Analyse 2016-02

 

Depuis quelques semaines, la tension monte dans les écoles et les familles à l’approche des évaluations et autres examens de fin d’année. En primaire, le parcours se clôture avec les épreuves du Certificat d’Etudes de Base : le fameux CEB.

C’est hier que commençaient les épreuves du CEB dans les écoles primaires de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Plusieurs milliers d’enfants de 6e primaire s’attèleront durant les prochains jours (les 16, 17 et 20, 21 juin) à répondre aux questions des examens externes certificatifs. Ils seront évalués dans trois matières de l’enseignement fondamental : le français, les mathématiques et l’éveil (histoire, géographie, sciences).

Depuis 2009, les évaluations certificatives externes communes au terme de la 6e primaire sont une obligation pour toutes les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Jusque là, la fin du parcours primaire était sanctionnée par un certificat obtenu sur la base d’évaluations différentes selon les écoles et les réseaux. Certaines écoles participaient à l’examen cantonal organisé par l’enseignement officiel. D’autres établissements se soumettaient aux examens interdiocésains organisés par l’enseignement libre catholique. D’autres écoles encore fonctionnaient avec leur propre système d’évaluation. D’un établissement à l’autre, le niveau de difficulté et les exigences pouvaient varier. 

Dans ce système, la priorité était laissée à l’autonomie des établissements de choisir le mode de fonctionnement qui lui convenait le mieux. Le choix de l’école tant au niveau fondamental que secondaire étant lui aussi laisser à la libre appréciation des parents, chaque famille pouvait inscrire son enfant dans l’école qui lui convenait le mieux aussi. Sous l’effet de mouvements de gauche, une lame de fond a contribué à changer de perspective. Le système manquait de cohérence et les enfants n’étaient pas placés sur un pied d’égalité quant à l’obtention de leur certificat. Dans la nouvelle perspective, les évaluations externes certificatives ainsi que d’autres mesures (par exemple, le « Décret Inscriptions » qui limite l’autonomie des familles dans le choix de l’école) apparaissent comme la solution pour réduire les inégalités, susciter la mixité sociale et offrir à chacun les mêmes chances d’émancipation.

Avec les épreuves externes, tous les élèves sont soumis aux mêmes questionnaires, selon le même horaire sur tout le territoire francophone. Au terme de chaque épreuve, les copies sont acheminées auprès d’équipes de correcteurs externes à l’école. Là aussi l’objectif est de permettre des corrections plus objectives et plus justes en dehors de l’affect dont pourrait être influencé, même inconsciemment, un instituteur qui connait bien ses élèves. Pour décrocher le fameux CEB, il faudra obtenir au minimum 50% dans chacune des trois matières évaluées. En cas de résultats inférieurs, au regard de l’ensemble du parcours et du dossier de l’élève, c’est le conseil de classe qui décidera de décerner ou non le certificat. Cette année, les résultats seront communiqués aux écoles le 23 juin. 

Le CEB, une sorte de névrose collective ?

L’obtention du CEB est une étape importante dans la scolarité. C’est le premier « diplôme » du parcours scolaire. Il marque la fin de 9 ou 10 années de maternelle et primaire. C’est le précieux sésame nécessaire au passage vers l’enseignement secondaire. On pourrait dire une forme de rituel entre l’enfance et l’entrée dans l’adolescence [1]. Les enjeux sont de taille tant au niveau de la famille, que de l’école ou de la société. Cependant, cela justifie-t-il un tel « ramdam » ?

Depuis le mois d’avril parfois, la presse quotidienne est en alerte : « Réviser vos maths avec Le Soir » ; dans les journaux du groupe Sudpresse, « Une semaine pour s’entraîner au CEB » ; pour L’Avenir, « CEB : faites le test ». Et chacun y va de son supplément spécial. Pour Le Soir [2], ce fut « Objectif CEB. Toute cette semaine, Le Soir vous aide à préparer le CEB ! ». Ainsi pour chaque jour de la semaine, le quotidien propose une compilation des exercices les plus pertinents pour se préparer. L’Avenir [3] fait pareil en collaboration avec le Journal des Enfants : « Dès ce mercredi avec L’Avenir, aidez votre enfant à réussir ses examens de 6e primaire. A moins de 2 mois de cette période cruciale, voici un moyen ludique pour réviser en famille. ». Chez Sudpresse [4], pendant une semaine, on « publie des exercices des années précédentes pour aider votre enfant à réussir ! ». Chaque jour, dans les journaux La Meuse, La Nouvelle Gazette, La Province, Nord Eclair et La Capitale, « 3 pages d’exercices par jour issus des tests des années précédentes, plus les correctifs. Maths, français, histoire, géographie et sciences, votre enfant a tout pour réussir. Bon entraînement ! ».

Passées les vacances de Pâques, on croirait presque à une véritable névrose collective. Le stress s’installe dans les familles et la pression monte sur les épaules des enfants. Les médias, les maisons d’édition et autres ateliers de soutien scolaire lancent leurs campagnes, créent l’angoisse en faisant du CEB toute une montagne et en récoltent les fruits. Depuis que les épreuves sont obligatoires, tout ce petit monde tente d’en tirer un maximum de profit. C’est le jeu, ce sont les effets mercantiles du système [5]. Mais nous tenons à le mettre en avant car nous en subissons tous les conséquences perverses. A notre sens, toutes ces propositions suggèrent que l’école ne suffit pas à préparer les élèves aux épreuves certificatives externes. Au contraire, ces propositions laissent penser que la famille, et les parents en particulier, doivent combler une défaillance du système scolaire afin d’armer aux mieux leur progéniture pour la réussite. Le risque évident que nous courrons à entrer dans cette logique est d’une part, d’affaiblir l’école dans son ambition de réduire les inégalités entre les élèves, d’autre part, de priver la famille d’un rôle essentiel, celui d’être un lieu de détente, de délassement et de repos.

La famille : lieu de détente et de repos

Les examens angoissent autant les parents que leurs enfants. Pour les épreuves du CEB, la pression est encore plus grande. Pour les enfants, les enjeux sont importants. Tout d’abord, ce certificat leur ouvrira les portes de l’enseignement secondaire. Ensuite, cela pourra renforcer l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes et leur confiance en eux en cas de réussite. Réussir une épreuve commune à tous et effectuer ce passage en se sentant appartenir à l’ensemble, c’est quelque chose de très significatif et dont on peut être fier. Enfin, une telle réussite rend aussi les parents fiers de leur enfant. Cela représente un moment particulier dans la relation.

Si la réussite scolaire de leur enfant est un véritable enjeu également pour les parents parce qu’ils ont conscience de l’importance de l’école, ils doivent éviter au maximum de communiquer leur crainte. L’angoisse de l’échec peut effrayer les enfants. Inutile d’y ajouter le stress parental : montrons-lui notre confiance en lui, exprimons-lui notre affection, disons-lui que nous ne doutons pas de ses capacités à réussir. Usons du renforcement positif en lui remémorant ses réussites précédentes et en félicitant ses efforts. Soyons à l’écoute et disponibles pour répondre à ses incertitudes.

Par exemple, il est inutile d’étudier à la place de son enfant ; c’est lui qui présente l’examen ! Alors, en tant que parent, nous pouvons le soutenir en lui offrant à la maison un cadre équilibré et calme. Certes c’est essentiel en tout temps, cependant, avant et pendant les épreuves, veillons davantage à préserver cet équilibre. Être bien reposé en allant se coucher tôt et en se levant tôt. Avoir de l’énergie en mangeant équilibré et à heures régulières. Réviser, mais aussi s’amuser et se détendre ! Une petite balade à pied ou en vélo permettra à tous de s’aérer les neurones et de passer un bon moment en famille ; une sortie à la piscine ; une partie de jeu de société ; écouter un bon album et pousser la table de salon pour danser un peu. Enfin, prenons garde aux compléments alimentaires proposés pour améliorer la concentration, la mémorisation,… Le repos, une alimentation saine et variée et se détendre sont les meilleurs moyens de mettre son esprit dans de bonnes conditions de travail.

Il faut toutefois relativiser et garder à l’esprit qu’un élève de 6e primaire est encore jeune. Il ne faut pas confondre « révisions du CEB » et « blocus de session universitaire ». La période est importante et les épreuves sont à prendre au sérieux, mais nous pensons qu’il faut avoir confiance en l’école et dans le travail régulier effectué sur l’ensemble du parcours.

L’école : lieu de travail et de réussite

Dans les écoles fondamentales, les épreuves du CEB sont un moment important. Sur le plan logistique, cette période demande une organisation particulière afin d’assurer la bonne tenue des sessions selon les recommandations de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce côté formel et procédurier, dont les élèves ne sont pas toujours familiers, ajoute quelque peu au stress ambiant. 

Du côté des enseignants, l’enjeu est grand. La réussite de leurs élèves, c’est un peu la leur également. C’est une forme de satisfaction personnelle et de reconnaissance du travail accompli tout au long de la scolarité des enfants. En effet, le CEB ne sanctionne pas la réussite d’une seule année, mais bien celle de tout un parcours. C’est donc l’aboutissement d’un travail régulier au cours de trois ou quatre années de maternelle et six années de primaire. Par conséquent, même si elles y contribuent, les révisions sont moins la clé de la réussite que le travail régulier.

Par ailleurs, nous pensons que les enseignants et les directions ont aussi un rôle à jouer auprès des familles. Dans le climat tendu qui entoure le CEB, la communication avec les parents est primordiale. Nous pensons que l’école peut réaffirmer son rôle clairement, en garantissant aux parents la qualité des révisions et en annonçant leur rythme. Nous pensons que l’école peut aussi faire quelques recommandations aux parents sans contribuer à la névrose généralisée, en disant à quel point il est important que « la maison » soit avant tout un lieu de quiétude et de relâchement de la tension intellectuelle vécue à l’école. Ainsi, l’une et l’autre partie, école et parents seront des partenaires efficaces pour soutenir au mieux les enfants lors de l’étape importante du CEB.

Une épreuve commune pour réduire les inégalités scolaires. Vraiment ?

Parmi les ambitions du « Décret Missions [6] » de 1997, nous retenons plus particulièrement les deux suivantes : 1) amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle ; 2) assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale.

Pour atteindre ces objectifs, le « Décret Missions » définit un socle commun de compétences qui représente en quelque sorte le « programme » à enseigner aux élèves. Pour les enseignants, cela a représenté un défi majeur. Cela a nécessité de modifier les méthodes d’apprentissage et donc leur manière de travailler avec les élèves. Depuis 2009, on peut dire que l’évolution est positive et que le défi a été relevé. En effet, les méthodes d’enseignement et d’évaluation qui prévalaient auparavant n’étaient pas toujours en adéquation avec l’approche actuelle. Aujourd’hui, le CEB cherche à évaluer l’acquisition de compétences. Cela signifie que les élèves doivent être capables de mobiliser des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être dans des situations concrètes. Explorer la documentation de manière pertinente et résoudre des problèmes efficacement en mettant en œuvre connaissances et techniques apprises, c’est là l’objectif.

Depuis quelques années, neuf élèves sur dix obtiennent le CEB. Pour autant peut-on qualifier notre système scolaire fondamental d’ « école de la réussite » ou, comme l’avancent certains détracteurs du CEB, d’ « école du non échec » ? Peut-on dire que les épreuves du CEB contribuent à réduire les inégalités ? Les élèves sont-ils égaux face aux épreuves s’ils reçoivent les mêmes questionnaires d’évaluation ?

Si l’on considère le socle commun de compétences comme un minimum à atteindre pour tous, comment interpréter que l’on fixe la réussite des épreuves à 50% ? Sortir des évaluations avec 50% signifie que l’on a acquis seulement la moitié des compétences que l’on jugeait pourtant impérative pour tous. Tous les élèves qui obtiennent le CEB peuvent-ils prétendre maîtriser les compétences fondamentales attendues en fin de primaire ? Il y a une grande différence entre celui qui réussit avec une moyenne de 54% et celui qui réussit avec 93%. Ces élèves n’aborderont pas l’enseignement secondaire avec les mêmes chances. Or, dans les familles, on serait tenté de penser que le fameux sésame en poche, tout est joué !

Le système a ses failles, celle-ci en est une. D’une part, avec un taux de réussite aussi important, on peut penser que l’objectif du « Décret Missions » de promouvoir la confiance en soi des élèves est atteint. Nous l’avons dit plus haut, c’est une étape importante et il est très douloureux et destructeur pour un élève de ne pas parvenir à la franchir avec ses camarades. L’échec scolaire coûte cher à la société au sens propre, il coûte cher aux individus, élèves et parents, au sens figuré car il entame la confiance en soi et l’estime de soi et peut parfois briser des parcours et freiner le développement personnel. D’autre part, il faut rester lucide et considérer le CEB comme une étape et non une fin en soi. Profiter de cette occasion pour poser un « diagnostic » sur le parcours de l’élève et pour repérer ses fragilités éventuelles afin de le soutenir dans la suite de sa scolarité. Aujourd’hui, nous pensons que l’un des défis importants de l’enseignement est d’aborder la transition entre le primaire et le secondaire.

Le système scolaire peine à soutenir les élèves fragilisés et le plus souvent l’écart ne fait que se creuser durant leur parcours. Il existe une brisure entre l’école fondamentale et l’école secondaire. L’organisation de l’école, le cloisonnement des disciplines, la formation des enseignants, les codes culturels… représentent un obstacle pour tous les élèves. Pour les plus fragiles, c’est une difficulté qui s’ajoute à celles déjà présentes. 

De plus en plus, on remarque une externalisation de l’accompagnement scolaire en dehors de l’école. Si toutes les familles sont conscientes de l’importance de l’école comme chance d’émancipation et d’insertion socio-économique, elles ne sont pas toutes outillées pour accompagner leurs enfants sur cette voie. Dans les familles qui connaissent les codes scolaires, soit elles pallient elles-mêmes les faiblesses du système, soit elles trouvent des relais extérieurs à la famille et à l’école pour y remédier. Le plus souvent ceci engage des moyens financiers dont les familles de milieux modestes ne disposent pas toujours. Enfin, certaines familles ne disposent pas des moyens intellectuels, culturels et/ou financiers pour identifier les difficultés de leur enfant et trouver du soutien. Alors ces enfants subissent le déficit socio-économique et culturel de leur famille. Il est urgent que l’école reconquière la confiance des familles en proposant un système de remédiation et de soutien efficace. Au même titre que le socle commun de compétences, que les systèmes d’évaluation externes développés progressivement tout au long du parcours, nous pensons que c’est une nécessité pour rendre notre système scolaire plus cohérent dans la visée de ces objectifs d’égalité des chances pour tous [7].

 

 

 

 

 


 

[1] Dans un dossier récent, Couples et Familles constatait le déficit de rituels de passage à l’adolescence dans nos sociétés modernes occidentales. Le CEB serait-il une réponse à ce manque ? Voir Nouveaux Rituels, dossier n°113 des Nouvelles Feuilles Familiales, 2015, www.couplesfamilles.be.

[2] Supplément du journal Le Soir, « Objectif CEB », in Le Soir, 25/04/2016.

[3]  Voir les journaux L’Avenir du 27 au 29 avril 2016.

[4] « Une semaine pour s’entraîner au Certificat d’Etude de base : Sudpresse publie des exercices des années précédentes pour aider votre enfant à réussir ! », sur www.sudinfo.be, le 26/04/2016.

[5] Rappelons que si vous voulez comprendre par quel type d’examen va passer votre enfant et comment il sera interrogé dans les différentes matières certificatives, il n’est pas utile de faire des frais à grand renfort de supplément presse, manuels et compagnie. La Fédération Wallonie-Bruxelles publie chaque année sur son site au format PDF tous les questionnaires depuis 2007 ainsi que les correctifs : www.enseignement.be.

[6] Décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre.

[7] Analyse rédigée par Laurianne Rigo.

 

 

 

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