Analyse 2013-03

La présence de viande chevaline dans des plats préparés censés ne contenir que du bœuf a fait la une de tous les journaux et a suscité l’émoi des populations. Pourtant, on peut se demander ce qui est le plus scandaleux : qu’il y ait de la viande de cheval dans des lasagnes, que la course au profit provoque des fraudes ou que l’on gaspille des tonnes entières de nourriture ?  


« Ce dossier donne la parole à des parents, à des professionnels de la santé, à des personnes impliquées dans la production alimentaire. Ils portent un regard critique sur la manière dont les discours s’imposent aujourd’hui et relèvent leurs effets parfois pervers. Il convient certes d’adopter des habitudes alimentaires qui favorisent la santé, mais en préservant un rapport paisible avec la nourriture. ». Ainsi se termine la présentation du dossier des Nouvelles Feuilles Familiales « La Tyrannie du bien manger », que Couples et Familles a publié en septembre 2012 [1].


« Préserver un rapport paisible avec la nourriture » écrivions-nous. Moins de six mois plus tard : « Et un nouveau « scandale alimentaire » de plus » titraient sous l’une ou l’autre forme les journaux du 11 février dernier. Rendez-vous compte : l’Angleterre se trouvait brutalement confrontée à ce nouveau scandale, et qui plus est « choquée », suite à la découverte que certains plats préparés qui auraient dû ne contenir comme viande que du bœuf, contenaient, et parfois en quantité proportionnellement importante, du cheval.


Cet animal n’est pas considéré chez nos voisins d’outre-manche à l’égal de la vache sacrée des Hindouistes, néanmoins, nombre d’entre eux ressentent comme non respectueux de cet « ami de l’homme », de voir la chair de l’un d’entre eux terminer sur leur table en steak, en rôti ou en … lasagne. Que Brigitte Bardot ait depuis estimé utile d’affirmer qu’elle réitérait sa demande de voir « cet animal considéré comme un ami de l’homme au même titre que le chien ou le chat retiré de nos assiettes » n’ajoutait rien à l’indignation offusquée des citoyens de sa Majesté britannique.


Ce n’est pas moi monsieur


Dare-dare, les plats surgelés incriminés ont été retirés du marché au Royaume-Uni. Comme l’épidémie se développa de manière aussi galopante que ne l’avait été, aux dires des médias tout au moins, la grippe aviaire, c’est toute l’Europe qui se retrouva bientôt contaminée. Ce fut un branle-bas de combat général entre pays, entre entreprises de fabrication et de conditionnement de plats surgelés, entre grandes marques de distribution. L’expression : « ce n’est pas moi monsieur, c’est l’autre », aura connu un succès rarement atteint, mais ne rapporta de droits d’auteur à personne, chacun devant peu à peu baisser pavillon et s’avouer concerné. Comme les animaux frappés de la peste dans la fable de Jean de la Fontaine : « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ».


Ce fut aussi, une fois encore, la ruée des médias sur l’or de cette zizanie européenne : pas assez de contrôle, pas assez de traçabilité, trop peu d’étiquetage… Il fallut une réunion d’urgence des 27 Ministres concernés. Y avait-il d’ailleurs question européenne plus urgente que celle-là ?


Toujours considérée au travers des lorgnettes médiatiques, cette crise alimentaire méritait évidemment une prise de conscience citoyenne. Les micro-trottoirs de consommateurs, enregistrés dans les grandes surfaces, furent présentés comme le pouls de l’opinion publique, voire comme l’opinion citoyenne face à ce désastre. C’était en quelque sorte notre opinion : non plus des propos de « café du commerce », mais des convictions de rayons de surgelé. Expertise s’il en est ! Nous ne portons aucun jugement sur les personnes ainsi interpellées. Nous-mêmes aurions vraisemblablement été prêts à affirmer des lieux aussi communs si, lors de nos courses dans la superette du coin, nous avions été confrontés à des questions posées à brûle-pourpoint par un journaliste face à une caméra.


Cachez-moi ces boulettes que je ne saurais voir


Depuis, il ne se passe pas un jour sans que telle marque ne soit retirée du marché, sans que telle enseigne retire tel produit de ses ventes, que tel pays non encore atteint par l’épidémie ne reconnaisse que, chez lui aussi, les bœufs des plats surgelés ont été rattrapés par le galop de quelques chevaux en perdition. Retirez donc ces plats que nous ne pourrions plus voir ! Autres Tartuffes que nous sommes ?


