdH ose envisager cette solution. Concrètement (si le texte passe), en 2025, les jeunes âgés entre 18 et 30 ans auront l’obligation de se soumettre à un service citoyen qui se traduirait par minimum deux mois d’investissement dans un organisme actif dans « le service à la population » ; que ce soit dans le secteur de la santé, de l’environnement, etc. En outre, pour faciliter la vie des jeunes et éviter toute entrave à leur parcours professionnel ou à leur vie privée, ce système se veut particulièrement flexible. En effet, la réalisation de ce service citoyen pourra s’effectuer en plusieurs fois. [11]

Benoît Lutgen, président du cdH, rappelle que des milliers de jeunes réalisent d’ores et déjà des services de ce genre, notamment, les scouts. Sa volonté : encadrer ce type d’engagement citoyen en mettant sur pied un statut social. Chaque citoyen aura ainsi l’occasion de fournir un service à la communauté. Actuellement, la formule existe déjà sur base volontaire, mais comme celle-ci n’est pas réellement encadrée, les quelques (rares) intéressés se heurtent souvent à des obstacles d’ordre administratif. [12]

Dès lors, Couples et Familles estime que la mise en place d’un statut permettant de faciliter l’accès au « service citoyen » est une nécessité. Mettre des bâtons dans les roues de personnes désireuses d’œuvrer pour l’élaboration d’une société où il fait bon vivre parait hallucinant, même révoltant. De plus, il convient de faire connaître ce type de service. Il est probable que peu de jeunes soient au courant de l’existence de structures leur permettant de développer leur citoyenneté. D’après le site du service citoyen, 63% des jeunes sont demandeurs d’un Service Citoyen en Belgique, mais étant donné l’absence de statut, seuls quelques centaines de jeunes s’y essayent (alors qu’en France, en Allemagne, ou encore, en Italie, ils sont plusieurs dizaines de milliers). [13] Il parait donc injuste que les jeunes belges, contrairement à leurs homologues européens, ne puissent accéder à cette opportunité de contribuer à l’amélioration du vivre-ensemble, d’aller à la rencontre des autres, de se découvrir soi-même ; et surtout de s’insérer dans la société.

La proposition du cdH est donc pleine de sens et mérite d’être attentivement étudiée. Néanmoins, l’aspect « obligatoire » nous contrarie chez Couples et Familles. Favoriser l’accès au Service Citoyen, vivement recommander la participation à ce dernier et dynamiser la promotion de celui-ci auprès des jeunes est une chose (que nous soutenons de tout cœur) mais rendre ce service obligatoire en est une autre. Souvent, l’aspect contraignant enlève de la richesse à l’expérience. En outre, il ne faut pas oublier que les adolescents et jeunes adultes qui sont confrontés à bon nombre de difficultés, et ce depuis leur plus jeune âge est une réalité. Est-il réellement opportun d’imposer un Service Citoyen à un jeune qui vit dans des conditions socio-économiques difficiles ? Un jeune passant beaucoup de temps à s’occuper d’un parent malade sera-t-il sanctionné car il n’a pas « presté » son Service Citoyen ?

Il convient de garder à l’esprit que les associations n’ont pas le monopole du souci du « vivre-ensemble. » Les citoyens peuvent, à une échelle non institutionnelle, faire preuve de bonté et agir pour le bien commun, même si cela n’est recensé nulle part. Décider, lors d’une balade de ramasser les cannettes le long des routes ; ou encore, nettoyer les graffitis présents sur l’arrêt de bus en bas de chez soi : tels sont des exemples de services rendus à la population… Certes anonymement, mais bel et bien dans un esprit de citoyenneté. Ces actes, faits de bon cœur, ne sont-ils pas plus profitables à la communauté qu’un individu qui effectuerait son Service Citoyen avec des pieds de plomb ?

Prendre place au parlement

Être citoyens en 2017, c’est également avoir un avis sur différentes questions sociétales qui nous touchent de près ou de loin, aussi bien à l’échelon local qu’au niveau européen, et faire part de celui-ci aux décideurs politiques.

