Analyse 2013-21

  Les grands-parents ! Que ferait-on sans eux ? Ils occupent les enfants le mercredi. Ils réunissent la famille. Ils gratifient quelquefois leurs enfants et petits-enfants de quelques étrennes qui tombent à point. Mais qui sont-ils ces « nouveaux grands-parents » si dynamiques [1] ? 

 

De papy-monarque à papy-gâteau


La grand-parentalité est à la mode depuis quelques décennies. En témoigne l’intérêt des sciences humaines pour cette figure familiale. Ces dernières années, la littérature sur le sujet a considérablement augmenté. Tantôt abordés sous l’angle sociologique [2], psychologique [3], historique [4] et même politique [5], ceux que l’on appelle désormais les « nouveaux grands-parents » font l’objet de beaucoup d’attention.


Les grands-parents apparaissent en nombre significatif à partir du XIXe siècle. Ceci s’explique par deux phénomènes démographiques conjugués : la baisse de la mortalité infantile et l’allongement de l’espérance de vie. Puis, à partir de 1945, la population des grands-parents ne cesse de grandir [6]. Mais contrairement à beaucoup d’idées reçues, avant cette période, les grands-parents n’étaient pas absents du paysage familial. Aux alentours de 1800, en France, à la naissance, un enfant possède encore plus de la moitié de ses grands-parents. Loin d’être « rarissimes » dans les sociétés d’autrefois, les grands-parents sont donc majoritairement en vie lorsque l’enfant vient au monde [7].


A la fin du XVIIIe et début du XIXe siècle, apparaît l’image d’Epinal du « papy gâteau ». Avant cette période, les grands-parents, en particulier les hommes sont plutôt représentés comme figure d’autorité et de transmission. Il y a une grande prégnance de l’image d’un père équivalent à Dieu. La famille est un petit royaume dont le père est le roi. Tous les membres de la famille lui sont soumis : la femme à son époux, les enfants à leur père, les domestiques à leur maître.


En outre, la culture occidentale de l’époque associe vieillesse et décrépitude. L’accession au statut de grand-parent signifie que l’on entre dans le dernier stade de l’existence. Inspirée du modèle monastique, l’image du grand-parent est celle d’un vieillard vivant dans le retrait et tourné vers Dieu. Puis, avec l’émergence des idées des Lumières et la laïcisation grandissante des esprits, on conçoit que le bonheur puisse être terrestre. La vie de famille devient source de joies et fondement de la vie sociale. En parallèle de la remise en cause de la légitimité monarchique, on remet en cause l’autorité de la figure paternelle. Désormais, le père est plus libertaire. Il est aimant. Il est pour ses enfants un éducateur qui jouit des plaisirs familiaux. L’organisation familiale se démocratise, tout comme la société.


Depuis quelques décennies, grâce à l’allongement de l’espérance de vie, on a vu émerger l’expression « génération sandwich » pour qualifier cette génération de personnes qui ont encore leurs propres parents et dont les enfants sont adultes, voire déjà parents eux-mêmes. La société donne de cette génération une image dynamique de personnes aux attitudes modernes. Cela se reflète notamment dans les noms affectueux dont les grands-parents sont dotés. Les dénominations sont cohérentes avec le statut : si elles sont vieillottes, le statut l’est aussi. Au diable les « bobonne », « pépé » et « mémère ». Devenir grands-parents ne signifie pas devenir vieux et gâteux. Désormais, les noms sont cools, souvent inventés et personnalisés. Ils dénotent un caractère moderne et énergique : Granny, Papychou, Mamili, PapyJack, Papyvélo, Mamilaine, etc. Les grands-parents d’aujourd’hui sont les babyboomers d’hier. Ils sont issus de la société de consommation. Parallèlement aux grands-parents, d’autres figures familiales ont eu droit à leur lifting. Ainsi entend-on souvent parler des « nouveaux pères » ou de la « nouvelle tribu ».


L’entraide familiale : une économie cachée


En raison de la crise de l’Etat providence, des difficultés de financement des systèmes de sécurité sociale, du vieillissement de la population, de l’insécurité du marché du travail et de la fragilisation des couples, la solidarité familiale est au cœur du débat politique et social. La famille au sens large, et la solidarité qui se développe au sein de la parenté au travers de services domestiques, affectifs ou financiers, représente une véritable économie cachée. Dans la sphère privée, ces services ne sont pas monétarisés et pourtant ils ont une importance symbolique réelle non négligeable [8].


