Analyse 2012-07  

Les interventions en esthétique médicale ne sont plus rares aujourd’hui. Elles s’imposent presque comme des actes d’esthétique comme les autres, entre la manucure et l’épilation. Est-ce pourtant sans danger ?



La chirurgie esthétique connaît depuis une quinzaine d’années un développement considérable, en Europe comme aux Etats-Unis. Jusqu’il y a peu, elle était réservée aux stars hollywoodiennes et restait une pratique relativement discrète. Si Michael Jackson ne faisait guère mystère de ses multiples interventions chirurgicales à la recherche d’une image idéale de soi, la plupart des vedettes de cinéma qui y avaient recours restaient assez discrètes sur la question. Aujourd’hui, au contraire, la pratique s’est banalisée. Une enquête réalisée par Test Achats en 2009 faisait apparaître que 8% des hommes et 16% des femmes âgé(e)s de 18 à 65 ans y avaient déjà eu recours. Ce n’est plus une proportion marginale de la population.



Par ailleurs, la pratique est aujourd’hui acceptée socialement. On ne cache plus nécessairement qu’on y a eu recours et certain(e)s font état de la dernière intervention comme ils parlent de leur dernier séjour de vacances. Si vous tapez « stars et chirurgie esthétique » dans votre navigateur internet, la liste des références est très longue. On peut tout y apprendre. Des photos « avant et après » des people du moment, comme des commentaires des personnes concernées ou des internautes quant aux résultats. On apprend ainsi que Cameron Diaz reconnaît s’être fait refaire le nez, que Brad Pitt se fait régulièrement des injections de Botox car « après quarante ans, ça craint, votre visage s’affaisse, tout fout le camp », et qu’Emmanuelle Béart confesse « J’ai fait refaire ma bouche à l’âge de vingt-sept ans. Ce n’est une énigme pour personne, c’est loupé ».

Signe du succès populaire de la chirurgie esthétique et sans doute facteur supplémentaire de sa popularisation, la téléréalité s’est emparée du phénomène venu des Etats-Unis avec des émissions comme « Tout pour plaire » (RTL). Et pour la rendre encore plus accessible, des tours opérateurs proposent désormais des formules de « tourisme esthétique ». Estetika Tour propose par exemple une formule tous frais payés, avec séjour en hôtel quatre étoiles en Tunisie et opération d’augmentation mammaire au prix concurrentiel de 2600 Euros.

Les dangers


Dans une société où l’image a tellement d’importance, où l’on est de plus en plus exposé aux regards des autres via les nouvelles technologies de l’information, il n’est pas étonnant que la recherche d’une meilleure image prenne davantage d’importance. D’autant que les moyens techniques se sont perfectionnés et que le niveau de vie est, pour une partie en tout cas de la population, relativement élevé. Une certaine pression sociale s’est donc développée, incitant à offrir de soi une image la plus parfaite, « puisque c’est désormais possible ». Une enquête du CRIOC relevait que les proches sont rarement demandeurs de telles interventions : 8 hommes sur 10 et près de 9 femmes sur 10 n’accepteraient pas que leur conjoint fasse appel à la chirurgie esthétique. Pourtant, selon Paul Cohen Jonathan, chirurgien esthétique et ancien chef de clinique à la faculté de Paris, les pressions extérieures sont fortes. Cela peut être le conjoint qui voudrait voir sa compagne coïncider avec son fantasme, même s’il n’exprime pas cette demande de manière explicite, mais aussi parfois les enfants qui « souffrent » d’avoir une « vieille » mère qui vient les rechercher à la sortie de l’école, voire certains milieux professionnels qui incitent à trouver ou retrouver un look de top modèle. Et il est très difficile de juger du bien fondé de la nécessité pour une personne particulière de recourir à la chirurgie esthétique. Pourquoi certaines jeunes filles vivent-elles leur forte poitrine comme une souffrance et d’autres comme une fierté ? Pour Paul Cohen Jonathan, c’est que derrière chaque demande se trouve un profil particulier, « résultat d’une histoire parentale, familiale, amoureuse ou professionnelle qui l’a provoqué ».

Bien sûr, certains rappellent qu’il y a peut-être d’autres moyens de se sentir mieux avec l’image que l’on donne de soi. Le sénateur Philippe Mahoux, chirurgien par ailleurs, confiait lors de récents débats parlementaires visant à légiférer en matière de chirurgie esthétique, qu’ « une vie saine, une alimentation équilibrée et une pratique sportive pouvaient sans doute tout autant aider à se sentir bien dans sa peau ». Mais pour le manager pressé, il est sans doute plus simple de recourir à quelques coups de bistouri plutôt que de passer régulièrement par la salle de fitness et de renoncer aux diners d’affaires.

Quoi qu’il en soit, la popularisation des pratiques en chirurgie esthétique a aussi pour effet d’attiser les convoitises. L’esthétique médicale est devenue un produit de consommation comme un autre. Cela peut inquiéter quand on sait que le secteur est très peu réglementé. La sénatrice Dominique Tilman, qui a déposé un projet de loi sur le sujet, faisait remarquer que « Aujourd’hui, tous les médecins, quels qu’ils soient, peuvent poser n’importe quel acte de médecine esthétique dans n’importe quelles conditions. Il n’y a aucun contrôle ni sanitaire ni de qualité. S’il est vrai que certains médecins et chirurgiens travaillent dans les règles de l’art, d’autres, peu scrupuleux, n’hésitent pas à en faire un véritable business. A cela s’ajoutent les risques de dérives vers une commercialisation de la médecine ».

