Analyse 2011-08

L’adolescence n’est pas une période facile. Le corps du jeune se transforme. Sa façon de voir le monde se modifie. Les relations qu’il entretient avec ses parents changent. Parfois, le jeune souffre et ne sait plus que faire pour se sentir mieux. Alors, il pense au suicide.

 

Durant l’adolescence, le jeune qui évolue est soumis à de fortes pressions internes et externes. Tant bien que mal, il tente de se débrouiller avec tous ces changements. Souvent, les choses se passent relativement bien. Mais parfois, l’adolescence emprunte un chemin très chaotique. Certains jeunes sont alors traversés par l’idée de vouloir maîtriser cette vie qu’ils n’ont pas choisie et pensent alors au suicide. En voulant s’ôter la vie, ils veulent témoigner du fait que cette vie est la leur, et qu’ils en sont les seuls maîtres. « Je ne voulais pas mourir, juste me tuer. »

Une pression physique intérieure insupportable

Comment un adolescent peut-il en arriver à penser au suicide ? En fait, le jeune qui a des idées suicidaires vit une tension physique intérieure très importante. Ses perceptions émotionnelles sont chamboulées à tel point qu’il n’est plus tout-à-fait en état de penser et de réfléchir. Il n’est plus capable de peser le pour et le contre. Soumis à une pression terrible, il n’attend plus qu’une seule chose : que cette souffrance s’arrête. Alors, il pense au suicide et en parle autour de lui. Tant qu’il en parle, c’est rassurant. Quand une personne arrive à mettre des mots sur sa souffrance et parvient à dire qu’elle a envie de se suicider, elle dit aussi (sans s’en rendre compte) qu’elle voudrait bien qu’on l’aide à ne pas le faire.

La goutte d’eau qui fait déborder le vase

Avec le suicide, on ne peut pas faire de généralités. Chaque suicide ou tentative de suicide est une histoire particulière. Les idées de suicide, les comportements suicidaires ou le suicide abouti représentent, à chaque fois, une histoire singulière. Bien sûr, même si les comportements suicidaires ne sont jamais les mêmes, certaines constantes peuvent être dégagées. Par exemple, un adolescent ne se suicide jamais parce qu’il a perdu son petit copain ou sa petite copine ou parce qu’il a eu un mauvais bulletin. Il s’agit de la goutte qui a fait déborder le vase. Et si le vase déborde, c’est qu’il était plein au préalable. Mais plein de quoi ? La difficulté, c’est que l’adulte ne peut pas voir à travers ce vase et que l’adolescent qui souffre ne sait pas toujours lui-même ce qui se trouve dans ce vase.

 « Le suicide, c’est pour les lâches »

Il est très difficile pour un adolescent qui va mal d’aller vers l’autre et de lui dire : « Je ne vais pas bien. J’ai envie de me suicider ». Le jeune qui ose se confier prend, en fait, de fameux risques. Pourquoi ? Parce qu’il existe une multitude de représentations autour du suicide. Certains pensent que c’est un acte lâche, facile et égoïste. D’autres trouvent plutôt que le suicide est un geste courageux. Il existe une multitude de jugements autour du suicide et bien sûr, les adolescents qui vont mal le savent. Ils ont déjà entendu ces jugements à de multiples reprises. Comment pourraient-ils oser se confier et parler de suicide alors qu’au préalable, ils ont déjà entendu toute la puissance des jugements qui lui sont liés ? Le jeune va-t-il s’épancher et prendre le risque de se faire taxer de lâche ? La réponse est non.

 

« Le suicide, c’est pour les fous »

 

Une autre représentation consiste à penser que le suicide, c’est pour les fous. Le jeune qui se sent mal dans sa peau et qui a des idées suicidaires n’osera pas prendre le risque de se confier – et donc de passer pour un fou – en disant qu’il pense au suicide. Il se retrouve donc face à une insupportable solitude.

 

Le suicide des jeunes fait extrêmement peur aux adultes

 

Lorsqu’un adolescent se suicide, cela provoque toujours un choc. La jeunesse ne fait jamais bon ménage avec la mort. L’adolescent était au début de sa vie. Il était dans le commencement de son existence et avait encore tout à construire. Au-delà de la jeunesse, il est aussi difficile de se représenter la violence terrible que le suicide engendre. La personne qui se suicide retourne une extrême violence contre elle-même. Cette violence repart ensuite vers l’entourage : les proches, la famille, l’école. L’adulte a donc extrêmement difficile à entendre un jeune lui dire « Moi, je ne vais pas bien », car il ne sait pas quoi faire. Il se sent démuni. Il est paniqué car derrière cette communication, il entrevoit le mot « mort ».

 

Suicide des adolescents : l’enseignant doit être préparé

 

« Dans le centre de prévention du suicide dans lequel je travaille, nous avons décidé d’aborder la prévention du suicide en travaillant avec des adultes qui sont en contact direct avec des jeunes », explique Béatrix Lekeux, psychothérapeute et formatrice au Centre de Prévention du Suicide . « Il faut que l’adulte sache comment réagir face à une communication pareille, surtout un vendredi à 16h, la veille d’un congé de Carnaval ou de Toussaint. C’est souvent à ce moment-là que les adolescents lâchent quelque chose d’inquiétant. » Bien sûr, l’enseignant ou l’éducateur ne peut pas prendre les choses en main tout seul. La structure de l’école doit réfléchir sur ce sujet bien avant qu’un élève se mette à parler de suicide. « L’enseignant doit pouvoir se référer à quelqu’un », commente Béatrix Lekeux. « De plus, il faut qu’au préalable, l’adulte ait travaillé sur les représentations qu’il se fait du suicide. » Car si un enseignant pense que le suicide est un acte lâche, il dira à l’adolescent qui vient se confier à lui : « Mais enfin ! Secoue-toi ! Tu ne vas pas faire ça à tes parents quand même ! » Erreur. Il devrait prendre les choses de manière différente : « Ce que tu me dis me touche. C’est grave et important. Asseyons-nous et explique-moi ce qu’il se passe pour que tu sois prêt à te donner la mort ». L’enseignant ne doit surtout pas travailler dans l’urgence, mais plutôt prendre le temps.

 

Mais attention, l’adulte ne doit pas non plus devenir inquisiteur. L’enseignant n’est pas un psychologue. Il est le premier témoin, celui qui reçoit la communication et il doit prendre les choses en main pour transmettre cette information aux organes compétents (le PMS, par exemple). Son rôle est de conduire l’adolescent vers les personnes qui sont aptes à gérer son mal-être en lui disant : « Tu vas très mal et je vais chercher avec toi des moyens pour que tu te sentes mieux ».

 

Et quand le jeune ne parle pas ?

 

Certains jeunes ne parlent pas et il est impossible de les forcer à le faire. Que faire ? De la prévention dans la subtilité. Dans un premier temps, il faut observer le jeune. Lorsqu’un enseignant constate que l’un de ses élèves change et qu’il n’a pas l’air d’aller bien, il peut le lui dire : « J’ai remarqué que ton attitude a changé. Tu as l’air plus triste, plus lent » Le jeune va se sentir reconnu : il existe pour quelqu’un, il n’est pas seul. En agissant de cette manière, l’enseignant lui donne la possibilité de s’exprimer et c’est alors lui qui fait le choix de s’exprimer ou pas. Même s’il ne le fait pas tout de suite, il sait désormais qu’il peut le faire.

 

Utiliser son pouvoir

 

Bien sûr, si le jeune continue à aller mal et qu’il ne bouge pas, l’enseignant peut revenir vers lui. Il ne s’agit pas de devenir harcelant, mais de continuer à lui montrer qu’il se préoccupe de lui. « Il n’y a pas de phrase qui permette d’enlever la douleur de l’autre, de la supprimer, ou de lui mettre d’autres idées dans la tête », explique Béatrix Lekeux. « Chacun a du pouvoir sur lui-même, pas sur l’autre. Alors, utilisons notre pouvoir. Prenons ce risque dans la relation de dire à l’adolescent que l’on voit qu’il souffre et que l’on s’offre à lui pour qu’il puisse s’appuyer sur nous. »

 

Il n’est pas possible d’empêcher un adolescent d’être mal et de penser au suicide. Mais les personnes et les institutions avec lesquelles il est en contact peuvent lui offrir des lieux où il peut exprimer son mal-être et trouver pistes pour essayer d’y répondre. C’est le rôle des parents et des autres adultes de son entourage, des enseignants, mais aussi des associations diverses dans lesquelles il est inséré .


  • Centre de Prévention du Suicide, Avenue Winston Churchill, 108 – 1180 Bruxelles, tél 02/650.08.69, http://www.preventionsuicide.be
  • Texte rédigé par Isabelle Bontridder (Couples et Familles), au départ de la rencontre-débat animée par Béatrix Lekeux, psychothérapeute, formatrice au Centre de Prévention du Suicide. Cette rencontre débat était organisée dans le cadre des Midis de la Famille proposés par l’échevinat de la Famille de la commune d’Ixelles, en partenariat avec différentes associations, dont Couples et Familles.

 

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