Analyse 2013-10

  Voilà un peu plus de dix ans que la Belgique s’est dotée d’une loi dépénalisant l’euthanasie. Depuis quelques mois, certains sénateurs s’interrogent sur son élargissement, notamment concernant les mineurs d’âge. 

 

Quel contexte ?


La loi dépénalisant l’euthanasie en Belgique date du 28 mai 2002. En réalité, le débat politique sur cette question est en cours depuis 1997. Les questions éthiques et bioéthiques sont toujours délicates. Elles mettent en exergue les clivages politiques. Elles ont des implications dans des domaines divers tels que le juridique, le médical, le philosophique. Elles émeuvent également fortement l’opinion publique car elles touchent à la personnalité, aux émotions et aux convictions de chaque individu.


Trois pays dans le monde ont pris des mesures législatives en faveur de l’euthanasie : les Pays-Bas (2001), ensuite la Belgique et enfin le Grand Duché de Luxembourg (2009). C’est dire s’il s’agit d’une question difficile et délicate.


En réalité, le débat sur la fin de vie a mené à l’adoption de trois législations complémentaires : la loi du 28 mai 2002, relative à l’euthanasie [1] ; la loi du 14 juin 2002, relative aux soins palliatifs [2] et la loi du 22 août 2002, relative aux droits du patient [3].


Cet ensemble de loi est cohérent. L’élément le plus remarquable que l’on peut soulever est certainement qu’il respecte les différentes positions éthiques et philosophiques. La loi relative à l’euthanasie n’incite pas de comportement particulier ni chez le patient ni chez le professionnel. Elle laisse le choix aux individus. Chaque patient, en âme et conscience, selon ses convictions, son vécu, son émotion reste libre de décider de ses derniers instants de vie. Aucun professionnel ne peut être contraint de pratiquer une euthanasie. Lui aussi reste libre et peut décider d’invoquer la clause de conscience prévue par la loi. Par ailleurs, la loi sur les soins palliatifs garantit à chacun de bénéficier de ceux-ci de manière adéquate lorsque sa fin de vie se profile. Enfin, la loi sur les droits du patient lui permet la consultation de son dossier médical et l’accès à un autre avis médical. Elle octroie également au patient le droit de refuser un traitement et de rédiger une déclaration anticipée quant aux traitements qu’il accepte ou refuse.


L’actuelle loi définit l’euthanasie comme « acte, pratiqué par un tiers, qui met intentionnellement fin à la vie d'une personne à la demande de celle-ci ». Le patient doit en faire la demande « de manière volontaire, réfléchie et répétée ». Il doit être « majeur ou mineur émancipé, capable et conscient au moment de sa demande ». La situation médicale du patient doit être sans issue et la souffrance physique ou psychique, constante et insupportable.


Ces balises cadrent les conditions d’accès à l’euthanasie et définissent la procédure. D’une part, cela permet d’éviter les abus éventuels ; d’autre part, cela assure aux professionnels une sécurité juridique.


Un garde-fou supplémentaire a été prévu par le législateur : la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie. Chaque euthanasie fait l’objet d’une déclaration auprès de cette commission qui vérifie le respect des conditions légales. En cas d’infraction, le dossier est soumis à la justice ; à ce jour, la situation ne s’est jamais présentée.


Dans la pratique, malgré sa grande cohérence, la loi montre quelques limites et imprécisions. Ce sont sur ces points que certains sénateurs veulent étendre le débat et revisiter la loi. Une quinzaine de propositions de loi étaient sur la table de discussion du Sénat. Seuls le CDH, Ecolo et Groen n’ont rien rédigé. Après des auditions d’experts et divers débats, des sénateurs de la majorité (PS, MR, SP.A, Open VLD) ont déposé cinq propositions pour modifier la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie.


Les axes majeurs concernent l’élargissement de l’euthanasie à deux types de personnes : d’une part, les mineurs d’âge, d’autre part, les personnes atteintes de démence provoquée, par exemple, par la maladie d’Alzheimer ou toute autre dégénérescence cérébrale [4]. Les autres points apportent des précisions sur la durée de validité de la déclaration anticipée d’euthanasie, sur l’application de la clause de conscience, sur les délais d’acceptation ou de refus d’une demande par le médecin.


Etendre l’euthanasie aux mineurs d’âge [5]


La question de l’euthanasie applicable aux mineurs d’âge était déjà intervenue lors des débats qui ont précédés la loi de 2002. Lors des auditions, il était apparu que les professionnels qui soignent des mineurs d’âge (pédiatres, intensivistes, oncologues…) sont confrontés à des enfants ou des jeunes dont les maux sont incurables, la souffrance inapaisable et la fin certaine à courte échéance. Certains médecins acceptent alors d’accélérer le décès au moyen de substances létales. Il s’agit d’une réalité médicale, rare certes, mais qui existe. Les sénateurs estiment donc qu’il faut réduire la discordance entre le cadre légal et la réalité médicale comme cela a été le cas pour les personnes majeures ou émancipées en 2002.


Depuis l’origine des discussions, l’euthanasie est perçue par ses partisans comme un ultime geste d’humanité qu’un tiers exerce en faveur d’une personne qui souhaite, en vertu de ses souffrances, conclure sa vie dans la dignité. Pourquoi cet acte d’humanité ne serait-il pas accessible aux plus jeunes ?


Il existe également une certaine discordance entre la loi actuelle relative à l’euthanasie, qui exclut les mineurs, et celle sur les droits du patient rédigée parallèlement. Cette loi indique que si le patient est mineur, ses droits sont exercés par ses parents ayant autorité pour lui ou par son tuteur. Ensuite, elle apporte la précision suivante : « Suivant son âge et sa maturité, le patient est associé à l'exercice de ses droits. Ses droits peuvent être exercés de manière autonome par le patient mineur qui peut être estimé apte à apprécier raisonnablement ses intérêts » [6].


Comment déterminer si le mineur est capable de discernement et donc d’apprécier raisonnablement ses intérêts ? Comment ne pas contrevenir au principe de capacité juridique dont le mineur ne dispose pas étant donné son âge civil ?


Il ressort des auditions d’experts que le niveau de discernement est variable et que le seul critère de l’âge n’est pas suffisant pour en juger. Il convient de tenir compte aussi des individus et des situations particulières. En outre, tous s’accordent sur l’extraordinaire maturité dont les enfants et les jeunes font preuve face à la gravité de leur état de santé. En conséquence, la proposition de loi ne fixe pas de limite d’âge. Elle établit la nécessité d’évaluer la capacité de discernement du patient mineur par un pédo-psychiatre ou un psychologue qui devra répondre à cette question fondamentale : la demande du patient est-elle éclairée, est-il en capacité d’en apprécier toutes les conséquences ?


Enfin, autour de la question de la capacité juridique, l’intervention des représentants légaux du patient mineur sera obligatoire. La demande d’euthanasie d’un mineur pourra donc lui être accordée, dans les mêmes conditions que les personnes majeures actuellement, pour autant que son discernement ait été avéré et que sa demande soit aussi appuyée par ses parents ou son tuteur.


Qu’en penser ? Quels sont les avis ?


Comme en 2002 lors du vote de la loi de base, les évêques de Belgique s’opposent à l’élargissement de l’euthanasie aux mineurs sous peine « d’euthanasier le lien social [7] ». Loin d’ignorer la souffrance que peuvent endurer les personnes, ils plaident le recours à des soins palliatifs performants afin de les soulager. Ils encouragent à renforcer la solidarité afin que devant la mort, la société pose sur ses membres un regard qui confirme leur dignité [8].


Du côté des partis, le CDH s’oppose fortement à l’élargissement de la loi et rappelle que ces questions ne figuraient pas dans la déclaration gouvernementale. Dans son intervention au Sénat [9], André du Bus avance plusieurs arguments. Convient-il de légiférer pour répondre à des situations aussi exceptionnelles ? En Belgique, il n’existe pas de recensement officiel des demandes d’euthanasie de mineurs. Entre 100 et 200 décès de mineurs par an seraient recensés des suites d’une maladie incurable. Parmi eux, une infime minorité aurait demandé l’euthanasie. Les Pays-Bas, qui autorisent l’acte, comptent entre zéro et cinq cas d’euthanasie de mineurs depuis 2002 [10]. La question est légitime. Le rôle d’un état n’est-il pas de considérer l’intérêt général plutôt que d’élaborer un cadre légal qui soit suffisamment large pour répondre à des situations aussi rarissimes que singulières et qui évite les abus ?


Par ailleurs, le CDH relève aussi les témoignages de professionnels qui entourent des mineurs atteints de maladie grave et qui relatent que les enfants ou les jeunes peuvent, comme une éponge, absorber la douleur de leur entourage. Comment être certain alors que la demande d’euthanasie est bien à mettre en relation avec les souffrances personnelles de l’enfant ou du jeune ? Comment être certain que l’euthanasie n’est pas un sacrifice, un abandon de la vie pour délivrer ceux qu’ils aiment de les voir souffrant ?


Du côté des défenseurs de l’élargissement, il est inacceptable de refuser plus longtemps l’euthanasie aux mineurs demandeurs qui auraient la même conscience qu’un adulte de l’issue fatale de leur maladie et qui en souffriraient tout autant. Si l’on perçoit l’euthanasie comme un acte de profonde humanité, celle-ci doit devenir une liberté aussi pour les mineurs d’âge.


En outre, certains regrettent que les cinq propositions de loi qui ont finalement été déposées par le Sénat ne retiennent pas la question de la fin de vie des bébés nés grand prématurés ou gravement malades. Pourtant, l’actualité judiciaire montre qu’il serait utile d’apporter là-aussi un cadre légal. En 2005, une équipe médicale de la Clinique et Maternité Sainte-Elisabeth de Namur ainsi que les parents étaient inculpés pour infanticide. Les parents avaient refusé toute assistance médicale pour leur bébé né à moins de 30 semaines de gestation. Sans assistance, l’enfant est décédé dans les heures suivantes. La justice a reconnu les parents coupables d’infanticide, mais ils bénéficient de la suspension du prononcé. Le gynécologue et son assistante sont reconnus coupables de non-assistance à personne en danger avec également une suspension du prononcé. La pédiatre et la sage-femme bénéficient d’un non-lieu [11]. La philosophie de la loi de 2002 dans laquelle le législateur veut rester – à juste titre – ne permet pas d’englober cette question. En effet, dans ces cas, la demande d’euthanasie n’émanera jamais du patient. La problématique devra donc faire l’objet d’un examen spécifique à part entière [12].


En conclusion


Les questions liées à la fin de vie sont éminemment délicates. Elles nous confrontent aux fondements de l’existence, à notre rapport à la vie et la mort. Elles nous interrogent sur le sens de la souffrance et de la liberté. Elles posent un regard sur la société, la dignité et la différence.


Nous pensons que la proposition de modifications déposée en définitive par le Sénat concernant les mineurs est de qualité. Tout en élargissant le cadre, elle reste dans la philosophie de la loi de base. Surtout, elle ne se fait pas juge d’une attitude ou d’une autre. Elle offre une liberté balisée.


Pour s’opposer à cette loi, le CDH avance que la protection des personnes vulnérables est une valeur fondamentale de notre société que le législateur doit défendre. Nous ne pensons pas que les modifications proposées mettent à mal la sécurité des enfants et des jeunes. Les conditions pour accepter une demande d’euthanasie sont définies. Chaque situation devra faire l’objet d’une étude particulière. Comme pour les adultes, des équipes pluridisciplinaires devront encadrer les familles et les informer clairement sur toutes les options de soins possibles. Les comités d’éthique des institutions médicales veilleront au respect de la législation et aideront à la réflexion. En ce sens, Bruno Vanobbergen et Bernard Devos, responsables du respect des Droits de l’Enfant en Communauté flamande et Fédération Wallonie-Bruxelles, plaident pour le droit des enfants à l’autodétermination. Eux qui veillent à la défense de l’intérêt supérieur de chaque enfant ne voient pas de contradiction à ce qu’un enfant décide dans le respect des conditions de la loi du 28 mai 2002 de son euthanasie [13].


En outre, la proposition prévoit un accompagnement psychologique des parents dont l’autorisation est nécessaire. C’est bien là que réside la grande difficulté de cette modification. Contrairement à la loi actuelle, où le principal concerné décide seul de son propre sort, pour les mineurs, l’autorisation parentale est une obligation. Il s’agit d’un poids énorme et d’une douleur immense que les parents auront à porter. Le soutien pourra durer le temps utile durant des mois voire des années après le décès de l’enfant.


Aujourd’hui, cinq textes, dont celui relatif aux mineurs, ont été déposés. Ils doivent être discutés et avalisés par les commissions réunies des Affaires sociales et de la Justice du Sénat. Ensuite, ils seront votés à la Chambre des représentants. Il n’est pas certain que CDH et CD&V se rallient aux textes. Toutefois, une majorité parlementaire semble pouvoir se dégager avec le soutien annoncé de Groen et Ecolo. La N-VA soutiendra vraisemblablement aussi les modifications même si elle regrette ne pas avoir été associée au débat [14].

 

 

 

 

 

 


 

[1] Publiée au Moniteur belge le 22 juin 2002, entrée en vigueur le 20 septembre 2002.
[2] Publiée au Moniteur belge le 26 octobre 2002, entrée en vigueur le 5 novembre 2002.
[3] Publiée au Moniteur belge le 26 septembre 2002, entrée en vigueur le 6 octobre 2002.
[4] Une analyse distincte est en cours de rédaction sur ce sujet.
[5] Proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie en vue de l’étendre aux mineurs, dépôt le 26 juin 2013 par les sénateurs Philippe Mahoux (PS), Jean-Jacques De Gucht (Open VLD), Christine Defraigne (MR), Guy Swennen (SP.A).
[6] Loi relative aux droits du patients du 22 août 2002, article 12, § 1er et 2.
[7] Jean-Jacques Durré, « Elargissement de la loi sur l’euthanasie. Se réapproprier le débat », in Dimanche Express, n°23, 23 juin 2013.
[8] Analyse de Mgr André-Joseph Léonard, archevêque de Malines-Bruxelles, « L’Eglise opposée à un élargissement de la loi sur l’euthanasie en Belgique », in www.la-croix.com, 6/03/2013.
[9] Intervention d’André du Bus en commissions réunies des Affaires sociales et de la Justice, à propos des propositions de loi visant l’extension, aux mineurs et aux personnes atteintes de démence, de la loi dépénalisant l’euthanasie, « Etendre la dépénalisation de l’euthanasie ? », in www.andredubus.be, 13/06/2013.
[10] Sotieta Ngo, Etat de la question. Dépénalisation de l’euthanasie, 10 ans après, Institut Emile Vandervelde, décembre 2012.
[11] « Décès d’un prématuré à Ste-Elisabeth : suspension du prononcé pour les parents », in www.rtbf.be, 07/06/2013.
[12] Jacqueline Herremans, « L’extension de la loi sur l’euthanasie au Sénat : place au débat politique », in Bulletin trimestriel de l’ADMD, n°128, 2e trimestre 2013, p. 11
[13] Benoît Van der Meerschen, « L’extension de la loi sur l’euthanasie aux mineurs », in Bulletin trimestriel de l’ADMD, n°128, 2e trimestre 2013, p. 19.
[14] Analyse rédigée par Laurianne Rigo.

 

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