Loi et propositions

Face à cette situation, Dominique Tilman a déposé différentes propositions de loi sur l’esthétique médicale : une proposition de loi interdisant la publicité et réglementant l’information, une proposition visant à réglementer les installations extrahospitalières et une concernant les qualités requises. La réglementation des installations extrahospitalières relevant des compétences des communautés, seuls les deux autres volets ont abouti au Parlement fédéral.
En juin 2011, une première loi a été votée. Elle concerne la publicité pour les actes d’esthétique médicale. Elle a plusieurs objectifs : abroger les pratiques douteuses comme la publicité rabatteuse et comparative ; interdire l’usage de photos « avant/après » et les témoignages de patients ; empêcher l’utilisation d’arguments financiers (style Groupon : 39 € au lieu de 500 € pour une intervention de liposculpture, soit 92% de réduction) ; limiter l’information personnelle à une information conforme à la réalité, objective, pertinente et vérifiable.
Une deuxième loi a fait l’objet d’un consensus en juin 2012, suite à des amendements proposés par la ministre de la santé Laurette Onkelinx. Elle concerne les compétences. Cette loi devrait être votée définitivement dans les mois qui viennent. Selon cette loi, les prestations de médecine et de chirurgie esthétique seront désormais réservées aux seuls médecins. Elle précise également les actes qui relèveront de la compétence des différents prestataires : chirurgien esthétique, dermatologue et médecin esthétique. Un conseil de l’esthétique médicale devrait également être mis sur pied, afin de classer les nouvelles spécialités. Dans la foulée, un nouveau titre sera créé : médecin spécialiste en médecine esthétique non chirurgicale, qui sera accordé aux médecins généralistes qui auront suivi une formation interuniversitaire spécifique.

Pour Couples et Familles


Pour Couples et Familles, un pas important est franchi en encadrant désormais les pratiques d’esthétique médicale. Il était essentiel de protéger les personnes des dangers de pratiques dont le but commercial l’emporte parfois sur les précautions, l’hygiène ou l’intérêt réel du patient.

Il reste cependant un travail important à accomplir au niveau culturel. La pression d’une certaine culture ambiante, relayée ou renforcée par la publicité omniprésente, transmet des injonctions qui obligent les personnes à garder une apparence de jeunesse, à rester belles et minces le plus longtemps possible, au prix de tous les sacrifices. Celui qui n’y parvient pas est presque considéré comme un coupable. Une certaine image idéale de la beauté s’impose à tous, entre autres par les photos des magazines dont on sait pourtant qu’elles sont presque toujours retouchées et présentent des anatomies « improbables ». Des actions de sensibilisation et d’analyse critique des images publicitaires devraient sans cesse être proposées aux nouvelles générations afin d’en limiter les impacts néfastes.

Au-delà de cette analyse critique, un travail éducatif devrait être encouragé et repris sans cesse, dans les familles comme dans les autres lieux d’éducation, afin que les jeunes mais aussi les adultes apprennent d’abord à s’accepter tels qu’ils sont. Le message est qu’il est sans doute préférable de faire ce travail sur soi plutôt que de recourir à la médecine pour changer son apparence et essayer de correspondre à un idéal de beauté imposé de l’extérieur. L’effort éducatif est à reprendre sans cesse,  et en particulier vis-à-vis des adolescents, souvent peu satisfaits de leur image.
Par ailleurs, la pression sur l’image de soi, si elle s’impose à tous, pèse probablement davantage encore sur les jeunes filles et les femmes. Même si elles deviennent consentantes, elles n’en sont pas moins victimes d’un système où le corps féminin est instrumentalisé et hypersexualisé. Une démarche d’éducation permanente est essentielle à ce propos [1].

Même si les techniques médicales ont progressé et que les nouvelles normes qui vont encadrer les pratiques protégeront sans doute la santé des patients, il convient de rester vigilants quant aux autres risques. Les patients sont parfois déçus du résultat. Certains n’imaginaient pas être troublés par le changement de leur apparence. Les procédures et les délais de réflexion avant opération sont donc essentiels. La psychanalyste Claude Halmos suggérait même que l’on rende une consultation psychologique obligatoire avant toute opération de chirurgie esthétique, comme on impose la visite chez l’anesthésiste. « Cela signifierait d’emblée aux gens qu’ils ne vont pas seulement se faire raboter un bout de viande, mais que cela aura peut-être des implications sur tout leur être et sur toute leur vie, que ce n’est pas un acte anodin. » Tout le contraire donc de la banalisation actuelle des interventions en esthétique médicale [2].

 

 
[1] Dans ce domaine, Couples et Familles réalise en ce moment une étude sur l’aspect particulier des injonctions alimentaires : « La tyrannie du bien-manger ». Parution en septembre 2012.

[2] Analyse rédigée par José Gérard.
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