Les grands-parents sont désormais valorisés socialement parce qu’ils jouent un rôle clé dans les relations familiales et l’organisation de la solidarité. L’entraide peut prendre différentes formes qui dépendent souvent du statut social et économique des grands-parents. Lorsque les moyens financiers sont moins importants, les membres du clan vivent généralement à proximité l’un de l’autre et se rendent des services mutuels, principalement de nature domestique. D’autres familles, plus aisées, fonctionnent plutôt comme un réseau car les membres sont généralement éloignés géographiquement. Le soutien financier représente une grande partie de l’aide afin de garantir l’autonomie et le maintien du niveau socio-économique des membres de la famille. Au sein des classes moyennes, on favorise le mode cocon. L’entraide se situe principalement au niveau de la famille nucléaire et elle s’organise selon les compétences des membres de la famille. Dans tous les cas, il est un constat intéressant : plus les grands-parents sont diplômés, moins ils voient leurs enfants et petits-enfants. Il existe donc une corrélation entre le niveau d’étude et la fréquence des rencontres entre parents et enfants.


Dans la sphère publique, on a assisté ces dernières décennies au recul du modèle papa-gagne-pain et maman-au-foyer. Aujourd’hui, dans de nombreux couples, les deux partenaires ont une vie professionnelle active. Mais dans la sphère domestique, l’évolution est moins grande. Tout ce qui relève du « care », c'est-à-dire du soin aux autres, reste la plupart du temps dévolu aux femmes : les soins aux enfants, aux personnes âgées de la famille, l’entretien domestique, les repas, etc. L’essentiel du soutien familial passe donc le plus souvent par la parenté maternelle. Plus particulièrement encore, on constate que la génération des femmes qui a conquis le monde du travail est aussi celle qui est la plus active dans son rôle grand-maternel [9]. La lignée paternelle, quant à elle, est investie de la transmission symbolique du nom.


Plusieurs manières d’être grands-parents


Les grands-parents sont loin de former un groupe homogène. Bernadette Bawin-Legros et Anne Gauthier, sociologues de l’ULg, ont dressé une typologie intéressante. Il est évident cependant que, dans la réalité de l’existence, on ne peut pas ranger les grands-parents dans des cases. Ceux-ci ont une grande liberté dans la construction de leur rôle. Les styles peuvent être différents selon les générations ou les lignées, mais la position des grands-parents oscille entre « refuser de s’engager » et« se substituer aux parents ».


La relation entre grands-parents et petits-enfants est créatrice de bénéfices mutuels importants. Notamment grâce au fait que les grands-parents, s’ils ne se substituent pas aux parents, ne sont pas investis d’une mission d’éducation. La relation est donc davantage tournée vers la tendresse et l’affection. On sait que l’amour est fondateur d’un sentiment de sécurité pour les individus. A travers la tendresse et l’amour qu’ils prodiguent à leurs petits-enfants, les grands-parents contribuent donc à leur offrir un cadre de vie sécurisant.


La coexistence avec les grands-parents aide aussi les plus jeunes à se situer dans le temps. Les enfants peuvent comprendre la cascade des générations et prendre conscience que leur famille a une histoire. Cela participe à la construction de leur identité. A travers les anecdotes que les grands-parents racontent à propos de leur enfance « De mon temps, tu sais… » ou à propos de leurs parents quand ils étaient enfants « Quand ton papa était petit, il aimait… ». Cela permet aux petits-enfants de considérer la vie comme une perpétuelle évolution où il est nécessaire de grandir. D’autre part, ils se situent dans une lignée. Cela représente une continuité générationnelle qui stabilise la question des origines.


Les grands parents peuvent aussi être des facilitateurs dans l’organisation quotidienne de la famille. Ils vont rechercher les petits enfants à l’école en attendant le retour du travail des parents. Ils occupent les petits-enfants le mercredi après-midi. Ils gardent les petits-enfants malades. Ils représentent pour les parents une solution de garde alternative de premier plan. Ce rôle n’est pas négligeable pour les familles comme pour la société. On estime à environ quatre heures par semaine le temps que les grands-parents passent avec leurs petits-enfants. Dans le contexte de familles monoparentales, cette aide est encore plus précieuse, elle enlève au parent isolé une charge financière importante.


Les grands-parents, n’étant pas vraiment des éducateurs, tiennent plutôt un rôle de divertissement. Ils peuvent se concentrer sur le jeu, les cadeaux, les loisirs… Cela développe entre les petits-enfants et leurs grands-parents un climat de confiance qui peut devenir un atout plus tard, au moment de l’adolescence. Ils sont aussi fédérateurs au sein de la famille, puisque c’est autour d’eux qu’elle se réunit. Ils suscitent la rencontre entre les différents membres de la famille élargie (cousins, oncles, grands-oncles, etc.). Ils font circuler les nouvelles des uns et des autres.


La transmission est un rôle communément admis pour les grands-parents. Ils transmettent des souvenirs d’une époque, des histoires de familles, des photos, etc. Ils témoignent d’un passé pas si lointain et donnent sens à la communauté que la famille constitue. En vivant selon un rythme différent de celui des parents, souvent plus lentement, les grands-parents offrent aux petits-enfants un autre modèle. Avec les grands-parents qui disposent de plus de temps et qui ont un autre regard sur la vie, le temps est gratuit et empli de tendresse. A travers la valorisation de la relation avec les grands-parents, c’est aussi plus généralement la valorisation des personnes âgées dans la société qui est en jeu.


Au moment de l’adolescence ou en cas de séparation des parents, les grands-parents peuvent être un appui pour les petits-enfants. Toutefois, la neutralité est difficile à maintenir, ils sont souvent partiaux et peu objectifs. Recourir à leur médiation peut être d’un grand secours, mais il convient de le faire avec prudence et retenue. Enfin, quand la nécessité l’impose (décès des parents, abandon, etc.), les grands-parents se substituent alors aux parents et prennent en charge leur mission d’éducation.


Quel que soit le style de relations que les grands-parents développent et leur implication, il est indéniable que le simple fait qu’il y ait relation est bénéfique aux petits-enfants et à l’ensemble de la famille, pour autant qu’il n’y ait pas ingérence.


En conclusion


Le nombre grandissant de séparations et divorces multiplie aussi le nombre de familles recomposées. Celles-ci ont des visages multiples et variés. Les liens familiaux peuvent parfois être fort complexes.


Les études sociologiques montrent qu’en cas de difficultés familiales ou au moment de l’héritage notamment, les liens de sang sont toujours privilégiés. Par ailleurs, l’entraide et le soutien passant principalement par la lignée maternelle, en cas de divorce ou de séparation, la branche paternelle est souvent la plus affectée. Sur ce plan, la législation doit tenir compte des nouveaux visages des familles. Il est heureux de constater déjà certaines évolutions comme la préférence de la garde égalitaire des enfants ou le droit pour les grands-parents de demander de maintenir un lien avec leurs petits-enfants malgré la séparation de leurs parents. Les prochaines étapes pourraient offrir une place à la « parenté sociale » afin que les liens affectifs qui lient beaux-parents ou beaux-grands-parents puissent aussi être reconnus et valorisés au-delà des liens du sang.


Enfin, même si Couples et Familles trouve la solidarité familiale tout-à-fait louable et encourage son développement, l’association tient à rester attentive à ce que l’Etat n’abuse pas de cette économie cachée pour réduire son implication dans le soutien aux familles. Le fait que les grands-parents prennent en charge leurs petits-enfants, par exemple, ne doit pas freiner la création de nouvelles structures d’accueil pour la petite enfance ou le développement des offres d’accueil extrascolaire. En effet, l’ampleur de l’entraide familiale dépend fortement du niveau socio-économique des familles. Si l’Etat se repose sur la seule solidarité familiale, il rouvrirait la porte à de nombreuses inégalités sociales et économiques [10].

 

 

 

 

 


 

[1] Réflexion initiée par la conférence de Marie-Thérèse Casman, sociologue de la famille à l’ULg, invitée par l’EGPE lors de la 15e rencontre annuelle des grands-parents, le 17/10/2013.
[2] Claudine Attias-Donfut et Martine Ségalen, Grands-parents. La famille à travers les générations, Odile Jacob, Paris, 1998.
[3] Marcel Rufo, Grands-parents : à vous de jouer, Anne Carrière, Paris, 2012.
[4] Vincent Gourdon, Histoire des grands-parents, Editions Perrin, Paris, 2001.
[5] Ségolène Royal, Le printemps des grands-parents. La nouvelle alliance des âges, Robert Laffont, Paris, 1987.
[6] Vincent Gourdon, idem, p. 23.
[7] Ibidem, p. 25.
[8] Bernadette Bawin-Legros, Anne Gauthier, Jean-François Stassen (e.a.), Transferts, flus, réseaux de solidarité entre générations, ULg, 1995.
[9] Ibidem, p. 75.
[10] Analyse rédigée par Laurianne Rigo.

 

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