Analyse 2014-11

Face aux diverses crises qui touchent le monde contemporain, qu'elles soient économique, écologique ou politique, nombreuses sont les personnes qui développent des initiatives altenratives. Plus simple, plus solidaire, plus respectueuse des ressources. Cela passe aussi par les modes de consommation durable. Ces alternatives citoyennes sont-elles accessibles à tous ? A-t-on vraiment le choix ?
 

 

Face à un modèle en crise : le développement durable [1]


La période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale a connu une croissance économique importante et une augmentation presque continue de la consommation. Les historiens et économistes s’entendent pour dire que la société est alors devenue société de consommation. En 2008, la crise économique a frappé de plein fouet ce modèle et a bousculé les esprits. Les difficultés que connaissent nos pays pour relancer l’économie et la croissance doublées de préoccupations environnementales toujours plus prégnantes font douter du modèle établi. Les crises semblent multiples ; elles touchent l’ordre social, le modèle économique ainsi que nos ressources naturelles. Cette conjoncture fait penser que de profonds changements doivent avoir lieu et que la société doit se réinventer.


Face à ce constat, on voit fleurir un peu partout des alternatives concrètes aux modes de production et de consommation, aux modes d’habiter, aux modes de travailler, etc. Ces initiatives ne sont pas toujours organisées d’un point de vue collectif ou engagées dans un mouvement politique reconnu en tant que tel. Pourtant, même si ces gestes sont isolés, ils n’en sont pas moins une forme d’engagement politique, un moyen d’affirmer et de défendre certaines valeurs et d’en rejeter d’autres, de poser des gestes individuels, mais dont la portée est collective [2].


Ces préoccupations sont surtout portées par des jeunes âgés de 25 à 35 ans qui sont dans les premiers pas de la construction de leur vie professionnelle et familiale et qui sont confrontés aux difficultés de trouver un emploi, dont les statuts sont parfois précaires, dont le pouvoir d’achat est en baisse, etc. Les solutions alternatives que cette partie de la population développe poursuivent deux objectifs : d’une part économique, d’autre part, écologique. A la fois ce sont des solutions qui leur permettent des économies et d’obtenir à moindre frais ce dont ils ont besoin ou envie. Mais ce sont aussi des solutions qui sont cohérentes et qui ont du sens avec leurs aspirations et leur mode de pensée : refus / changement du système, volonté de plus de liens entre personnes, volonté de plus de simplicité, volonté d’être libres et autonomes dans leurs choix.


Aujourd’hui, la nécessité de penser la politique, l’économie, les questions sociales et l’écologie dans une perspective de « développement durable » se répand de plus en plus et semble être la voix la plus raisonnable.


Pas de petits gestes quand on est des millions à les faire


Le concept de développement durable a émergé dans les années 1990. Pourtant, ce n’est qu’après la crise économique et financière de 2008 que les valeurs qui le sous-tendent ont pris davantage de sens dans l’inconscient collectif. Ainsi, une part grandissante d’individus s’est ouverte aux discours militants écologistes et altermondialistes qui mettent en avant les notions de futur, de durabilité, de proximité, d’équité et de respect de l’être humain et de l’animal. Désormais, les consommateurs sont davantage conscients de leur part de responsabilité dans les pressions exercées sur les ressources et les milieux naturels ainsi que sur l’économie et l’ordre social. Ils perçoivent la nécessité d’un changement dans leurs habitudes de consommation et de vie pour améliorer la situation et évoluer vers un nouveau paradigme plus équilibré pour l’homme et son environnement [3].


Les institutions publiques, elles aussi, ont intégré cette idée à leur politique. Aujourd’hui, les Etats « utilisent » ce discours sur le développement durable afin de concrétiser une partie de leurs objectifs pour réduire leur empreinte écologique. Les citoyens sont perçus comme autant d’unités qui peuvent prendre des gestes quotidiens individuels, qui pris séparément semblent insignifiants et mis bout à bout répondent à des enjeux globaux beaucoup plus vastes. Quand on est des millions à effectuer de petits gestes, en apparence anodins, ils ne sont plus anodins et deviennent importants à grande échelle. Si une série de personnes adhère à ces nouveaux principes au travers de diverses campagnes orchestrées par les institutions publiques et les associations militantes, d’autres n’y sont pas sensibles ou n’en ont pas la possibilité.


Le discours ambiant n’encourage plus forcément à être une cible de consommation, mais il encourage le citoyen à devenir « consomm’acteur » et à réfléchir à ses pratiques de consommation de manière critique. L’idée est peut-être de consommer moins, mais mieux et de manière plus responsable ; de penser aux méthodes de production et aux moyens de détruire ou recycler après utilisation ; d’influer sur l’offre en changeant les comportements de consommation ; etc.


A-t-on vraiment le choix [4] ?


