Analyse 2016-14

 

Durant le mois de décembre, avec le passage du grand Saint-Nicolas et les festivités de Noël, les enfants sont souvent bien gâtés. Quel amusement ! Quel plaisir ! Mais jouer n’est-ce vraiment que cela : du plaisir et de l’amusement ?

Le jeu sert à divertir et à en tirer du plaisir mais pas que ! Jouer permet aussi le développement de compétences motrices, sociales, culturelles et cognitives nécessaires à la santé physique et psychique de tout individu. Quel que soit le milieu dans lequel il grandit, l’enfant a un besoin vital de jouer, tout comme il a besoin de manger ou de dormir. Quelle que soit la culture dans laquelle il évolue, l’enfant appréhende, comprend et s’approprie la réalité qui l’entoure à travers le jeu. Ce phénomène est universel.

Ce besoin est tellement fondamental et essentiel qu’il est d’ailleurs repris comme un droit dans la Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant : « art. 31 (loisirs, jeu et culture) : les enfants ont le droit de se détendre et de jouer en s’adonnant à un large éventail d’activités culturelles, artistiques ou ludiques [1] ».

Pourtant, dans la réalité des familles, plus l’enfant grandit, plus le jeu est mal considéré. Vers ce que l’on appelle « l’âge de raison », aux alentours de 7 ans, l’attitude des adultes vis-à-vis de l’enfant change. Désormais, on attend de lui plus de sérieux. Cette période coïncide avec l’entrée à l’école primaire et le début des apprentissages formels comme la lecture et les mathématiques. Les adultes attendent de l’enfant qu’il se concentre sur ces apprentissages et plus sur le jeu. Apprendre et jouer seraient, au regard du monde des adultes, inconciliables au point que si l’enfant joue, il n’apprend pas et s’il apprend, il ne peut pas jouer [2]. Or, contrairement aux apparences, les activités ludiques remplissent aussi des fonctions d’apprentissages qui font grandir les enfants. 

Jouer… c’est pour du sérieux !

Le jeu revêt de multiples formes. Il peut être libre, ne nécessitant aucun matériel spécifique sinon les choses et les décors du quotidien ainsi que l’imagination des enfants. Il peut être structuré et organisé, se jouer seul ou à plusieurs. Il peut être d’intérieur ou d’extérieur. Et cetaera Et cetaera ! Par conséquent, le jeu s’avère être aussi le vecteur de multiples apprentissages. Sans être exhaustif (on n’y parviendrait pas !), avançons quelques exemples.

Sur le plan personnel, jouer permet de découvrir son corps et ses limites, de faire l’expérience de sa propre identité. Cela développe la conscience de soi et de l’autre, ainsi que l’estime et la confiance en soi et en l’autre. En jouant, l’individu exerce ses facultés et découvre aussi ses faiblesses. Il découvre aussi des choses qu’il aime et d’autres qu’il apprécie moins.

Jouer permet aussi l’acquisition de compétences sociales non négligeables : respecter les règles, attendre son tour de jeu, accepter de partager, négocier ou coopérer, tenir compte du point de vue de l’autre… Voilà une série d’habilités essentielles à une vie en communauté harmonieuse et à l’exercice d’une citoyenneté responsable. De même l’éventail des valeurs dont les jeux sont porteurs est une richesse pour l’enfant qui grandit en les exerçant : justice, solidarité, tolérance, esprit d’entreprendre… Comme Pascal Deru l’avance dans son ouvrage « Le jeu vous va bien ! », les enfants assimilent progressivement une manière d’être au monde qui construit des vies plus humaines et des sociétés plus démocratiques [3].

Enfin, sans se prendre au sérieux, le jeu renforce le développement cognitif par d’autres voies que les méthodes d’apprentissage classique. L’enfant apprend donc à faire usage de ses connaissances en contexte. Sans forcément en être conscient, il compte, il fait des déductions logiques, il lit, il résout des problèmes complexes, il parle, il écoute, il imite, il expérimente, il découvre son environnement, il imagine, etc.

Pourquoi, nous, adultes avons-nous tendance à dénigrer le jeu au profit de l’apprentissage ? Pourquoi nous obstinons-nous à les opposer : le jeu étant associé au plaisir et à l’amusement, l’apprentissage au sérieux et la contrainte ? Cessons de concevoir les choses de manière dichotomique et acceptons l’idée que le jeu est source d’apprentissage et que l’on peut apprendre en s’amusant. A l’heure où l’école et le rapport aux savoirs sont difficiles pour un nombre croissant d’enfants. Le défi est important ! Redonner de l’importance au jeu, pour apprendre autrement et maintenir vivace le désir et le plaisir d’apprendre des petits même à un âge plus avancé.

Jouer… c’est entrer en relation !

Pour les adultes, jouer n’est malheureusement plus toujours un jeu d’enfant. Or, le rapport au jeu que développe l’enfant est influencé par sa famille et les adultes qui l’entourent au quotidien. Les parents ne savent pas toujours comment jouer avec leur enfant ou quelle place donner au jeu dans la vie de la famille et dans la maison. Ils sont parfois pris dans des tracas et des préoccupations qui les éloignent des activités ludiques. Bref, le jeu n’est pas familier pour tous et il pose question.

Dois-je jouer avec mon enfant ? Mon autorité de parent sera-t-elle affaiblie si je joue avec mon enfant ? Comment jouer avec lui et avec quoi jouer ? Est-ce normal si je ne trouve aucun plaisir à jouer avec mon enfant ? Faut-il toujours dire oui à son enfant ? Ne peut-il pas s’occuper seul ? Il déborde de jouets mais il s’ennuie, comment le satisfaire ? Faut-il ranger les jeux dans la chambre, dédier une pièce à l’usage de « salle de jeux » ou aménager les pièces de vie commune ? Etc.

Malgré toutes ces questions, jouer ensemble entre parent et enfant est une chose importante. Cela renforce indéniablement la qualité de la relation. Alors, si on ne sait pas trop comment s’y prendre et que le tête à tête nous met mal à l’aise, il faut saisir d’autres occasions de jeu dans la vie quotidienne. Il est plus facile de jouer à plusieurs, dans un espace social ouvert, comme le parc, la plaine de jeux, la ludothèque ou une Maison Verte [4], etc. Cela permet de regarder son enfant jouer, de souffler, d’échanger avec d’autres parents et de prendre plaisir à être avec son enfant en compagnie d’autres personnes. En effet, l’enfant n’a pas besoin que le parent soit un partenaire de jeu continuel. Sans jouer avec lui, on peut porter attention à son jeu, admirer ses prouesses et lui permettre d’avoir des espaces et des moments pour jouer tantôt seul et tantôt en interactions avec d’autres enfants ou adultes [5].

Dans une famille, les moments d’échanges ludiques avec les parents, avec les frères et sœurs, avec les cousins et cousines, les grands-parents, les oncles et tantes, les parrains, les marraines participent à créer des liens forts entre les individus.

Pour autant, loin de nous l’idée que l’adulte doit toujours occuper l’enfant et jouer avec lui. Ces moments privilégiés sont riches et nécessaires, mais l’enfant doit également parvenir à s’occuper et jouer seul sans la sollicitation permanente de l’adulte. Tout est une question de dosage et d’équilibre entre présence et absence contenante. Cela nécessite de laisser à l’enfant suffisamment d’espace et de temps de liberté et d’autonomie afin que le jeu s’opère, que la découverte et l’expérience soient rendues possibles [6].

Jouer… c’est pas mon genre !

Ces dernières années, segmentation marketing oblige, le jouet semble s’être donné un genre : il serait soit pour les filles, soit pour les garçons. Or, tout jeune, les enfants n’y prêtent pas attention. Peu leur importe la couleur ou le style de jeu. Peu leur importe qu’il soit plutôt féminin ou masculin pourvu qu’il serve l’amusement.

En réalité, très rapidement, ce sont les parents et l’entourage de l’enfant qui sexualisent leur proposition ludique et les jouets mis à disposition de l’enfant [7]. Parfois consciemment, parfois inconsciemment, les parents sont les premiers à véhiculer et à inculquer à leur enfant les stéréotypes de genre qui continuent de nourrir les inégalités entre les hommes et les femmes, mais aussi l’homophobie.

Bon nombre de parents sont inquiets lorsqu’ils constatent que leur enfant s’intéresse aux jouets destinés à l’autre sexe. Le malaise et la pression sont forts, surtout pour les petits garçons. Pour beaucoup d’adultes, offrir une Barbie, par exemple, à un petit garçon paraît impensable. Encore récemment, un papa était raillé et insulté sur Twitter [8] alors qu’il racontait que son fils avait demandé au Père Noël une poupée et que son souhait serait exaucé. Les réactions haineuses et homophobes ont fusé.

L’idée selon laquelle un petit garçon pourrait devenir homosexuel parce qu’il joue avec des jouets « de fille » est persistante. Or, de nombreux psychologues, psychiatres et autres spécialistes de l’éducation se sont penchés sur la question et l’on sait aujourd’hui que le type de jeu pratiqué dans l’enfance n’influence en rien l’orientation sexuelle des individus à l’âge adulte.

Par contre, quand une fille s’intéresse aux jeux de construction, aux petites voitures ou aux trains électriques, cela peut surprendre, on peut s’inquiéter qu’elle ne devienne « un garçon manqué », mais généralement, l’inquiétude est moins prégnante que pour les garçons.

Heureux les enfants qui ont la chance d’avoir une fratrie mixte ! Ils ont plus facilement accès aux jouets « de l’autre sexe » sans que cela ne soit suspect. Vivent les parents qui parviennent à prendre distance avec les idées préconçues et à adopter une attitude plus critique vis-à-vis des pressions sociétale et commerciale qui impriment dans nos comportements des stéréotypes de genre très codifiés. 

Jouer… c’est une forme de contestation !

Dans une société où la performance et l’efficacité apparaissent comme des figures de proue. Parents et enfants se doivent d’être toujours parfaits à tout point de vue. L’échec est mal perçu. Les nourrissons doivent faire rapidement leurs nuits et pleurer peu, les tout petits doivent être propres et bien sages, les plus grands studieux et serviables. Bref, des enfants modèles !

Le hic, c’est que le petit d’homme a besoin de temps et d’expériences pour grandir. Lorsqu’il sort du ventre maternel, il n’est pas abouti. Et c’est notamment en jouant qu’il peut petit à petit comprendre le monde qui l’entoure et y prendre place. C’est une démarche longue qui demande qu’on laisse à l’enfant la possibilité de faire des essais et surtout des erreurs. L’enfance n’est pas une maladie dont il faut, au plus vite, se débarrasser [9]. Considérer le jeu comme un moment privilégié où l’on peut essayer, se tromper, recommencer, se tromper encore… et finalement y parvenir ! Cela sonne comme une provocation. 

Vu sous cet angle, les parents qui laissent à leur enfant du temps pour jouer et ainsi se développer à leur rythme sont de véritables révolutionnaires qui contestent le règne de l’efficacité et de l’immédiateté. Laissons aux enfants le temps d’être des enfants. De jouer. De se salir parfois. De se barbouiller de chocolat, de peinture d’autres fois. De construire des cabanes. D’être tantôt un monstre sanguinaire tantôt un aviateur téméraire. D’empiler des briques pour fabriquer la tour la plus haute du monde. De grimper et de sauter. De dessiner même en dépassant des bords… Soyons fières d’eux et accompagnons les dans leur cheminement ludique en les encourageant sans les déposséder [10]. 

 

 

 

 

 


 

[1] Art. 31, Convention relative au droits de l’enfant, ONU, 1989, disponible sur www.unicef.org. Consulté le 5 décembre 2016.

[2] Sophie Marinopoulos, Jouer pour grandir, coll. Temps d’arrêt, Yapaka, 2015, p. 7.

[3] Pascal Deru, Le jeu vous va si bien !, Ed. Le souffle d’or, 2006, p. 293

[4] Les Maisons Vertes accueillent les tout-petits de la naissance à 3 ans, accompagnés d’un proche : père, mère, grand-parent…  Pour en savoir plus ou trouver une Maison Verte proche de chez vous, consultez le site www.lesmaisonsvertes.be.

[5] Jeu t’aime, Yapaka, 2013, p. 5. Cette brochure est un outil précieux pour les parents. Elle est disponible gratuitement sur demande auprès de la plateforme Yapaka : www.yapaka.be.

[6] Sophie Marinopoulos, Op.Cit., p. 24.

[7] Voir à ce propos l’analyse d’Isabelle Bontridder, « Les jouets pour enfant entretiennent-ils le sexisme ? », 2012-25, disponible sur www.couplesfamilles.be. Consulté le 5 décembre 2016.

[8] Sandra Lorenzo, « Un père achète une poupée à son fils pour Noël et reçoit une pluie d’insultes homophobes », in www.huffingtonpost.fr, 15/12/2016, Consulté le 5 décembre 2016.

[9] Sophie Marinopoulos, Op.Cit., p. 36.

[10] Analyse rédigée par Laurianne Rigo.

 

 

 

 

 

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