Analyse 2012-31

Histoires sans lendemain ou plus sérieuses : l’adultère se généralise, et se banalise. Gleeden, un site de rencontre pour personnes mariées a fait son apparition sur Internet. Il permet à ses utilisateurs de pratiquer l’adultère en toute discrétion. Trouver l’amant idéal ne se fait désormais plus qu’en un simple clic. Les valeurs telles que la confiance et la fidélité passent à la trappe. Explications.


L’infidélité dans la société actuelle

L’adultère se banalise. Tromper son conjoint relève de la banalité : aux quatre coins du globe, l’infidélité est de plus en plus tolérée. Autrefois, les règles qui régissaient la vie de couple étaient édictées dans un objectif précis : veiller au bien des enfants. L’adultère était mal considéré car il remettait la stabilité de la cellule familiale en cause. Aujourd’hui, en cas d’adultère ou de divorce, les enfants sont protégés. L’infidélité est donc devenue moins transgressive .


L’adultère et la loi


Depuis la loi du 27 avril 2007, le divorce est plus facile et plus rapide. Avant l’arrivée de cette loi, il existait deux procédures : le divorce par consentement mutuel et le divorce pour cause déterminée. L’adultère pouvait constituer l’une de ces « causes déterminées. »


Désormais, le divorce pour cause déterminée n‘existe plus. La désunion irrémédiable entre les époux est devenue la seule cause de divorce, à côté du consentement mutuel. La désunion est considérée comme « irrémédiable » lorsqu’elle rend raisonnablement impossible la poursuite ou la reprise de la vie commune . L’adultère n’est donc plus un motif de divorce, mais peut être pris en compte pour constater l’existence d’une désunion irrémédiable.


L’adultère, un produit commercial


Dans pareil contexte, les professionnels du marketing n’ont pas tardé à surfer sur la vague. L’idée : faire de l’adultère un produit commercial. Comment ? En proposant aux utilisateurs de la toile un site de rencontre qui faciliterait les relations extraconjugales. Le projet a été mis en application en 2009 avec la création du site Gleeden . Objectif affiché, avoué, et même encouragé du site Gleeden : faciliter l’adultère pour toute personne qui le désire . Grâce au site, les gens en couple ou mariés peuvent désormais se rencontrer sans avoir à cacher leur situation de peur de n’être pas considérés – l’anonymat n’est pas forcément la règle sur le site . Gleeden fonde sa démarche notamment sur diverses statistiques ayant trait à l’infidélité. Ainsi, la Belgique serait le troisième pays le plus infidèle, après la France et l’Italie .


En 2012, le site Internet – qui revendique aujourd’hui plus d’un million de membres dont 96 000 en Belgique – a lancé une campagne choc en Belgique et en France. Elle a débuté le 20 février 2012 en Belgique : d’immenses affiches visibles dans les couloirs des métros vantaient, dans un décor de pommes croquées (en référence au péché originel), le « premier site de rencontres extraconjugales pensé par des femmes ». L’affiche était accompagnée d’un slogan : « Contrairement à l’antidépresseur, l’amant ne coûte rien à la sécu ».


Gleeden : un site géré par des femmes


Le site Gleeden est géré par des femmes. « Sur les sites de rencontres, les femmes sont parfois perturbées par des hommes qui s’adressent mal à elles. Sur Gleeden, les hommes doivent rivaliser de courtoisie pour les séduire. Nous avons d’ailleurs une équipe de modération très pointue qui fait attention aux échanges », explique Hélène Antier, responsable des relations presse pour Gleeden.


Que cette initiative soit menée par des femmes peut surprendre. Pourtant, la sexualité féminine est en pleine mutation. Il existe des films, des livres érotiques réalisés par les femmes. Elles semblent vouloir dire : « Nous aussi, nous avons droit à développer des relations sexuelles juste pour le plaisir ». But recherché : contredire cette croyance qui prétend que la femme n’a des relations sexuelles que pour les sentiments, alors que les hommes ne le font que pour le sexe.


Les arguments du site de rencontre Gleeden


Choquant l’idée de faciliter les rencontres extra conjugales ? Gleeden ne le pense pas et s’explique : « Ce n’est pas nous qui avons inventé l’adultère. Cela existe depuis des siècles ! En Belgique, l'infidélité n'est plus considérée comme une cause de divorce. Votre conjoint vous trompe ? Oui, et alors ? Faites pareil ou divorcez ! Par ailleurs, le marché des rencontres compte une foule de sites qui ont tous leur spécificité – pour gays, pour juifs, pour musulmans. Là, personne ne trouve rien à dire !  »


Le profil des utilisateurs


D’après le cofondateur  du site Gleeden, les utilisateurs seraient, en général, des cadres supérieurs provenant du milieu de la finance. La sphère médicale arriverait en seconde position. La tranche d’âge la plus présente sur le site est la tranche des 30-50 ans. 63 % sont des hommes et 37% sont des femmes. 11 % d’entre eux recherchent des relations homosexuelles ou bisexuelles .


Pourquoi s’inscrivent-ils sur le site ? Pour trouver des relations sans lendemain, et sans risque. Sur le site, les utilisateurs expliquent les fondements de leur démarche par « un besoin de retrouver confiance en eux », ou plus simplement à cause « de l’ennui dans leur couple . »


Adultère et paradoxe


La société actuelle entretient un lien un peu paradoxal avec l’adultère. Dans les sociétés anciennes, de nombreux mariages étaient arrangés. Le divorce était mal vu. Homme et femme étaient contraints à rester ensemble, même s’ils ne le désiraient pas – ou plus. Il était très difficile de se séparer de son conjoint. L’adultère était, d’une certaine manière, plus compréhensible. Mais aujourd’hui, les gens se marient par amour. Ils choisissent leur conjoint. Plus rien ne les force à rester ensemble. Le divorce est entré dans les mœurs et ne choque plus personne. La Belgique est d’ailleurs la championne européenne en matière de divorce : 3, 3 divorces pour mille habitants en 2009 . Les couples peuvent même envisager des relations libres. Malgré cette grande liberté, ils continuent pourtant à pratiquer l’infidélité.


Il faut dire que la société met l’accent sur des valeurs particulièrement antagonistes. La liberté, le développement personnel, la consommation sont énormément mis en avant. Comment, dès lors, faire rimer « liberté » avec des valeurs comme « fidélité » ou « confiance » ?  


Et hors Europe ?


La banalisation de l’adultère ne touche pas que l’Europe. En Inde, par exemple, l’infidélité tend également à se généraliser. L’adultère au féminin, autrefois courant dans l’aristocratie, a gagné les classes moyennes et se généralise. Les progrès de la technologie sont partiellement responsables de cet état de fait. Un nombre croissant de femmes fréquente les cybercafés en toute tranquillité, l’après-midi. Objectif ? Rencontrer un partenaire qui leur plaît. Internet permet à de nombreuses femmes de renouer des liens avec des relations de jeunesse. Alors trop timides et engoncées dans les traditions, elles acceptaient leur mariage arrangé sans broncher. Arrivées à 40 ans, elles cherchent à rompre avec une vie monotone .


Aux Etats-Unis, l’adultère est, par contre, encore très mal perçu. Même si elle donne rarement lieu à des procès, l'infidélité maritale constitue encore une infraction, voire un crime dans deux douzaines d'États. Elle choque encore grandement les américains. En témoignent les histoires d’adultère autour de personnalités telles que Bill Clinton, DSK ou David Petraeus.


Conclusion


Cet encouragement sans complexe de l’adultère pousse à se poser différentes questions. Quel rapport notre société entretient-elle avec la morale ? Que deviennent les valeurs telles que la confiance, la fidélité, la communication ouverte ? Quel exemple donne la société aux enfants de demain ? C’est en fait le lien entre sexualité, liens affectifs, engagement et parenté qui est fluidifié et remis en question . Il s’agit sans doute d’une grande libération vis-à-vis de contraintes morales qui pesaient parfois lourdement sur les personnes, mais la liberté implique aussi une plus grande responsabilité, vis-à-vis de ses propres limites et celles du partenaire, et de l’engagement que l’on veut prendre, par exemple vis-à-vis des enfants que l’on a en commun[14].

 


[1] http://www.moustique.be/actu-societe/147243/business-de-linfidelite-il-fallait-juste-oser
[2] http://reflexions.ulg.ac.be/cms/c_11965/divorce-la-nouvelle-loi
[3] http://www.gleeden.com/
[4] http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/l-adultere-banalisee-par-le-site-de-rencontres-gleeden-12-01-2012-2176_118.php
[5] http://www.levif.be/info/actualite/belgique/gleeden-le-site-pro-adultere-qui-choque/article-4000048002852.htm
[6] http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/721340/l-adultere-plebiscite-en-ligne.html
[7] http://www.levif.be/info/actualite/belgique/gleeden-le-site-pro-adultere-qui-choque/article-4000048002852.htm
[8] Teddy Truchot
[9] Chiffres livrés par le site Gleeden
[10] http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/l-adultere-banalisee-par-le-site-de-rencontres-gleeden-12-01-2012-2176_118.php
[11] http://blogs.rtl.be/unzestedezen/2012/01/21/2012-la-mort-du-couple/
[12] http://www.courrierinternational.com/chronique/2003/06/03/en-inde-l-adultere-au-feminin-se-banalise
[13] Voir à ce propos le Dossier NFF 102 Sexualité récréative ?, décembre 2012.
[14] Analyse rédigée par Isabelle Bontridder

 

 

 

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