Analyse 2012-18

Après dix ans d’existence, la dépénalisation de l’euthanasie fait-elle encore parler d’elle? L’euthanasie nous confronte à des questions existentielles. Elle renvoie au sens, ou au non sens, de la souffrance. Elle questionne le droit de vivre ses derniers instants dans la dignité et de mourir dans ce même état d’esprit. Elle nous confronte à  notre propre mort, à notre propre vie. Etat des lieux d’un sujet qui bouscule.


En quoi consiste l’euthanasie ?

« L’euthanasie est une mort douce et sans souffrance. Elle recourt à des procédés qui permettent de hâter ou de provoquer la mort pour délivrer un malade incurable de souffrances extrêmes ou pour tout motif  d’ordre éthique. » Cela, c’est pour la définition du Petit Robert. En grec, « eu » et « thanatos » désignent « une  mort facile et douce ». La loi relative à l’euthanasie du 28 mai 2002  en dit ceci : « Il y a lieu d’entendre par euthanasie l’acte, pratiqué par un tiers, qui met intentionnellement fin à la vie d’une personne à la demande de celle-ci ». La procédure à suivre est stricte et vérifiée a posteriori par une commission, la Commission de contrôle et d’évaluation. Et le tiers en question est un médecin, qui connaît bien son patient, a longuement dialogué avec ce dernier sur l’évolution de son état de santé et sur sa volonté de mourir, a consulté un collègue. La personne est majeure, ou mineure émancipée (min 15 ans). Elle a exprimé son souhait oralement, de façon répétée, et l’a écrit. Elle seule prend la décision. Les proches peuvent donner leur avis, si la personne le souhaite. Tout est consigné dans son dossier médical. Elle peut revenir à tout moment sur sa décision.  Afin de ne pas se tromper sur les mots : l’euthanasie est une mort volontaire, délibérée. Sans une loi pour en dépénaliser l’acte, c’est un meurtre. Il faut la distinguer du suicide assisté ainsi que des soins palliatifs. La loi sur l’euthanasie évite aux médecins des poursuites et une condamnation qui leur coûteraient très cher. D’ailleurs, l’euthanasie est interdite dans la plupart des pays, hormis aux Pays-Bas, au Grand-duché du Luxembourg et en Belgique. Ceci dit les médecins peuvent refuser de la pratiquer par le biais d’une clause de conscience. Au travers de leur serment d’Hippocrate, leur vocation est de soigner, non de « tuer ».


Dans une interview donnée par Mgr Suaudeau  : « Le médecin est fait pour la vie. Il n’est pas obligé de la maintenir à tout prix mais il ne peut pas donner la mort.  La possibilité que des médecins donnent la mort, c’est très grave car du coup un doute s’installe chez les gens « Je vais à l’hôpital mais qu’est-ce qui va se passer à l’hôpital ? Puis-je avoir confiance en le médedin, en les infirmières ? »


Votée en mai 2002, cette loi est le fruit de longs débats sur le droit de mourir dans la dignité.  Pour Philippe Mahoux, Sénateur et co-auteur de la loi, en levant l’interdit pénal, la loi a rendu la parole à ceux qui souffrent. Chacun a désormais le droit d’apprécier, pour lui seul, face à la souffrance, ce qui est qualité et dignité de vie. Elle a renforcé le dialogue entre le médecin et son patient. Elle permet au médecin de poser ce qu’il qualifie « l’acte d’ultime d’humanité » .


Quelques données chiffrées


Dans son dossier qui retrace les dix ans d’application de la loi en Belgique, l’Institut Européen de Bioéthique  rappelle que cette loi apporte une sécurité juridique, tant pour le patient qui voit sa demande d’euthanasie respectée dans les conditions strictes que pour le médecin qui échappe à toute condamnation pénale s’il pratique l’euthanasie dans les conditions prescrites par la loi. Les mineurs ont été temporairement exclus du débat de l’euthanasie parce qu’ils ne peuvent exprimer valablement leur volonté et qu’il est délicat de permettre à des tiers de demander l’euthanasie en leur nom. D’autant plus que le potentiel d’amélioration des mineurs est plus important que les adultes.


Le nombre total d’euthanasies déclarées s’est élevé à 3451 entre septembre 2002 et décembre 2009. Le chiffre annuel est en constante évolution. Parmi les euthanasies déclarées, 97% ont été demandées par un patient conscient et 3% par un patient qui avait rédigé une déclaration anticipée. Une moitié environ des patients sont masculins et la moitié d’entre eux ont entre 60 et 79 ans. 80% des euthanasies ont été déclarées en Flandre. Dans 8% des cas d’euthanasies déclarées, le décès n’était pas prévisible à brève échéance.  Les affections les plus  couramment déclarées sont en premier lieu les affections neuropsychiatriques, suivies par les affections neuromusculaires évolutives ainsi qu’une combinaison de pathologies multiples. Dans 92% des demandes, le décès était considéré comme à brève échéance et parmi elles, 80 demandes sur 100 reposaient sur des souffrances résultants d’un cancer. 10% des médecins à qui l’on adresse une demande d’euthanasie ne sont pas formés en soins palliatifs et que dans 40% des cas, une équipe palliative est consultée.


La Commission de contrôle fait aveu d’impuissance car elle déclare ne pas être en mesure d’évaluer la proportion du nombre d’euthanasies déclarées par rapport à celles réellements pratiquées. Or, l’objectif de sortir l’euthanasie de la clandestinité avait été un argument de poids en 2002. De plus, il s’avère que cette commission se montre souple par rapport à des conditions qui avaient pourtant été clairement identifiées. C’est le cas du refus de l’euthanasie dans des cas de souffrance purement psychique. Or, la commission avalise ces cas. Dès lors, pour certains, cela signifie une absence de contrôle effectif de l’application stricte de la loi, qui entraine une banalisation de l’euthanasie. L’on observe également une confusion des termes. C’est le critère de l’intention de donner la mort qui est déterminant. Par conséquent, ni l’arrêt d’un traitement disproportionné, ni la sédation palliative, qui vise uniquement à atténuer la douleur, ne sont des euthanasies.


Or, l’idée se répand que l’euthanasie serait une des possibilités offertes dans le cadre de soins palliatifs. Le principe même des soins palliatifs est d’accepter, en son temps le jour de la mort et la manière dont elle va survenir. Tout en apportant des soins pour soulager la douleur et un accompagnement au patient et à son entourage.  Autre dérive potentielle que l’on observe de plus en plus c’est de voir s’adjoindre  à la demande d’euthanasie un formulaire de don d’organes. N’y a-t-il pas risque que ce patient se sente sous l’effet d’une pression extérieure, qui est tout à fait proscrite par la loi ?


Les bénéfices


L’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD)  milite depuis 1982 en faveur de l’euthanasie. Par ses prises de positions et ses actions, elle a porté le débat sur la scène publique et politique. Elle y est pour beaucoup dans l’adoption de la loi. Aujourd’hui, ses priorités sont d’élargir l’application de la loi à d’autres catégories de personnes.
La présidente de l’ADMD, Jacqueline  Herremans, porte un regard positif sur l’application de la loi.   Tout d’abord, cette loi fait sortir des milliers d’euthanasies de la clandestiné et de l’hypocrisie ambiante. Ensuite, la loi modifie la relation médecins-patients de par un dialogue très important entre eux. Les malades sont prêts à se battre plus longtemps parce qu’ils ont la perspective concrète d’une issue s’il n’est plus possible pour eux de vivre. Jacqueline Herremans voit la sérénité des patients. Ils peuvent entamer avec la famille un travail de deuil qui leur permet de faire leurs adieux. Si l’on s’en réfère aux témoignages du reportage co-produit par le Centre d’Action Laïque et le Centre Laïque de l’Audiovisuel, en collaboration avec l’ADMD , les patients et leurs proches envisagent l’euthanasie avec sérénité. Le fait de décider du moment où ils peuvent partir est un soulagement. Ils ne subissent plus la mort. Ils transforment ce passage en une expérience partagée et vécue avec les proches. Ces moments sont souvent des moments forts, des moments d’échanges intenses.


Cette loi libère de l’angoisse d’une fin de vie difficile. Elle relance un processus de vie qui augmente la combativité face à la maladie, permet d’accepter des traitement difficiles. D’après des proches qui ont assisté à une euthanasie, ce moment est émouvant, pas brutal.


Quant aux impacts sur le médecin, l’absence de loi l’obligeait a opérer seul et à affronter seul sa conscience, tout en commettant un acte considéré comme un assasinat. La crainte de poursuites judiciaires le faisait reculer et s’il acceptait, rien ne prouvait que l’acte allait être pratiqué de manière adéquate. Il semble également indéniable que la loi sur l’euthanasie a libéré la parole. Dans les maisons de repos, des résidents parlent plus facilement de leur mort. Ils s’assurent auprès des soignants qu’on ne les laissera pas souffrir.
Les zones d’ombre : « Ma mort, c’est moi que cela intéresse »


« On a l’impression que la personne s’endort ». Version édulcorée d’un acte qui représente une certaine violence sur le plan symbolique ? Une infirmière en soins palliatifs partage son expérience. « L’euthanasie est une dépénalisation de l’acte de donner la mort. Pas une autorisation. »


Pour cette professionnelle qui accompagne des personnes en fin de vie, il n’y a pas de réponse toute faite à cette demande « officielle » de mourir. L’on condond souvent euthanasie et soins palliatifs. En soins palliatifs, l’on vise le bien être de la personne en la soulageant de ses souffrances. Dans sa pratique, cette infirmière observe que de nombreuses personnes ont introduit une demande sans passer à l’acte. Parce que les patients ont été entendus, parce que cela les rassure, parce qu’ils ont cheminé depuis et ont renoncé à ce projet, parce qu’ils n’ont pas osé demander à leur médecin et ne veulent pas en changer. Les hypothèses de réponses sont multiples. Le personnel infirmier en soins palliatifs a le devoir d’informer les malades sur l’euthanasie, sans jugement. De les motiver à en parler avec leur médecin et à rédiger leur lettre. Certains en parlent avec les infirmiers et infirmières mais pas à leur médecin. Si cela coince, ils vont éventuellement en parler avec ce dernier,  mais ils n’ont pas à se positionner. Pour sa part, notre infimière respecte le choix de la personne, tout en gardant la conviction qu’il y a d’autres chemis à emprunter. Mais elle n’a pas à les imposer. Elle constate que des traitements sont prodigués sans se poser la question de la qualité de vie. Des personnes demandent l’euthanasie parce qu’elles n’en peuvent plus de traitements qui sont allés trop loin. Certains sont même prêts à accepter des interventions mutilantes parce qu’il y a la porte de secours de l’euthanasie.  D’autres ne peuvent supporter la dépendance et se disent qu’il ne peuvent plus rien tirer de bon de la vie. Le choix de l’euthanasie doit s’incrire dans une relation. Il faut donc du temps pour créer un lien avec un médecin. Pour éviter les dérives, il est essentiel que les politiques posent un cadre légal qui protège les personnes et permet que cet acte, que tout acte d’accompagnement de fin de vie, reste humain. Dans son éditorial paru en 2003 sur le sujet, Jean-Michel Longneaux  signalait qu’il ne suffisait pas d’énoncer une loi. Fallait-il encore que les instances officielles mettent en place des procédures de soutien qui aident le personnel soignant à faire face aux demandes formulées par les patients : comment écouter ? Ou comment dire que l’on n’a pas la force d’écouter ces demandes ? Comment répondre ? Comment fait-on pour parler à quelqu’un de sa mort prochaine ? Comment refuser ? A qui passer le relais ? Des interrogations toujours d’actualité.


Et la famille là-dedans ?


A vrai dire, selon la loi, la famille n’a aucun pouvoir de décision. Fort heureusement dans un sens. Un membre de la famille ne peut faire une demande d’euthanasie. Seule la personne malade peut le faire, en tout état de conscience. Elle peut en informer les siens, en discuter avec eux, si elle le souhaite. Mais ces derniers ne peuvent l’influencer dans sa décision, qui lui revient. Cet aspect sera d’ailleurs vérifié par le médecin. Mais comment évaluer l’autonomie d’une personne ?


Dans le processus de deuil qui doit s’opérer, une personne candidate à l’euthanasie ne peut être prête que si ses proches le sont. Sinon, comment partir sereinement, en âme et conscience, si l’on sait les siens dans l’ignorance ou le déni ? A nouveau, un tel choix se prépare, se mûrit. La loi prévoit un délai d’un mois entre la décision et le passage à l’acte. Mais un mois est-ce suffisant ?


Gabriel Ringlet, dans une formation autour de la fin de vie organisée par le Forum Eol , partage également cette nécessité du temps. « Le moment de la mort est un acte si essentiel qui doit se préparer. Nous devrions pouvoir vivre avec la mort et prendre distance. »


Quelle est la position de l’Eglise catholique ?


L’Eglise catholique considère la mort comme un phénomène naturel. Mais en Occident, la mort est devenue un non-dit. Nous sommes dans une période de l’histoire où choisir sa mort fait partie de la liberté individuelle. La culture actuelle de consommation ne « vend » que des vies jeunes, en bonne santé. Tout ce qui peut atteindre cette image est considéré comme négatif. Et la mort, on ne veut plus en parler. Tout va dans le sens de de la facilité. Ce qui a été perdu, c’est le caractère sacré de la vie et le fait que l’homme, en luttant, est vraiment homme. Il s’accomplit dans la lutte. Pour Mgr Suaudeau, la personne qui se trouve dans une situation difficile a besoin d’une aide. La réponse de l’Eglise catholique à l’euthanasie est de dire que la personne en fin de vie doit être aidée humainement. Mais il ne saurait être question d’envisager le maintien de la vie physique à n’importe quel prix.  « Si la souffrance est intrinsèque à la vie, l’homme doit en redécouvrir la dimension sociale, d’où l’importance des soins palliatifs », Mgr Gervais. L’une des plus grandes craintes des gens serait de mourir dans un environnement dépersonnalisé. Mais il faut éviter de tomber dans le piège que parce que l’on organise les soins palliatifs on n’a plus à s’occuper de la personne mourante. De par sa nature, la vie humaine implique interdépendance et responsabilité mutuelle puisqu’elle est relation. Dans la tradition chrétienne, la vie est un don de l’amour de Dieu dont les hommes sont les intendants, non les maîtres. Si la liberté et l’autonomie de la personne sont légitimes, le « contrôle» ne peut devenir la valeur fondamentale à laquelle toutes les autres, et la vie elle-même, seraient subordonnées.


On tente parfois de légitimer l’euthanasie par la demande de celui qui souffre. Il est capital de mieux percevoir sa souffrance, son désespoir, son sentiment d’avoir perdu toute valeur, pour mieux la soulager, pour lui témoigner son attachement. La plupart des demandes d’euthanasie sont des interrogations sur l’estime portée par autrui, et des requêtes d’amour .


Pie XII a été novateur en la matière . Il a souligné qu’il n’était pas du tout obligatoire de souffrir ses souffrances jusqu’au bout. Il avait déclaré qu’il est licite de supprimer la douleur au moyen de narcotiques, s’il n’existe pas d’autres moyens.  Dans ce cas, la mort n’est pas voulue ou recherchée. On ne demande pas l’héroïsme aux gens. Par contre, l’Eglise insiste sur la nécessité d’un moment de lucidité. Il faut laisser au mourant une certaine conscience pour que le malade puisse vivre sa mort, régler ses dernières affaires, penser, se réconcilier, méditer, se préparer à cet au-delà. Il faut donc ménager des moments de non-douleur car lorsque vous souffrez, vous n’êtes pas libres.


Il ne faut pas se surestimer, accepter les antalgiques qu’on vous donne, accepter le traitement. L’idée n’est pas de souffrir pour souffrir. L’idée c’est de pouvoir vivre sa mort humainement. Tout cela dans une relation de confiance réciproque entre le médecin et le malade. L’euthanasie concerne donc certains patients et ne peut s’appliquer à tous. La plupart des gens meurent dans des conditions normales, chez eux. Et c’est ce que l’on peut leur souhaiter de mieux. Sans faire d’euthanasie, nous pouvons faire beaucoup de choses pour adoucir la dureté de la mort, estime Mgr Suaudeau.


Un élargissement de la loi ?


Plusieurs propositions de loi veulent élargir la loi aux mineurs et aux personnes inconscientes (coma, démences, Alzheimer,…). Etienne Monter, Doyen de la Faculté de droit de Namur, rappelle le cadre strict de la loi de l’euthanasie : l’euthanasie se fait sur demande par une personne consciente ou moyennant une déclaration anticipée, pour qu’elle soit appliquée « dans une situation irréversible ». Or, dans pas mal de propositions de loi, fait remarquer le professeur Monter, on va vers des euthanasies sans demande.  Cette évolution est inquiétante selon lui car elle va instiller le doute et la méfiance au sein des familles, et dans la relation avec les équipes médicales.  Etienne Monter pointe du doigt un élément très discutable à la base de cette loi : le fait de lever l’interdit de la mort, qui est un des fondements de l’Etat de droit. La loi ne peut autoriser certaines personnes à donner la mort à d’autres personnes. Les partisans de l’euthanasie invoquent l’ultime liberté de disposer de son corps, de sa vie, et du droit de décider de l’heure de sa mort (bien que cette démarche soit difficile). « L’euthanasie n’est pas un droit de disposer de soi mais le fait de confier à un corps médical le pouvoir de donner la mort à l’autre. » C’est là que l’on voit que l’euthanasie engage le corps médical, la médecine et affecte les fondements de l’Etat de droit.


Quelle légitimité pour la loi de l’euthanasie ?


Etienne Monter n’est pas le seul à mettre en question le bien fondé d’une extension de la loi du 28 mai 2002. Un collectif de professionnels issus de milieux divers  (médical, universitaire, associatif, philosophique et religieux toutes confessions confondues) partent du constat suivant. Des soins médicaux appropriés, un accompagnement psychologique et une présence aimante aux côtés du malade suppriment souvent la demande d’euthanasie. La présence de la famille et des proches est essentielle. Si toute demande d’euthanasie doit être écoutée et reçue avec compréhension parce que la personne n’en peut plus, faut-il pour autant que la société acquiesse à cette demande de mort ? Une telle demande est souvent un appel à l’aide. « A cet appel, et il faut le redire avec force, la seule réponse appropriée est de soutenir le désir de vivre qui se manifeste dans une demande de mort. »  L’euthanasie est loin d’être une affaire individuelle. Elle implique le corps médical, qui donne son aval. Même s’il en coûte au médecin qui la pratique. Même s’il estime, en toute conscience, poser un acte libérateur et d’amour pour l’être en souffrance. Mais est-il question d’amour ? N’est-ce pas une vision du monde laïque qui restreint sa réponse à la souffrance à un acte de mort ? L’autorisation légale de l’euthanasie a un impact sur le tissu social et sur notre conception de la médecine. Elle transgresse un interdit fondateur.


Une fois l’interdit levé, certains craignent que l’on s’oriente vers une banalisation du geste euthanasique. Plus une société refuse de voir la mort et d’en entendre parler, plus elle se trouve encline à la provoquer.  L’ euthanasie fragilise les personnes les plus vulnérables, qui sous l’effet de diverses presssions, conscientes ou inconscientes, peuvent se croire moralement obligées de demander une euthanasie. Ce collectif de professionnels réclame une évaluation objective de la loi plutôt que de l’assouplir ou de l’étendre.


Conclusion


Décider de mourir est un choix toujours difficile à faire. Tant pour le malade, que pour ses proches, et le médecin qui le matérialise. Jean-Michel Longneaux rappelle que, quoi que l’on fasse, on n’est jamais certain d’avoir raison, un doute subsistera toujours. La conscience éthique rappelle que donner la mort, même demandée, est toujours un geste « grave « , et l’on comprend mal (ou plutôt trop bien) pourquoi certains ont besoin de se persuader que ce qu’ils font là est un « geste d’amour », pour accepter d’assumer leurs responsabilités. Mais refuser une demande réfléchie est tout aussi « grave » car quelles que soient les intentions qui animent ceux qui optent pour cette attitude, on présume que tout être humain devrait avoir la force de supporter de vivre dans n’importe quelle condition : or, nous avons chacun nos limites et il est important d’être respecté là aussi.  Fuir est inadmissible. Et le danger d’une loi est de laisser croire qu’elle a réglé le problème et qu’on peut par conséquent s’en sortir avec bonne conscience.


Le législateur ne peut ignorer les impacts d’une telle loi, tant sur les individus que sur les familles, la société et sur la vision de la vie et des rapports humains. Il doit pouvoir apporter un cadre sécurisant à l’accompagnement de toute fin de vie, et les moyens de traverser cette étape de la vie avec le plus de sérénité possible.


Quelle que soit la fin de vie, toute personne a le droit d’être entendue et accompagnée dans ce cheminement. Une personne ne peut se sentir prête à partir que si ses proches le sont également. L’acceptation est une clé dans le processus de deuil. Les proches ont à vivre avec ce décès, et les circonstances qui l’entourent. Diverses options et alternatives existent. Il est important de les connaître et de les avoir ne fût-ce qu’abordées ou tentées.


C’est de mort et de vie dont il est question ici. De ces essentiels qui ne peuvent s’éluder en quelques phrases ou « idéologies » couchées sur le papier, parce que infiniment intimes. Loin d’avoir épuisé la question, ce sujet mérite toutes les nuances qui s’imposent et le respect de ceux et celles qui souffrent .

 

 


 

[1] Moniteur belge- Ministère de la Justice – 28 mai 2002 – Loi relative à l’euthanasie page 28515-28520
[2]  ”Auprès du malade incurable et du mourant : orientations éthiques et opératoires.”Extrait d’un entretien effectué par Marguerite Peeters, rédactrice en chef de l’Interactive Information Services, de Mgr Jacques Suaudeau, de l’Académie Pontificale pour la Vie, à l’occasion de la 14ème assemblée générale en février 2008 autour des problèmes de fin de vie.
[3]  Question de droit, La loi dépénalisant l’euthanasie, brochure éditée par les Mutualités socialistes, 2004
[4] Institut Européen de Bioéthique, Euthanasie : 10 ans d’application de la loi en Belgique, Les dossiers de l’IEB, avril 2012
[5]  www.admd.be
[6]  La Libre Belgique, Quel bilan pour la loi sur l’euthanasie ?, 19 mai 2012
[7]  www.clav.be, Vivre avec l’euthanasie, 2012
[8]  Jean-Michel Longneaux, L’euthanasie, un an après la loi, Ethica Clinica, n°32, décembre 2003
[9] Forum Eol, groupement de médecins constitué en avec l’aide logistique de l’ADMD, www.admd.be
[10]  Questions actuelles, L’euthanasie et le débat public, Juillet-Août 2001
[11]  Texte des Evêques de France, Respecter l’homme proche de sa mort, Déclaration du Conseil permanent de la Conférence épiscopale française, Juillet-Août 2001
[12]  Extrait de “Evangelium Vitae” par Jean-Paul II.
[13]  La Libre Belgique, Dix ans d’euthanasie : un heureux anniversaire ?, 13 juin 2012
[14]  Analyse rédigée par Nathalie Louis.

 

 

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