Le ton relativement ironique du début de cette analyse n’est pas seulement un effet de style. En effet, si l’événement a de quoi se poser de sérieuses questions, sa médiatisation, jusques et y compris dans une mise sous le boisseau des véritables enjeux de ce qui se découvrait, donne de bonnes raisons d’en rire, au moins dans un premier temps.


En effet, ce n’est souvent qu’en fin des articles qui titraient sur « Le scandale des lasagnes au cheval », ou qu’en fin de reportage, que le lecteur ou l’auditeur qui avait eu le courage de s’informer jusque là, apprenait que la consommation de viande de cheval n’est en rien plus problématique pour l’homme que ne l’est la viande de bœuf, de volaille ou encore d’autruche, de gibier ou de kangourou.


Une tyrannie qui manipule


Et pourtant, les phrases de consommateurs relevées et déversées sur antenne, souvent sans que leur ambiguïté ne soit contredite ou commentée, étaient du style : « on ne peut plus se fier à rien, on ne sait plus ce qu’on mange, moi c’est fini, je n’achète plus de plats préparés … ». Des phrases de personnalités politiques que nous ne nommerons pas n’étaient pas plus prudentes et poussaient à croire qu’il y allait d’une question de santé publique : « Il faut renforcer les contrôles de sécurité alimentaire ! ».


« La tyrannie du bien manger » dont avait parlé notre dossier agissait sur les peurs, comme savent le faire toutes les tyrannies : vous avez bien raison d’être sur vos gardes, il y va de votre sécurité. Argument qui interpelle au premier abord tout le monde : le principe de précaution n’est-il pas aussi à la mode. Or, la sécurité alimentaire n’était en rien en cause dans cette histoire.


Pourtant, il semblait aller de soi, pour beaucoup de monde, qu’il y allait d’une question de santé. Or, le comble, c’est qu’aux yeux de certains nutritionnistes, la viande chevaline est une des plus saines. Il n’empêche que dans ce contexte plein d’ambiguïtés, des sociétés qui travaillent la viande chevaline ont senti peser sur elles les doutes surgis dans la population quant aux problèmes de santé qu’aurait pu causer ce produit de consommation. Sans vouloir entrer dans les détails des qualités de cette viande, nous renvoyons toutefois pour exemple à un site d’une société belge d’exploitation de ce marché, qui s’est cru, comme d’autres, obligée de spécifier tant la salubrité que les qualités de leur production [2].


À faux étiquetages fausses informations


Loin de nous de nous plaindre des mesures de sécurités alimentaires édictées par l’Europe : quand des risques pour la santé sont établis à propos de certains aliments ou de certains modes de production de produits alimentaires ou encore pharmaceutiques ou cosmétiques par exemple, il est du devoir des autorités publiques de les faire retirer ou de les interdire du commerce.


Mais il ne s’agissait ici en rien de cela. La faute, car il y en a eu une, et peut-être découvrira-t-on qu’elle est généralisée, c’est que le produit vendu ne correspondait pas au produit annoncé. Il y avait de la viande de cheval dans des plats annonçant ne contenir que du bœuf. C’est comme si, sur des boîtes annoncées de foie gras d’oie, s’y trouvait incorporée une proportion de foie gras de canard. Combien de temps faudrait-il pour que cela se découvre ? Et tout compte fait, est-on certain que cela ne soit jamais le cas ?


Faux étiquetages donc, puisque la liste des ingrédients obligatoirement inscrite sur chaque produit alimentaire - qu’il faille le plus souvent une loupe pour pouvoir la lire n’y déroge pas - était pour le moins incomplète, voire mensongère, à moins de considérer que les termes de « 100% pur bœuf » ne concernaient que la viande de bœuf que comprenaient les plats qui portaient telle mention.


Il n’empêche que les informations et les réactions qui conduisirent au retrait de la vente de tous les produits incriminés donnèrent à penser qu’ils étaient impropres à la consommation. N’étaient-elles pas en quelque sorte aussi partielles, voire quelque peu trompeuses, elles aussi ?


Quel gâchis !


Mais aussi quel gâchis ! Combien de ces produits en effet, surgelés dans leur toute grande majorité, n’ont-ils pas été retirés de la vente sans qu’une destination leur soit imaginée. Or, ces aliments étaient comestibles et peut-être de fort bonne qualité. Il aura fallu trois semaines pour que les premières mesures soient envisagées. Ainsi en Belgique, des associations ont pris les devants et ont demandé aux producteurs d’assurer la continuité de la chaîne du froid de ces aliments afin de pouvoir les écouler auprès des plus démunis dans leurs réseaux. Les Restos du Cœur ou la Fédération des Banques alimentaires notamment, qui peuvent disposer des infrastructures nécessaires, tiennent à ce n’y ait aucun risque sanitaire lié à la conservation de ces plats.


Car ce sont des chiffres imposants de nourriture tout à fait consommable qui sont concernés par ce scandale. Ce sont en effet plusieurs millions de portions de lasagnes, de hachis, de moussaka, de sauce bolognaise, de chili con carne, de boulettes et d’autres menus surgelés contenant de la viande chevaline à la place du bœuf qui ont été retirés de la vente dans la plupart des pays européens. D’autre part, il en reste encore des dizaines de tonnes en stock. En France, les ventes de plats surgelés à base de viande ont reculé de près de 50% dans la semaine où a éclaté le scandale. En volume, ce sont 300 tonnes qui ont été vendues de moins qu’au cours de la même période en 2012. Autant qui est resté dans les réserves.


Laisser tous ces produits en rayons avec un nouvel étiquetage, des mesures de condamnation pour les responsables de la fraude, et des réductions sensibles pour les consommateurs auraient peut-être pu être envisagés, comme d’ailleurs des mesures immédiates de saisie par les autorités publiques en vue de les confier aux organisations qui s’occupent de pourvoir aux besoins alimentaires des plus démunis.


La juste information dès la découverte de la fraude


Reste que tout ce ramdam traité sur le plan de la sécurité alimentaire et de la qualité de ce que nous mangeons cache finalement tout autre chose : la recherche du profit maximum, quels que soient les chemins pour y parvenir. C’est que, en fonction de la spécificité des morceaux, au prix de gros, la viande de cheval ne vaut en effet qu’un quart, voire qu’un cinquième de la viande de génisse.


Intégrer de manière camouflée et donc frauduleuse un certain pourcentage de viande chevaline dans la viande des plats préparés ou des conserves, abaisse dès lors de manière non négligeable le prix de revient de leur fabrication. L’objectif peut-être de mettre sur le marché des produits moins chers que ceux de la concurrence, ou d’accroître la rentabilité financière de ces produits. Tout est là et n’a donc rien à voir, a priori, avec la qualité alimentaire des produits vendus. C’est sur cela que l’information aurait du porter, et uniquement sur cela.


A priori écrivons-nous, parce que lorsqu’il y a fraude, le risque est qu’elle ne se limite pas aux étiquettes, mais qu’elle cherche aussi à soustraire certaines viandes aux circuits légaux ou réglementaires de contrôle sanitaire et de traçabilité. Mais sur ce plan, le bœuf n’est pas nécessairement moins susceptible de tricherie que le cheval.


Qu’en retenir ?


De toute cette affaire, « Couples et familles » retient que :

  • s’il y a une tyrannie du bien manger, il y a aussi une tyrannie du manger « protégé » de tout risque, qui a conduit nombre de consommateurs, à la suite des médias et des déclarations politiques, à entendre qu’une fraude scandaleuse en effet, mais qui était essentiellement voire uniquement économique, était un risque potentiel pour la santé ;
  • cette déviation de la perception a conduit à des décisions qui ont rendu impropres à la consommation des tonnes de nourriture dont manquent pourtant un nombre non négligeable de nos concitoyens ;
  • notre esprit critique face aux informations qui nous parviennent se doit de toujours nous poser les bonnes questions à propos des faits, afin de pouvoir en juger, non pour ce qu’ « on » affirme qu’ils sont, mais pour ce qu’ils sont en effet ;
  • ce que nous ignorions peut-être, la viande chevaline, dont il ne reste que peu de boucheries aujourd’hui, est aussi recommandable et nettement moins onéreuse que celle de bœuf.

Et si elle est bien étiquetée et que l’idée de manger « équidé » ne vous fait pas fuir au galop : « Bon appétit [3] !

 

 


 

[1] La tyrannie du bien bien manger, Dossier NFF, n°101, septembre 2012. Voir : www.couplesfamilles.be.
[2] « La viande de cheval est bonne pour la santé », communiqué de presse de Chevideco, disponible sur le site www.chevideco.com.
[3] Analyse rédigée par Jean Hinnekens.

 

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