Analyse 2012-23

Depuis la rentrée de septembre 2012, les écoles de l’enseignement fondamental et secondaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles sont tenues de prendre des initiatives en matière d’éducation sexuelle.


L’éducation affective et sexuelle fait maintenant partie des missions prioritaires de l’école, telles que définies dans le décret « définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre  ». Ce décret de 1997 a en effet été modifié en juin 2012, juste avant les vacances scolaires, par l’ajout de quelques mots : « La Communauté française pour l'enseignement qu'elle organise, et tout pouvoir organisateur, pour l'enseignement subventionné, veillent à ce que chaque établissement (…) éduque au respect de la personnalité et des convictions de chacun, au devoir de proscrire la violence tant morale que physique, à la vie relationnelle, affective et sexuelle et met en place des pratiques démocratiques de citoyenneté responsable au sein de l'école. (Article 8, 9° du décret missions de 1997, modifié en juin 2012).


Tous les enfants bénéficieront donc désormais d’une éducation sexuelle dès l’école primaire, puisque l’EVRAS (éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) fait partie des missions prioritaires de l’école.


Une revendication ancienne


Cela fait de nombreuses années déjà que certains milieux réclamaient l’introduction de l’éducation sexuelle à l’école. Jusqu’à présent, cela n’avait produit que des recommandations. En 2008, par exemple, une résolution a été votée par la Communauté française « recommandant la généralisation des animations à la vie relationnelle, affective et sexuelle en milieu scolaire » . Cette recommandation, relayée ensuite par les trois gouvernements francophones, faisait suite aux recommandations qui clôturaient un rapport déposé par l’Unité de Promotion Education Santé du Département Epidémiologique et Promotion de la Santé de l'ULB (ULB-PROMES), rapport commandé par la Communauté française de Belgique. Celui-ci évaluait le projet pilote d'animation à la vie affective et sexuelle à l'école débuté en 2004. Il  s'agissait pour quarante équipes d'animateurs à la vie affective et sexuelle de réaliser cinq animations de quatre heures. Cette étude montrait que 20% des jeunes, parmi les élèves de deuxième, troisième et quatrième secondaire, n'ont jamais eu d'activités d'éducation à la vie affective et sexuelle au cours de leur parcours scolaire et que les élèves des enseignements technique, artistique et professionnel sont plus nombreux que ceux de l'enseignement général à ne pas avoir eu d'animation.


La Fédération laïque des centres de planning demandait donc la généralisation de ces animations en les rendant obligatoires et demandait en même temps que les centres soient associés à leur conception et à leur mise en œuvre.


En 2011, cette généralisation était encore jugée « impraticable » par les ministres Simonet et Laanan. Elles arguaient que les écoles manquaient de temps, que les enseignants n’étaient pas préparés et que de nombreux parents se montraient très réticents… C’est donc un virage à 180 degrés qui a été effectué quelques mois plus tard.


Une nécessité éducative


Plusieurs arguments peuvent être avancés pour justifier cette mission nouvelle. On cite souvent l’hypersexualisation de la société et l’omniprésence de contenus à caractère sexuel, entre autres sur le net. Entre dix et douze ans, un enfant sur trois environ aurait déjà vu des images pornographiques. Pourtant, comme le souligne le Rapport remis au gouvernement, 20% des enfants en milieu de secondaire n’ont bénéficié d’aucune animation à la vie relationnelle et sexuelle. Et cela est un moyenne. Il faut en outre noter les disparités entre les types d’enseignement. Normal donc que l’on se préoccupe de la question de l’éducation sexuelle, en particulier dans les milieux de l’enseignement.


Bien sûr, de nombreuses écoles étaient déjà attentives à cette sensibilisation, par des animations propres assurées par des équipes extérieures ou par le fait de certains enseignants, mais ces animations deviennent aujourd’hui obligatoires. Dorénavant, chaque école primaire sera tenue de développer son propre projet, dans un cadre qu’elle est cependant libre de préciser. Entre apprendre « comment on fait les bébés » et l’éducation au respect de soi et de l’autre, l’éventail est large. Cette éducation pourra prendre place dans les cours existants de sciences, de religion ou de morale ou faire l’objet d’animations spécifiques. Elle pourra aussi être prise en charge par les instituteurs eux-mêmes, par le PMS ou les cellules de promotion de la santé, voire par les centres de planning ou d’autres intervenants extérieurs. Les écoles sont libres d’organiser l’éducation affective et sexuelle selon leur projet d’établissement et leurs réalités propres, mais le décret préconise une approche globale de l’individu, qui intègre les dimensions scientifiques et techniques, mais aussi relationnelles, affectives, psychologiques, sociales et culturelles. Les établissements seront en outre tenus de rendre compte de ce qu’ils ont réalisé dans leur rapport d’activités trisannuel.


Une victoire incomplète


Les différentes fédérations de centres de planning se sont évidemment réjouies de cette avancée, à laquelle certains ne croyaient plus. Ces fédérations ont d’ailleurs salué publiquement la modification du décret dans un communiqué de presse. « La Fédération des Centres de Planning Familial des Femmes Prévoyantes Socialistes, la Fédération Laïque des centres de planning familial et le Centre d’Action Laïque se réjouissent de l’avancée que représente cette proposition. L’éducation à la sexualité est porteuse d’enjeux majeurs tant en termes de santé publique que de projet de société ».


Les mêmes centres s’interrogent pourtant sur les modalités d’application du décret. Ils voudraient aller plus loin et que le décret précise la définition de ces animations. Ils auraient également souhaité devenir les opérateurs automatiques de ces animations dans les écoles, arguant de nombreuses années d’expérience en ce domaine.


Il s’agit donc d’un compromis, l’enseignement libre ayant du mal à accepter de perdre une partie de son autonomie sur un sujet aussi sensible. L’éducation affective et sexuelle n’est en effet pas un apprentissage comme les autres. Elle comporte certes des aspects d’information scientifique, de santé publique et de prévention des grossesses non désirées, des maladies sexuellement transmissibles et de la violence dans les relations. Mais elle touche aussi les valeurs et l’éthique propres aux différentes familles philosophiques ou religieuses. Et l’on sait que certains parents, voire certains courants catholiques sont très opposés à la prise en charge de l’éducation sexuelle par l’école, car elle est, selon eux, de la responsabilité exclusive des familles. Ils craignent qu’on apprenne à leurs enfants « à mettre une capote avant de faire l’amour », en dehors de tout contenu affectif et moral. Du côté laïque et des centres de planning, on craint au contraire que laisser la liberté ne permette à certains de parler d’amour en évitant d’affronter la vie sexuelle.


C’est d’ailleurs le refus de voir les centres de planning entrer dans les écoles qui motive les plus radicaux. Pour les catholiques conservateurs, les Centres de planning sont des centres d’avortement et ils ne peuvent imaginer qu’ils puissent se voir confier la mission d’éduquer à l’amour. « Nous pensons que généralement les professeurs suivent leurs élèves, sont en contact plus fréquents avec les parents et sont plus indépendants que les Centres de planning. Ces ‘réseaux d’avortoirs du pays’ seraient ainsi introduits dans les écoles, car ils parlent plutôt d’éducation sexuelle et affective ou seulement d’éducation sexuelle. Est-il possible d’avorter, de faire avorter et… d’aimer en même temps ?  »


Que penser ?


Puisqu’il s’agit d’un compromis, personne n’est parfaitement satisfait, mais l’opinion générale est plutôt favorable. Du côté des écoles, ceux qui étaient déjà convaincus de l’importance de ce volet éducatif y trouveront une confirmation de leurs options, même s’ils doivent constater avec résignation que le décret ne prévoit aucun moyen particulier pour assurer cette nouvelle mission. Les opposants regretteront cette énième circulaire et le rejet sur l’école d’une nouvelle tâche. N’en demande-t-on pas trop aux écoles ?  


Les réactions sont venues également des associations d’homosexuels, comme Arc-en-Ciel (fédération des associations lesbiennes, gays, bi et transgenre). Arc-en-Ciel Wallonie s’est réjouie de l’avancée et a signalé qu’elle planchait sur la conception d’animations en milieu scolaire, afin que les thématiques « lesbienne, gay, bi et trans » soient elles aussi prises en compte. On imagine le nouveau tollé que pourrait provoquer dans certaines écoles l’introduction de ces animations.


Pour Couples et Familles, la modification du décret représente une réelle avancée parce qu’elle donne l’assurance que chaque enfant bénéficiera d’une forme d’éducation affective et sexuelle par le biais de l’école.


Évidemment, l’obligation ne résout pas tout. Reste à savoir quel sera le contenu de cette éducation et comment elle sera assurée. Comme pour les autres aspects de l’éducation, on peut supposer que l’on constatera des différences entre écoles, selon leur dynamisme propre mais aussi selon la population à laquelle elles s’adressent. Il paraît en tout cas essentiel qu’elle soit adaptée aux différents âges des enfants auxquelles elle est destinée et qu’elle réponde aux questions qu’ils se posent à cette étape de leur vie.


Elle devrait comporter les différents aspects nécessaires à une éducation : des éléments d’information, des conseils de santé et de prévention, et une intégration de la sexualité dans un cadre affectif et dans une univers de valeurs, dont le respect de soi et de l’autre et le refus de toute violence.  


Enfin, dans cette matière sans doute davantage que dans d’autres, l’éducation doit être conçue comme une alliance entre familles et écoles . Les parents connaissent bien leurs enfants et ont la possibilité de répondre à leurs questions et préoccupations au moment qu’ils jugent le plus opportun. L’école doit imaginer un programme commun à tous, quel que soit l’évolution affective de chaque enfant, mais elle a l’avantage de la distance affective. Elle peut donner aux élèves la possibilité de s’exprimer avec plus de liberté qu’ils ne le feraient avec leurs parents. Les parents peuvent insister sur les valeurs qui sous-tendent les relations, alors que l’école restera plus neutre et s’en tiendra aux normes communément admises de respect de l’autre, d’égalité entre les sexes ou de lutte contre la violence. Des rôles complémentaires qui devraient s’insérer dans un projet éducatif global et pas se limiter à l’une ou l’autre période d’animation de deux heures. Mais au moins, avec ce décret, on peut espérer qu’il n’existera plus aucun enfant qui n’entend parler de sexualité que sur internet .

 


[1] http://www.enseignement.be/index.php?page=23827&do_id=401&do_check
[2] 26 juin 2008. Votée au Parlement de la Communauté française, à l’unanimité des partis démocratiques (seuls les 3 FN ont voté contre).
[3] J. Van Godtsenhoven (Familles Unies), réagissant à un projet antérieur, présenté par la ministre Nicole Maréchal.
[4] Voir à ce propos le dossier NFF 99 « Education  à l’école, à la maison », mars 2012.
[5] Analyse rédigée par José Gérard. Une version différente et plus brève de cette analyse est parue dans le magazine L’appel de septembre 2012.

 

 

 

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