Ainsi, il y a quelques semaines, un panel de citoyens s’est intéressé à la thématique du vieillissement en Wallonie et a transmis ses conclusions au Parlement. [14] En invitant les citoyens à s’impliquer dans les discussions politiques, le Parlement de Wallonie illustre ainsi sa volonté de promouvoir la « démocratie continuée. » [15]

Quant aux questions européennes, le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles lance un appel à candidature – qui se clôturera le neuf juin prochain – auprès des francophones désireux de se prononcer sur l’avenir de l’Europe. Les nonante-quatre personnes sélectionnées participeront ainsi au Parlement citoyen ; projet de participation citoyenne d’envergure établi dans le cadre du 60e anniversaire du Traité de Rome. [16]

Bref, les citoyens ont largement les moyens de quitter leur statut de « spectateurs » des débats publics pour en devenir des acteurs à part entière. Mais encore faut-il que les citoyens croient en l’efficacité et en l’intégrité des processus décisionnels politiques. Pour que la confiance s’établisse avec le peuple, les hommes et femmes politiques se doivent d’incarner des exemples de droiture. Un tri s’impose donc afin d’éviter que les fruits pourris ne contaminent le reste du panier… [17]

 


Pour aller plus loin :

Si le Service Citoyen vous intéresse, n’hésitez pas à consulter le site internet : http://www.service-citoyen.be/

Envie d’en savoir plus sur le panel citoyen et d’accéder au compte-rendu des travaux ? Visitez le site : https://www.parlement-wallonie.be/

Notons qu’il est possible de s’inscrire au « Parlement citoyen » via le site internet du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles : http://www.pfwb.be/

 

 

 

 

 

 


 

[1] Voir à ce propos : Pacte pour un enseignement d'excellence : un projet (un peu trop) ambitieux ? Partie I : présentation. Analyse 2016-17 et Pacte pour un enseignement d'excellence : un projet (un peu trop) ambitieux ? Partie II : participation des enseignants et des élèves. Analyse 2016-18 ; rédigées par Couples et Familles.
[2] Voir à ce propos : Quelles allocations familiales pour les enfants de demain ? Analyse 2017-09 rédigée par Couples et Familles.
[3] Baromètre politique : l'affaire Publifin a été désastreuse pour l'image du monde politique. In : https://www.rtbf.be/. Consulté le 30 mai 2017.
[4] DIEU Anne-Marie, SWALUË Anne, VANDEKEERE Michel, « Mobilisation politique des jeunes francophones de Belgique », En’jeux, n°5, juin 2015, OEJAJ, Bruxelles.
[5] Ibid.
[6] Une jeunesse belge, militante ? In : http://www.levif.be/. Consulté le 30 mai 2017.
[7] Pourquoi l'éducation à la citoyenneté ? In : http://www.enseignement.be/. Consulté le 29 mai 2017.
[8] À ce propos, voir Famille et éducation au politique, dossier NFF n°117. Malonne : éditions Feuilles Familiales, juin 2016, 96 p.
[9] Parlement jeunesse : quand les jeunes pensent être utiles. In : https://www.rtbf.be/. Consulté le 30 mai 2017.
[10] Les jeunes Belges sont-ils plus intéressés par la politique étrangère ? In : https://parismatch.be/ Consulté le 30 mai 2017.
[11] Le CDH propose un service citoyen obligatoire pour les 18-30 ans : "L’Etat ne va pas rouvrir des dizaines de casernes". In : http://www.lalibre.be/. Consulté le 30 mai 2017.
[12] Ibid.
[13] Soutenir le Service Citoyen. In : http://www.secouez-vous.be/. Consulté le 30 mai 2017. 
[14] Parlement de Wallonie : un panel citoyen sur les enjeux du vieillissement. In : http://www.wallonie.be/. Consulté le 31 mai 2017.
[15] Panel citoyen. In : https://www.parlement-wallonie.be/. Consulté le 31 mai 2017.
[16] Un "Parlement citoyen" pour donner son avis sur l'Europe. In : http://www.matele.be/. Consulté le 31 mai 2017.
[17] Analyse rédigée par Audrey Dessy.

 

 

 

 

 

 

Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants