Analyse 2012-14

En mars 2012 les scouts ont choisi de modifier la formulation de la Loi et de la promesse scoutes. Ni l’une ni l’autre ne comportent désormais de référence à Dieu. Comme les mouvements de jeunesse sont un des lieux d’éducation importants pour de nombreux jeunes, à côté de la famille et de l’école, on comprend que cette évolution a suscité des réactions en tous sens.


Qu’est-ce qui a changé ? En fait, quelques mots seulement, mais qui pour certains sont très lourds de signification. En 1931, le deuxième article de la Loi scoute, dans sa version belge, s’énonçait en ces termes : « Le scout remplit ses devoirs envers Dieu, l’Eglise catholique, le roi et la patrie, ses parents, ses chefs et ses subordonnés. Il est l’ami de tous.»  Église, famille, patrie : voilà des références explicites qui ont vieilli et que l’on n’oserait plus évoquer aujourd’hui en ces termes, si ce n’est dans certains groupes d’extrême droite. On comprend donc qu’en 1981, la phrase se modifie et devient : « Le scout est frère de tous, car il est fils de Dieu ». Et un peu plus tard, en 1984 : « Le scout se veut frère de tous, il cherche Dieu ». Ce n’est donc pas d’aujourd’hui que le texte de la Loi scoute n’est plus considéré comme un texte intangible et immuable. C’est même une tradition de l’adapter.


Suite à un long travail de réflexion interne et de consultations de toutes les troupes réparties sur le territoire de la Fédération Wallonie Bruxelles, c’est en 2011 que huit cents animateurs se sont réunis en congrès pour échanger leurs points de vue, réfléchir aux textes fondateurs du mouvement et émettre des propositions de changements. Une tendance très nette s’est alors dégagée pour demander que la notion de fraternité ne fasse plus référence à Dieu. Dans la nouvelle formulation proposée à l’approbation des délégués lors de l’assemblée fédérale du 2 mars 2012 à Louvain-la-Neuve, la référence à Dieu a donc disparu : « Le scout est un frère pour tous ».


Réactions des parents ou grands-parents


Les réactions à cette évolution ont été très diverses. Parmi les premiers intéressés, les parents qui confient leurs enfants aux mouvements de jeunesse. Quelques-uns ont bien sûr regretté cette adaptation, mais l’évolution du public qui compose désormais les troupes scoutes fait qu’il ne s’agit que d’une petite minorité. Les parents de scouts ne sont plus majoritairement des catholiques convaincus. Souvent anciens membres de mouvements de jeunesse eux-mêmes, ils apprécient l’apprentissage de la vie de groupe, la fraternité, la prise de responsabilités, les activités au grand air et en contact avec la nature, voire une référence aux valeurs évangéliques d’attention aux plus faibles. Un certain humanisme, qu’ils trouvent important dans l’éducation de leurs enfants.  


Certains, même s’ils ne sont plus catholiques convaincus et pratiquants, expriment tout de même une certaine nostalgie vis-à-vis de cet environnement de sens et de spiritualité qui entourait la vie scoute. Ils se souviennent avec nostalgie des feux de camp qui se terminaient par le cantique des patrouilles et cette simple évocation suffit parfois à susciter en eux de l’émotion pour tout ce vécu humain qui les a marqués profondément pendant leur enfance, il y a vingt, trente ou cinquante ans…


Certains sont évidemment scandalisés et l’expriment dans des termes clairs : « Supprimez Dieu et les scouts perdent leur âme… Le fondement du scoutisme est basé sur les valeurs judéo-chrétiennes », « On laisse filer tout ! Au lendemain des JMJ, c’est désespérant ! ». Parmi les plus virulents, il en est même qui n’hésitent pas à opposer cette perte d’identité chrétienne à l’affirmation de plus en plus forte de l’Islam dans les pays occidentaux : « Un pas de plus vers l’islamisation de notre société. Je crains que la croix sur les tombes va bientôt être interdite ».


On pourrait dire qu’à l’autre extrémité, certains ne comprennent même pas pourquoi cela pose problème. Ils ont été scouts dans leur enfance mais n’ont pas été marqués par ces références religieuses. « J’ai été scout pendant quelques années et je n’ai jamais lu les statuts de ce mouvement. Autrement dit : les scouts s’en balancent ». Cela dépend évidemment de l’expérience de chacun. Une troupe n’est pas l’autre et selon qu’il y a ou non un aumônier, selon la composition du staff des animateurs ou du staff d’unité, les orientations concrètes peuvent être très éloignées sur ce plan.


Réactions institutionnelles


C’est du côté de l’Eglise catholique que les réactions négatives ont été les plus nettes. Mgr Kockerols, évêque référendaire pour la pastorale des jeunes, réagissait au projet de changement et La Libre du 17 février 2012 publiait son opinion. Il y regrette que la nouvelle formulation de la Loi scoute mette de côté toute référence à Dieu, alors que, selon lui, cette référence « n’implique pas que chacun partage la même foi ». Il fait aussi allusion à un autre article du texte et se demande si le critère avancé de l’engagement, à savoir « l’épanouissement personnel, social et spirituel » reflète encore un véritable engagement envers autrui. Dans sa réaction, il fait également allusion aux liens entre les paroisses et les troupes scoutes, « qui se sont distendus sans pour autant avoir entièrement disparu ». Une manière de rappeler que, dans de nombreuses situations locales, les locaux occupés par les troupes scoutes sont mis à disposition par les paroisses. Il y voit donc un argument pour provoquer de nouveaux partenariats. Une invitation qui a paru à certains assez proche du chantage : plus d’animation spirituelle, plus de liens avec la paroisse, alors plus de locaux !


Le CJC, conseil de la jeunesse catholique, qui rassemble un grand nombre de mouvements de jeunes, mais dont Les Scouts se sont détachés il y a quelques années, a lui aussi réagi. Reconnaissant que l’évolution des Scouts est tout à fait honorable dans sa volonté de s’adapter aux évolutions de la société, il regrette néanmoins que d’autres options n’aient pas pu s’exprimer. Les organisations membres du CJC, confrontées aux mêmes changements sociaux et aux mêmes enjeux, portent un autre regard sur les réponses à y apporter. « La société multiculturelle et ouverte dans laquelle nous vivons est une chance. La liberté, la citoyenneté et la démocratie ne peuvent s’accomplir qu’en prenant compte des positions de chacun et des cadres préalablement existants. Nous sommes convaincus que la tradition chrétienne, au-delà de la question de la foi, est riche d’enseignements dans la construction de nos identités individuelles, collectives, politiques et sociales. Nous sommes également convaincus que vivre cette tradition chrétienne aujourd’hui laisse le libre choix et ouvre l’esprit.[1] »


Il est sans doute bon de rappeler que l’évolution des Scouts n’est pas un événement isolé mais s’insère dans un mouvement plus général. Les mêmes débats avaient déjà eu lieu il y a quelques années quand la fédération avait retiré le terme de ‘catholique’ de sa dénomination, pour s’appeler simplement Les Scouts.  Et cela prend sens dans un contexte plus général d’interrogation des mouvements et institutions catholiques sur leur lien avec l’Eglise ou une référence religieuse. Il suffit de se rappeler de la transformation du PSC en CDH, des discussions au sein de l’UCL sur le maintien du ‘C’, des prises de distance de mouvements comme Vie Féminine, etc. Cette  question a d’ailleurs des dimensions européennes, comme en témoignent les débats récents sur l’inscription d’une référence aux origines chrétiennes dans la constitution européenne.


Du côté des Scouts


Du côté des Scouts, on se défend de vouloir marquer une rupture et on insiste plutôt sur la continuité qui se dégage dans l’évolution. Pour Jérome Walmag, président des Scouts, « La suppression du mot ‘Dieu’ n’est pas une remise en question de la dimension spirituelle et religieuse du mouvement, mais une manière de la servir avec plus de respect pour le cheminement de chacun. Tout croyant (ou non) pourra désormais s’affirmer de manière décomplexée. Il ne s’agit pas de modifier les valeurs qui sont le fondement du mouvement mais de réfléchir à une nouvelle formulation ».


José Reding, prêtre et théologien, a été dans les années quatre-vingt vice-président du Conseil de la Jeunesse Catholique ; le titre d’aumônier s’effaçait. Il était donc au cœur d’une mutation en germe depuis plusieurs années. Pour lui, la permanence des valeurs n’épuise pas la question. Les valeurs de fraternité ouverte à tous que l’on trouve dans la Loi scoute font partie d’un fond commun à la plupart des philosophies et religions. « Dans le passé, Dieu apparaissait comme la légitimation de cette fraternité universelle. Et on avait peur qu’elle ne s’effrite si disparaissait la foi en Dieu. L’Église a tenté de maintenir le lien entre les deux par des stratégies de pouvoir. Aujourd’hui, il apparaît à la plupart comme une évidence que ces valeurs s’appuient sur la raison. Mais je pense qu’il serait dommage de se laisser porter sans esprit critique par un mouvement culturel qui se prend pour évident, comme la religion se prenait pour évidente dans le passé. Je pense qu’il est essentiel d’essayer d’articuler ces valeurs avec la recherche de Dieu. Dieu est une énigme, est non évident, mais sa non existence n’est pas évidente non plus. Le Dieu de Jésus-Christ est un Dieu qui n’est pas évident et il est important de le dire, mais il serait dommage que nos enfants ne le cherchent plus. Si j’étais papa, je trouverais dommage que les scouts suppriment l’invitation à une recherche ouverte de Dieu. Il existe un certain consensus sur les valeurs universelles, mais il me semble essentiel pour l’avenir qu’on arrive aussi à un consensus sur le fait qu’il existe plusieurs fondements légitimes différents aux valeurs universelles. La rationalité est un fondement légitime, mais les traditions spirituelles et religieuses sont aussi un fondement légitime. Et cela implique de sortir de l’opposition trop facile entre laïcité rationnelle et religion irrationnelle et obscurantiste. » Dans une tradition de sécularisation en marche depuis trois siècles, l’Europe est peut-être la seule région du monde à pouvoir tenter de fonder une société sur cette reconnaissance de fondements différents et c’est essentiel pour l’avenir. Mais se pose-t-on la question en ces termes à dix-sept ans ?


En conclusion


Les mouvements de jeunesse étant un lieu essentiel d’éducation aux yeux de nombreux parents, Couples et Familles est évidemment interpellée par cette évolution des Scouts. Couples et Familles se sent également concernée à un autre niveau, puisque l’association, créée par des chrétiens il y a 75 ans, a toujours entretenu avec l’institution ecclésiale des rapports très libres et non structurels.


La question que suscite ces débats est en fait de savoir comment articuler aujourd’hui les liens entre valeurs (qui sont pour la plupart un socle assez universel, comme José Reding le rappelle plus haut), les relations avec l’Eglise catholique comme institution, l’identité propre d’un mouvement, les identités plurielles des membres de ce mouvement, et l’interrogation spirituelle sur le sens ultime de l’existence. Le retrait du mot « Dieu » de textes fondateurs est un événement symbolique important, mais il ne fait que marquer des évolutions en cours depuis bien longtemps. Combien de fois des références explicites et conscientes à Dieu étaient-elles faites dans la vie quotidienne des troupes scoutes ? Sans doute pas très souvent…


À côté des textes de référence, les pratiques locales ont certainement une importance décisive. Il est sans doute essentiel que des espaces d’interrogation sur le sens de la vie subsistent partout où c’est possible. L’engagement des très nombreux jeunes qui animent leurs cadets tous les week-ends et une partie de leurs vacances est probablement le premier signe d’une participation au « Royaume de Dieu » dont parlent les évangiles. Si des adultes souhaitent rendre la référence à une tradition plus effective, il leur est toujours possible de s’engager aux côtés des jeunes qui passent beaucoup de temps à « éduquer » des plus jeunes qu’eux est. C’est probablement plus efficace que les débats d’idées, même s’ils révèlent toujours les questions que suscitent les mutations sociales. La véritable interrogation est de savoir comment susciter aujourd’hui de manière pertinente l’interrogation sur le sens de l’existence et comment offrir l’accès aux traditions qui ont essayé d’élaborer des réponses dans la recherche et la confrontation. Une belle tâche d’éducation permanente[2].

 


[1] Julien Bunckens, Secrétaire général du CJC, communiqué du 9 mars 2012.
[2] Analyse rédigée par José Gérard. Une version abrégée de cette réflexion a été publiée dans le magazine L’Appel de mars 2012.

 

 

 

Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants