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Analyse 2016-15

 

La question de la gestation pour autrui est revenue dans le débat public à l’occasion de plusieurs événements récents. La Belgique ne l’interdit pas mais certains souhaitent légiférer à ce propos. Face à des opinions souvent très contrastées, comment évaluer les enjeux en présence et se faire une opinion critique ?

La Gestation pour autrui (GPA) : un magnifique cadeau [2] ou l’horreur au quotidien [3] ? Le magazine Femmes d’Aujourd’hui la présente comme un magnifique cadeau. Elle relaie le point de vue de médecins engagés dans ce type d’aide médicale à la procréation. Quant à l’horreur au quotidien, elle fait écho à des pratiques commerciales assez systématiques dans certains pays comme l’Inde, visant à fournir des bébés à des candidats parents moyennant paiement d’une somme d’argent. Entre ces deux opinions extrêmes, comment aborder la question de la GPA ?

De quoi parle-t-on ?

Le terme « gestation pour autrui » désigne les situations où une femme, la mère porteuse, accepte de porter et de mettre au monde un enfant pour un couple. Cette technique est normalement utilisée pour des femmes souffrant de pathologies utérines (absence d’utérus à la naissance ou suite à une hystérectomie, utérus non fonctionnel ou fibromes récurrents). L’ovocyte de la femme est fécondé in vitro par le gamète de son partenaire puis implanté chez la mère porteuse. En cas de pathologies particulières, les gamètes de l’un ou des deux parents peuvent être remplacés par ceux de donneurs extérieurs. 

On recourt également à cette technique pour les couples homosexuels masculins. L’ovocyte doit alors provenir d’une donneuse extérieure.  

L’actualité de la question

La question de la gestation pour autrui est revenue sur le devant de la scène en raison de divers événements.

Le premier est le dépôt de deux propositions de loi. La première [3] a été déposée par MM Jean-Jacques De Gught, Philippe Mahoux, Guy Swennen et Mme Christine Defraigne et consorts. La deuxième par Mmes Els Van Hoof et consorts [4]. Les deux visent à répondre à la demande de couples lesbiens qui conçoivent un enfant par procréation médicalement assistée (PMA), afin de faciliter la reconnaissance de la partenaire qui n’est pas la mère biologique comme co-mère. Dans ce cadre, la première proposition de loi envisage le cas des mères porteuses pour les couples homosexuels masculins, dans le but de mettre couples gays et lesbiens sur un pied d’égalité. La seconde, quant à elle, recommande d’attendre les résultats d’études menées sur le sujet avant de légiférer sur les mères porteuses [5].

Au niveau législatif, un autre événement a mis la question de la GPA au devant de la scène. Cela se passe cette fois en France, qui interdit la gestation pour autrui. Sur base de cette interdiction, la France refusait de reconnaître la filiation d’enfants nés de GPA à l’étranger. Le 26 juin 2014, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a jugé que la France pouvait interdire la gestation pour autrui (GPA), mais que l’intérêt de l’enfant, quel que soit son mode et lieu de conception, commandait que son état civil soit retranscrit par les états membres du Conseil de l’Europe. Et, après avoir examiné les conséquences néfastes du refus de transcription de l’acte de naissance d’un enfant né dans le cadre d’une GPA, la CEDH a jugé que : «[…], compte tenu des conséquences de cette grave restriction sur l’identité et le droit au respect de la vie privée des troisième et quatrième requérantes, qu’en faisant ainsi obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement en droit interne de leur lien de filiation à l’égard de leur père biologique, l’Etat défendeur est allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation.» Cette question de la gestion pour autrui a provoqué des réactions très passionnelles en France, avec notamment une nouvelle « manif pour tous » en octobre 2016. Le mot d’ordre de la manif ? Réclamer l’abrogation de la loi Taubira qui autorise le mariage pour les homosexuels et manifester son hostilité à la procréation médicalement assistée (PMA) et à la gestation pour autrui (GPA).

Enfin, en Belgique de nouveau, c’est la conférence « Men having babies », organisée les 24 et 25 septembre 2016 au Hilton Grand Place de Bruxelles, qui a provoqué de nombreuses réactions. Il s’agissait là clairement d’informer des possibilités pour les couples homosexuels masculins de recourir à la GPA, en offrant les services d’agences et de cliniques qui proposent de telles solutions. Cette conférence a provoqué l’opposition des défenseurs de la famille traditionnelle (Action pour la famille [6]), mais aussi des associations de femmes (Femmes Prévoyantes Socialistes) [7].

Les opinions en présence

L’évocation d’événements récents le montre déjà à suffisance : les opinions quant à la GPA sont souvent tranchées et opposées.

Les défenseurs de la famille traditionnelle y voient une nouvelle manière de saper les fondations de la famille, de mettre sur le même pied toutes les formes de famille et de donner accès à la parenté à des couples homosexuels, ce qu’ils considèrent comme un grave danger pour l’avenir des enfants impliqués.

Les associations féministes sont elles aussi généralement opposées à la GPA, parce que cette technique instrumentalise le corps des femmes pour répondre au désir d’enfant d’autres personnes. Elles estiment qu’en regard de toutes les inégalités subies par les femmes, les hommes homosexuels peuvent bien accepter de subir cette inégalité entre homosexuels hommes et femmes.

Les associations qui défendent les droits des homosexuels, quant à elles, demandent que la GPA soit encadrée juridiquement, afin que les couples gays puissent aussi y recourir, ce qui est rarement accepté en Belgique, les forçant ainsi à recourir aux services de cliniques étrangères.