Parler d’alternatives, c’est présupposer, même si cela n’est pas exposé, qu’il y a un choix possible et même des choix multiples. C’est présupposer aussi qu’il est envisageable de renoncer à l’un des termes du choix, sans que cela n’entraîne d’inconvénient trop pénible.


Nos choix sont-ils vraiment faits en toute liberté et autonomie ? D’une part, nous sommes toujours influencés, parfois inconsciemment, par la société de consommation et les représentations qu’elle nous donne à voir à travers la publicité et autres médias, à travers un système de pensée où « consommer » rime avec « exister ». D’autre part, la possibilité de choix a toujours été et reste intrinsèquement liée aux conditions socio-économiques. En fonction de notre situation sociale et financière, certains choix ne nous sont pas accessibles. Lorsqu’on est une famille monoparentale, à la retraite ou que l’on bénéficie de petits revenus ou que l’on est sans emploi et bénéficiaire d’allocations de chômage,… bref, les aléas de la vie peuvent plonger les individus et les familles dans des situations où les alternatives ne se posent plus en terme de choix, mais d’obligation.


Etre « consomm’acteur » est-ce un luxe [5] ?


Lorsque l’argument principal d’un individu, d’un couple, d’une famille est de diminuer le coût de son panier d’achat pour parvenir à joindre les deux bouts à chaque fin de mois, les préoccupations écologiques ne sont pas la première priorité. Non que les personnes s’en désintéressent, mais simplement qu’elles n’ont pas les moyens de se le permettre.


Les alternatives citoyennes, les gestes en faveur du développement durable, la réflexion écologique seraient-ils l’apanage d’une tranche de la population qui socio-économiquement peut se le permettre ? Le risque existe que les moins nantis de nos sociétés n’aient, dans les faits, que des possibilités de choix restreintes. Comment demander à un habitant d’un quartier vétuste d’investir dans des énergies alternatives alors même que son habitation ne dispose pas de l’isolation minimale et qu’il n’a pas les moyens d’investir dans celle-ci ?


On entend souvent parler du mouvement de la « simplicité volontaire ». Cette expression signifie très bien cette réalité sociale. Si la simplicité est volontaire, c’est bien que certains peuvent se permettre de choisir la simplicité, de diminuer leurs dépenses, d’adopter un mode de vie plus sobre, de renoncer au superflu et à ce qui encombre. Mais lorsqu’on ne dispose déjà que du nécessaire, la simplicité n’est plus un choix, on parlera alors plutôt de conditions de vie précaires ou fragiles. A ce propos, une personne en situation de grande précarité disait : « Nous, on est bien forcés de vivre dans la simplicité, ce n’est pas un choix… on se débrouille comme on peut ! » Ceci montre bien que parler d’alternative suppose un choix entre divers possibles, même si des personnes ou des groupes peuvent à partir de situations forcées inventer de nouveaux modes de vie.


Dans notre société de consommation, posséder et consommer est un signe d’ascension sociale, de réussite, de richesse. Dans ce monde, « on est ce que l’on a », le paraître et le montant du compte en banque sont des sésames plus importants que le for intérieur. Comment résister à la pression marketing et sociale de posséder ? Certains choisissent donc de renoncer à l’hyper-consommation alors même que celle-ci leur est accessible. Comment convaincre ceux qui voudraient y accéder d’y renoncer alors que précisément c’est un signe de vie meilleure et de réussite ?


Quelques exemples d’alternatives durables qui fleurissent


Sharing economy ou l’économie du partage : elle part du principe que l’on peut utiliser à plusieurs ce que l’on ne peut posséder seul. Cette économie du partage est basée sur des valeurs d’humanité et de confiance. Dans ce mode de consommation, les biens deviennent des biens d’usage plutôt que des biens de consommation. On ne possède que des biens dont on a un usage régulier et on les propose en partage à d’autres.


Par exemple, j’utilise régulièrement une foreuse et j’en possède une, par contre, d’autres n’en auront qu’un usage occasionnel et peuvent me l’emprunter. De mon côté, j’ai besoin une fois par an d’une débrousailleuse, je l’emprunte à quelqu’un qui en possède une plutôt que d’en acheter moi-même et de la stocker dans une remise la plupart du temps.


Les nouvelles technologies permettent de mettre en place des solutions à grande échelle pour cette économie du partage en offrant par exemple des plateformes efficaces et conviviales d’échange. Le partage peut alors avoir lieu entre personnes qui ne se connaissent pas a priori. C’est là que la confiance est essentielle.


Pas mal d’offres de partage existent aujourd’hui, parfois très spécifiques : le vélo partagé, mis en place par les institutions publiques (Li Bia vélo à Namur, Villo à Bruxelles, etc.) ; les voitures partagées ou des propositions de co-voiturage pour de longues distances ; des maisons, appartements, chambres ; des objets de la vie courante, etc.


Les GAC (groupement d’achats collectifs) : souvent organisé pour des produits alimentaires, les GAC existent aussi pour d’autres produits comme l’énergie (mazout, bois, pellets...), matériels scolaires, etc. Le principe est que l’on forme un groupe pour réaliser une commande en grand nombre/quantité d’un type de produits. Cela permet de bénéficier de réductions étant donné le volume d’achat. Cette réduction est répercutée sur les consommateurs.


Les SEL (service d’échanges locaux) : le principe est qu’à une échelle locale, on organise les échanges de services en réseau. Les services ne sont pas payants, mais ils sont rendus en échange d’un autre et pas spécifiquement réciproquement. Par exemple, Bernadette est une enseignante à la retraite, elle se propose de reprendre quelques enfants de son quartier après l’école et de leur faire faire leurs devoirs une fois par semaine en attendant que leurs parents rentrent. Par contre, elle voudrait repeindre une pièce de sa maison, mais n’a plus l’âge de ce genre de travaux. Elle souhaiterait que quelqu’un puisse l’aider dans cette tâche. Laurent et Sophie iront repeindre la pièce de Bernadette en échange de quelques après-16h pour leurs deux enfants.


Les coopératives d’artisans, de producteurs locaux : des artisans, des producteurs locaux se regroupent pour proposer aux consommateurs une offre de produits globale, souvent via une plateforme internet. Les consommateurs peuvent passer la commande de leurs produits, ceux-ci sont disponibles ensemble dans un endroit unique. L’objectif de la démarche est souvent de plusieurs ordres : consommation de produits locaux dans une optique de réduire son empreinte écologique ; fabriqués ou cultivés selon des méthodes « bio » ou raisonnées et équitables ; création de lien social et de convivialité.


Les habitats groupés : les formes d’habitats groupés sont nombreuses, mais le principe est de partager un lieu d’habitation avec plusieurs personnes ou familles. Certaines parties ou fonctions de l’habitat sont souvent communautarisées d’autres sont privées. Les habitats groupés sont souvent régis par un règlement élaboré en commun avec les occupants et un genre de conseils démocratiques où participent aussi les occupants pour la gestion globale de l’habitat. Diverses valeurs inhérentes à l’idéologie du développement durable se retrouvent dans cette démarche : la convivialité et les liens humains sont favorisés au détriment des biens, économies d’échelle à travers la gestion commune de fonctions essentielles à l’habitat dans une perspective écologique (chauffage, sanitaire, espaces verts, etc.).


Les boutiques ou sites de vente de seconde main : Le ré-emploi est désormais en vogue. De plus en plus de personnes se penchent d’abord vers les filières de consommation de seconde main avant d’envisager l’achat de produits neufs. Les brocantes, les boutiques de seconde main et les sites internet de ventes entre particuliers fleurissent de toutes parts.


Les repair café : il s’agit d’initiatives souvent locales, plus ou moins régulières et récurrentes selon l’endroit. Le principe est que toute personne de bonne volonté y offre ses services pour réparer des objets de la vie quotidienne afin de permettre à leur propriétaire de continuer à l’utiliser plutôt que de le jeter et en acheter un neuf.


Le DIY (Do it Yourself) : très en vogue, comme son nom l’indique, il s’agit de « faire soi-même ». Ce principe est valable dans une multitude de situation de consommation : cultiver soi-même son potager, cuisiner soi-même plutôt que de consommer des plats préparés, coudre soi-même ses vêtements, concevoir soi-même les cadeaux que l’on offre, fabriquer soi-même ses produits d’entretien, etc. L’idée est d’une part, de réaliser une économie substantielle puisqu’en réalisant soi-même une série de produits de consommation, on en diminue le coût. D’autre part, on sait d’où proviennent les produits que l’on consomme et ses composants et on a l’assurance que les méthodes d’élaboration et de production correspondent à nos valeurs.


Les potagers partagés et les composts communautaires : en zones urbaines, où les habitations ne sont pas toujours équipées d’espaces verts, des potagers partagés s’organisent ainsi que des composts communautaires souvent par quartier ou par petits groupes d’habitation [6].

 

 

 

 

 

 


 

[1] Analyse rédigée au départ de la conférence de Laurianne Rigo et du débat qui a suivi lors du goûter des consom’acteurs organisé par le CPAS de la commune de Profondeville, le vendredi 25 octobre 2014.
[2] Anne Quéniart, Julie Jacques, Catherine Jauzion-Graverolle, « Consommer autrement : une forme d’engagement politique chez les jeunes », in Nouvelles pratiques sociales, vol. 20, n°1, 2007, p. 181-195.
[3] Yannick Rumpala, « La "consommation durable" comme nouvelle phase d’une gouvernementalisation de la consommation », in Revue française de science politique, 2009/5, vol. 59, p. 957-996.
[4] Myriam Tonus, « Alternative ou vrai changement ? », in Vivre ses alternatives, Nouvelles Feuilles Familiales, n°105, septembre 2013, p. 43-47.
[5] Myriam Tonus, idem.
[6] Analyse rédigée par Laurianne Rigo.

 

 

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