Analyse 2017-10

Acheter une maison : un projet auquel de nombreux belges aspirent. Mais voilà, très peu sont ceux qui peuvent débourser des centaines de milliers d’euros pour boucler la transaction en un tour de main. Une habitation est un bien pour lequel les acheteurs sollicitent généralement les banques pour un coup de pouce. C’est donc l’octroi d’un prêt de leur part qui permet l’accès au graal : le statut de propriétaire.

Il se pourrait pourtant que cette machine relativement bien rodée soit en train de vivre ses derniers jours. Un projet d’arrêté royal soutenu par Johan Van Overtveldt [1], ministre des finances, risque de transformer l’indispensable facilitateur d’accès à la propriété qu’est le crédit hypothécaire en un luxe que bon nombre d’entre nous ne pourrons pas se permettre. Ce ne sera donc plus l’accès à la propriété l’objectif premier pour lequel les belges économiseront, mais bien l’accès au crédit hypothécaire.

Fake news ?

Le durcissement des conditions d’octroi des crédits hypothécaires a fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines, tout comme une pétition lancée à ce sujet par Lotfi Mostefa, conseiller communal (PS) à Anderlecht. Titrée "Après la chasse aux chômeurs, la chasse aux propriétaires", celle-ci indique que le projet d’arrêté royal en cours de rédaction prévoit que les futurs acheteurs n’auront plus la possibilité d’emprunter que 80% de la valeur du bien immobilier qu’ils souhaitent acquérir ; et par conséquent, les 20% restant devront être déboursés de leur poche… auquel s’ajoutent aussi les frais de notaire et d’enregistrement qui s’élèvent généralement à 15% du prix d’achat.

Un exemple concret est d’ailleurs donné. Pour l’achat d’un appartement de 233 000 euros, au moins 80 000 euros seront nécessaires en fonds propres. La lecture de ces explications ne peut que susciter choc, colère, ou encore, indignation. Ainsi, en moins de dix jours, plus de 12 000 personnes ont signé cette pétition qui a été déposée au cabinet du Premier ministre, Charles Michel, en début de semaine. [2] 

Quoiqu’il en soit, il semblerait que ces informations soient erronées. Effectivement, fin avril, Charles Michel parlait de « fake news » et niait la préparation de cette mesure par le gouvernement. [3] Selon lui, il est faux de prétendre que les banques ne pourront plus prêter que 80% de la valeur du bien. [4] Apparemment, les restrictions des crédits n’ont même pas été discutées par le conseil des ministres. [5]

Pas de fumée sans feu

Assez difficile de démêler le vrai du faux quand plusieurs sources semblent se contre dire. Néanmoins, cette pétition ne sort pas de nulle part et la peur qui résulte de la soi-disant nécessité de disposer de 20% de fonds propres pour acquérir un bien immobilier n’est peut-être pas si injustifiée que cela.

Dans l’émission « À votre avis » diffusée le 7 mai sur la RTBF, Olivier Maroy (MR) explique que la Belgique, et plus spécifiquement la Banque Nationale, a été alertée par les autorités européennes qui ont constaté que les crédits hypothécaires bénéficiaient, chez nous, d’un certain succès et que celui-ci pouvait être synonyme de risque. S’en sont suivies des recommandations faites par la Banque Nationale, dont notamment, l’importance de constituer des réserves afin qu’une solvabilité soit garantie. Dans ce même débat, l’économiste Philippe Ledent apporte quelques précisions. La proposition de la Banque Nationale se baserait sur plusieurs constats. D’abord, une augmentation de la proportion de crédits générés à plus de 80%. Ensuite, une augmentation des prix de l’immobilier ; et enfin, un taux bas qui rend plus aisé les emprunts de sommes importantes. Dès lors, il semble important de gonfler les réserves lorsque les banques prêtent à plus de 80%, en cas de soucis. [6]

Un durcissement des conditions d’accès au crédit hypothécaire, suggéré par la Banque Nationale, semble donc bel et bien à l’ordre du jour de même qu’un projet d’arrêté royal allant dans ce sens. Alors, même s’il n’est a priori pas question d’interdire les prêts supérieurs à 80% de la valeur du bien, c’est « une augmentation du taux d'intérêt lorsqu‘un ménage emprunte un montant supérieur à 80 % de la valeur du bien concerné » [7] qui est vraisemblablement envisagée.

Une catastrophe pour les couples et les familles ?

Serons-nous supposés pouvoir économiser une somme d’argent non négligeable par nous-même, alors que la société dans laquelle nous vivons tend incontestablement à nous appauvrir ? Les droits de succession honteusement élevés, la redevance TV, ou encore, les droits d’enregistrement, sont des exemples indiscutables de ponctions sans gêne – ni scrupule – que subit assez souvent le portefeuille des Wallons.

Les citoyens désireux de devenir propriétaires seront pourtant amenés à effectuer un choix : économiser des dizaines de milliers d’euros afin de pouvoir prétendre à un crédit hypothécaire qui recouvre seulement 80% de la valeur du bien ou emprunter la totalité de la somme à un taux qui ne peut que refroidir les ardeurs des acheteurs potentiels… Bref, peste ou cholera, il faut choisir… ou tout simplement renoncer au rêve de posséder son propre logement.

Dans ces conditions, accéder à la propriété parait tout bonnement infaisable pour la plupart des citoyens de la classe moyenne. Effectivement, les plus nantis pourront toujours accéder assez aisément au titre de propriétaire ; et pour les personnes aux petits revenus, La Société wallonne du Crédit Social propose une formule de prêt hypothécaire social, l’Accesspack, dont 90% des bénéficiaires ont des revenus précaires. [8] Certes, plusieurs conditions [9] sont à remplir pour en profiter, mais jusqu’à 110% de la valeur du bien immobilier peut être empruntée. [10]

Et pour les personnes n’ayant ni accès à cette alternative ni ne pouvant se permettre un crédit hypothécaire classique car ne disposant pas assez d’économies, l’acquisition d’une maison semble fort compromise. Sauf peut-être si un processus de solidarité familiale est envisageable. Mais encore faut-il qu’il le soit ; et quand bien même, en arriver à un chamboulement dans les configurations familiales pour espérer un jour devenir propriétaire ne peut être considéré comme quelque chose de normal ni d’acceptable.

Nombreux seront les jeunes couples contraints de rester chez leurs parents pour ne pas « gaspiller » de l’argent en louant « provisoirement ». Jusqu’à quel âge les parents devront-ils assumer leurs enfants ? Est-ce normal que l’autonomie des jeunes soit constamment postposée ? Seront-ils capables de rembourser leur emprunt de leur vivant ? Si tant est qu’ils parviennent finalement à obtenir un prêt… N’y aura-t-il pas également un effet sur l’âge de survenue du premier enfant, qui est déjà bien plus avancé qu’auparavant ? Et n’oublions pas de souligner une influence probable sur le « mode d’habiter » ; habitats alternatifs (yourtes, etc.), colocation, copropriété, habitat groupé… (voir dossier NFF n°111 « Dis-moi où tu habites... »). [11]

Une multitude de cas de figure sont possibles. Certains jeunes pourront recevoir une aide financière de la part de leurs parents pour leur permettre de solliciter un crédit, d’autres n’ayant pas cette « chance » se tourneront peut-être, à contre cœur, vers la location d’un bien à long terme. D’ailleurs une importante demande risque d’inonder le marché locatif, ce qui impacterait peut-être les prix rendant d’autant plus difficile l’accès à la location…

Outre les jeunes ménages, les jeunes célibataires, les familles monoparentales et les familles recomposées seront aussi particulièrement touchées par ce durcissement des conditions d’octroi qui risque fortement d’amener avec lui un accroissement marqué des inégalités. [12]

Quelles solutions ?

Karine Lalieux, députée fédérale (PS), a fait part d’une proposition de loi dimanche dernier sur le plateau de la RTBF. Celle-ci diminuerait les frais de notaires pour les biens les moins chers et ce, dans le cadre d’une primo acquisition, étant donné que l’accès à la propriété constitue l’objectif poursuivi. [13]

Cependant, outre les frais de notaire, une action au niveau des droits d’enregistrement, qui s’élève à 12,5% en Région wallonne, [14] pourrait probablement faciliter l’acquisition de biens immobiliers aux citoyens. Cette taxe, qui en principe doit être payée par tout acheteur à l’Etat, s’avère être outrageusement élevée en Belgique, à en croire une étude effectuée par Deloitte et qui compare la pression fiscale liée à l’immobilier dans onze pays européens. [15] Cette demande d’abaissement de taxe parait donc tout à fait légitime.

De plus, les prix des habitations posent question. Tellement élevés que peu de jeunes peuvent se les permettre, ne faudrait-il pas les revoir à la baisse ?

Enfin, Couples et Familles estime que vu qu’il existe effectivement des cas où les jeunes restent tardivement chez leurs parents n’ayant pas les moyens de quitter le nid, leurs allocations familiales devraient perdurer jusqu’à ce qu’ils prennent enfin leur envol. Ce petit coup de pouce boosterait incontestablement leur épargne d’une part ; et permettrait, d’autre part, d’épauler leurs parents dont ils sont, quoi qu’on en dise, toujours à charge même si ceux-ci sont désormais trentenaires par exemple.

Bref, ce débat où « équilibre » du secteur bancaire et accès à la propriété sont au cœur des enjeux n’a certainement pas fini de faire entendre parler de lui. [16]

 


Pour aller plus loin :

Si le sujet vous intéresse, l’émission Débats Première du 11 mai 2017 diffusée sur La Première (disponible ici) tentait d’apporter une réponse à cette question : « Devenir propriétaire, un rêve bientôt réservé aux riches ? »

 

 

 

 

 

 


 

[1] Un arrêté royal pourrait causer une montée des taux de certains crédits hypothécaires. In : http://www.rtl.be/. Consulté le 20 avril 2017.
[2] Crédits hypothécaires - Une pétition contre la limitation du prêt hypothécaire remise au Premier ministre. In : http://www.rtl.be/. Consulté le 10 mai 2017.
[3] Ibid.
[4] Prêts hypothécaires : Charles Michel s’en prend aux "fake news". In : http://www.lalibre.be/. Consulté le 10 mai 2017.
[5] Crédits hypothécaires - Une pétition contre la limitation du prêt hypothécaire remise au Premier ministre. In : http://www.rtl.be/. Consulté le 10 mai 2017.
[6] À votre avis. « Accès à la propriété : de plus en plus difficile ? ». RTBF auvio, 7 mai 2017. 26 minutes. In : https://www.rtbf.be/. Consulté le 10 mai 2017. 
[7] Crédit hypothécaire : attention aux conséquences pour les jeunes ménages ! In : http://www.benoit-dispa.be/. Consulté le 10 mai 2017.  
[8] La Société wallonne du Crédit social, le coup de pouce pour devenir propriétaire. In : https://www.rtbf.be/. Consulté le 11 mai 2017. 
[9] Quelles sont nos conditions ? In : https://www.swcs.be/. Consulté le 11 mai 2017.
[10] La Société wallonne du Crédit social, le coup de pouce pour devenir propriétaire. In : https://www.rtbf.be/. Consulté le 11 mai 2017.
[11] Dis-moi où tu habites..., dossier NFF n°111. Malonne : éditions Feuilles Familiales, 2015, 96 p.
[12] Crédit hypothécaire : attention aux conséquences pour les jeunes ménages ! In : http://www.benoit-dispa.be/. Consulté le 10 mai 2017.  
[13] À votre avis. « Accès à la propriété : de plus en plus difficile ? ». RTBF auvio, 7 mai 2017. 26 minutes. In : https://www.rtbf.be/. Consulté le 10 mai 2017.
[14] Droits d'enregistrement en Région wallonne. In : https://www.notaire.be/. Consulté le 11 mai 2017.
[15] Etude Deloitte sur la fiscalité immobilière en Europe – 2e édition. Communiqué de presse. Diegem, le 3 janvier 2015. In : https://www2.deloitte.com/. Consulté le 11 mai 2017.
[16] Analyse rédigée par Audrey Dessy.

 

 

 

 

 

 

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