Le droit et la situation en Belgique

En Belgique, la GPA n’est pas interdite et elle est pratiquée depuis les années 90 par trois hôpitaux : l’Hôpital de la Citadelle à Liège, l’Hôpital Saint Pierre à Bruxelles et l’Hôpital universitaire de Gand. Mais elle concerne essentiellement les femmes de couples hétérosexuels atteintes de stérilité. 

La convention que peuvent rédiger les parties a le mérite de rappeler à chacun ce à quoi il s’engage, mais elle présente le défaut de n’avoir aucune valeur juridique, puisque c’est un enfant qui est l’objet de la transaction.

L’insécurité juridique vient aussi du fait de la reconnaissance de la filiation de l’enfant à naître. Un enfant né d’une mère porteuse est automatiquement considéré comme son enfant et elle doit donc en principe l’abandonner à la naissance et le couple intentionnel s’engager dans une procédure d’adoption. Même dans ce cas, la mère porteuse dispose de 60 jours pour revenir sur sa décision. Le père intentionnel peut reconnaître l’enfant sauf si la mère porteuse est mariée, puisque dans ce cas la loi considère le mari de la mère comme le père, sauf s’il fait acte de désaveu de paternité. La mère intentionnelle, elle, même si l’enfant est né de ses ovocytes, ne dispose d’aucun lien juridique avec l’enfant. Elle doit attendre les 60 jours et entamer ensuite une procédure d’adoption de l’enfant dont son mari a été reconnu comme le père. On le voit, la situation n’est pas simple et présente beaucoup d’incertitudes juridiques. D’ailleurs, on estime que 200 cas seulement ont été traités en Belgique depuis 1997. 

GPA éthique et GPA commerciale

Les défenseurs de la GPA et ceux qui militent pour qu’elle soit encadrée par une loi font souvent référence aux différences fondamentales qui existent entre les GPA commerciales, qui impliquent des transactions financières et comportent donc le risque d’exploitation du corps de femmes fragilisées, et la GPA éthique, qui serait de l’ordre de l’altruisme. Candice Autun, responsable du centre PMA du CHU Saint Pierre rappelle que le centre ne propose pas de mères porteuses. « Contrairement à ce que croient certains couples, nous ne fournissons pas de mères porteuses, précise-t-elle. En Belgique, il ne s’agit pas d’un business. Les mères porteuses ne sont pas motivées par l’argent mais par le désir altruiste de donner à d’autres femmes le bonheur d’être mères, comme elles-mêmes le sont. Dans 60% des cas, elles appartiennent à la famille du couple et dans 20% des cas, c’est une amie proche. Il arrive parfois qu’un couple trouve sa gestatrice sur internet – et pourquoi pas à une époque où des couples se forment sur le net ?- mais s’il ne parvient pas à nouer avec elle une relation de confiance, rien ne sera possible ! » [8]

Quelles pistes pour l’avenir ?

On le voit, la question de la gestation pour autrui est une question complexe d’un point de vue humain, éthique et juridique, sans même évoquer la complexité médicale de l’opération. 

Elle met en question le désir d’enfant et ses limites. Jusqu’où le désir peut-il s’imposer comme un droit ? 

Elle met aussi en question l’instrumentalisation du corps des femmes, même si la manière dont elle est pratiquée en Belgique adoucit les risques liés à la transaction financière.

Elle pose des questions aux liens qui s’établissent entre les différents acteurs impliqués. Mais les anthropologues nous rappellent régulièrement que les liens de filiation peuvent connaître des applications fort inventives selon les époques et les régions du monde. 

Il semble en tout cas que les positions en noir et blanc, comme souvent dans les nouvelles questions éthiques, ne sont guère porteuses d’avenir. Interdire la GPA purement et simplement ne rendrait pas justice à la souffrance des couples confronté à la stérilité et dont le seul recours serait la GPA. En outre, cela pousserait les couples qui en ont les moyens financiers à recourir aux services de cliniques des pays d’Europe où cela est autorisé (Grande-Bretagne et Grèce) ou toléré (Danemark, Finlande et Pays-Bas). L’autoriser sans plus ouvrirait la porte à toutes les dérives. Et la situation actuelle, si elle rend la pratique possible, comporte tout de même son lot d’insécurités juridiques.

La solution sera donc à trouver sans doute dans un encadrement juridique qui dresse quelques balises essentielles tout en laissant aux comités locaux d’éthique le soin d’évaluer les situations au cas par cas, en cas de doute, afin que l’option prise soit la plus humanisante possible [9].

 

 

 

 

 

 


 

[1] Femmes d’aujourd’hui, 5/2015, pp. 34-37.

[2] Les Observateurs, 17/04/2016, www.lesobservateurs.ch.

[3] Projet de Loi portant établissement de la coparenté, Chambre des représentants, 3 avril 2014. Disponible sur www.lachambre.be.

[4] Proposition de loi modifiant le Code civil en ce qui concerne l’instauration d’un statut pour les coparents, Sénat de Belgique, 13 février 2014. Disponible sur www.senate.be.

[5] Voir à ce propos les Positions de l’Université des femmes, in Mères porteuses et GPA, Chronique féministe 117, 2016.

[6] www.belgicatho.hautetfort.com.

[7] www.femmesprevoyantes.be.

[8] Femmes d’aujourd’hui, 5/2015.

[9] Analyse rédigée par José Gérard.

 

 

 

 

 

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