Analyse 2012-05

De plus en plus souvent, et en particulier en été, des mesures de couvre-feu ou de contrôle renforcé ciblent systématiquement les jeunes. Que penser de ces mesures ?



Lorsque la fin de l’année scolaire approche, de nombreuses communes urbaines redoutent de voir les adolescents occuper les « jours blancs » (période des conseils de classe, entre la fin des examens et la fin de l’année, où les jeunes n’ont plus l’obligation d’être présents à l’école) en se rassemblant sur les places publiques ou dans les parcs et « troubler l’ordre public » : bruit, consommation d’alcool, bagarres, abandon de déchets sur place. Certaines prennent alors des arrêtés interdisant par exemple la consommation d’alcool sur la voie publique.


Même chose lorsque les vacances sont là. En ville ou dans les communes plus rurales, certains jeunes prennent l’habitude de se rassembler en certains endroits le soir : sur la place du village, aux alentours du night and day, au abords d’un bâtiment public, sur le parvis d’une église, etc. Même phénomène : bruit provoqué par les conversations ou disputes parfois très animées, démarrages fréquents de motos ou de voitures, consommation d’alcool et parfois bagarres suscitent l’irritation des riverains et amènent les autorités à instaurer des couvre-feu pour les jeunes de moins de 18, 16 ou 13 ans selon les endroits ou interdisant les rassemblements de plus de trois personne sur la voie publique après une certaine heure.
Depuis 2011, une zone de la côte belge a lancé le programme VIP, comme « very irritating police » (police très ennuyeuse ). Les jeunes que les policiers considèrent susceptibles de pouvoir troubler l’ordre public sont systématiquement contrôlés plusieurs fois dans la journée. Le but : leur faire bien comprendre qu’aucun écart ne sera toléré et que la police veille et les tient à l’œil. Malgré les protestations suscitées lors de son lancement, l’opération a été reconduite et même élargie en 2012.
Depuis 2011 également, le projet a germé d’interdire l’accès à certains parcs récréatifs à certains jeunes, en les fichant systématiquement s’ils ont commis des incivilités, voire à instaurer un accès payant pour les jeunes qui ne proviennent pas du coin. Histoire d’éviter que des « bandes urbaines » ne viennent prendre pour champ de bataille un espace récréatif public.
Il y a quelques années, c’est l’introduction du « mosquito » ou « beethoven », sorte de boitier émettant des ultrasons uniquement audibles par les jeunes de moins de 25 ans qui était lancé pour éloigner les adolescents indésirables de certains lieux où ils risquaient de « faire mauvais genre » et d’indisposer les clients éventuels, à proximité de certains commerces, par exemple.
Quant à la ville de Courtrai, elle annonçait récemment qu’elle allait diffuser de la musique classique dans un de ses parcs publics, afin de dissuader les jeunes trop turbulents aux yeux des pouvoirs publics de s’y rassembler.

Ici et ailleurs

Comme on le voit, ces initiatives ne sont pas l’apanage du territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Comme rappelé plus haut, le Nord du pays a pris des mesures similaires dans les zones touristiques du littoral, par exemple. Cette campagne VIP s’inspirait directement de programmes venus des Pays-Bas.
En France, des couvre-feu ont été régulièrement instaurés par les maires de différentes villes ces dernières années, afin d’éviter les faits de violence, de tapage nocturne, de consommations d’alcool, voire de vols ou de dégradations au mobilier urbain. Pour certaines de ces mesures, le trouble à l’ordre public n’était même plus nécessaire pour que la police intervienne. À Nice, par exemple, la seule présence d’un ado de moins de 13 ans sur la voie publique après 23 heures pouvait entrainer son interpellation par la police. Ces mesures ont suscité de nombreux débats et oppositions en France également.
Au Québec, c’est pour lutter contre les accidents de la route provoqués par des jeunes qu’une couvre-feu a été imposé : les jeunes de moins de 25 ans n’ont pas le droit d’être au volant d’un véhicule automobile entre minuit et 5 heures du matin.

Les arguments


Du côté des pouvoirs publics ou des privés qui prennent ce genre d’initiatives, les arguments sont clairs. Statistiquement, les plus jeunes se trouvent davantage représentés que d’autres tranches d’âge dans certains types de délits, on ne fait donc que cibler la réaction.

Mais les opposants à ces mesures sont nombreux. Ils ne nient pas nécessairement l’existence de problèmes et de nuisances dans certains cas, mais ils contestent l’opportunité voire la légalité des mesures. Il est arrivé plusieurs fois, par exemple, que le Conseil d’Etat [1] casse certains arrêtés parce que la mesure ne semblait pas proportionnée au problème auquel elle entendait réagir. Instaurer un couvre-feu va à l’encontre des droits individuels et, pour limiter les droits individuels, il faut que la situation le justifie, ce qui n’est pas toujours le cas.
D’autres font remarquer que les lois et règlements communaux contiennent généralement déjà tous les outils pour permettre aux forces de l’ordre d’intervenir en cas de bagarre ou de tapage nocturne. Pourquoi alors prendre des mesures supplémentaires et stigmatiser certaines catégories de la population, en particulier les jeunes ? En outre, le caractère général de ces mesures a pour effet de priver de certains droits tous les jeunes, même ceux qui ont un comportement responsable, n’abusent pas de leurs droits et ne provoquent aucun désagrément aux autres citoyens. Faire payer l’accès au parc de loisirs aux ressortissants extérieurs touchera autant le jeune bagarreur qui y vient pour provoquer des problèmes que celui dont c’est la seule possibilité de loisir, parce qu’il n’a pas d’argent à y consacrer. D’autre part, aurait-on l’idée d’imposer un couvre-feu pour la conduite de véhicules à moteur aux hommes, sous prétexte qu’ils sont beaucoup plus fréquemment que les femmes auteurs d’accidents de roulage la nuit sous l’effet de l’alcool ? Alors, pourquoi le faire vis-à-vis des jeunes ?

Au-delà de l’aspect juridique de ces différentes mesures et des problèmes qu’elles posent, on ne peut s’empêcher de regretter la stigmatisation des jeunes qu’elles entraînent. Cela crée en effet un climat où il semble normal de considérer une classe d’âge particulière, les jeunes, comme un danger potentiel. Les jeunes seraient presque automatiquement perturbateurs et sources de nuisances et la société aurait donc à s’en protéger. Il est inquiétant de voir une société désigner ses forces vives comme un danger potentiel.

Pour Couples et Familles
 
Pour Couples et Familles, il ne s’agit pas de nier que des difficultés sont parfois provoquées par des jeunes. Les familles qui sont riveraines d’une place publique ou d’un magasin de nuit savent qu’il est parfois pénible d’être réveillé tous les soirs par les moteurs pétaradant des jeunes qui s’y retrouvent jusque tard dans la nuit et de retrouver tous les matins des mégots et des canettes éparpillées sur le trottoir, des poubelles renversées, etc. Quant aux familles dont ces jeunes sont issus, elles n’ont pas toujours la possibilité de les encadrer valablement. Mais en instaurant des mesures de couvre-feu, les pouvoirs publics ne cherchent-ils pas surtout à édicter des mesures un peu spectaculaires en vue de frapper l’opinion publique et de montrer qu’ils agissent ? En temps de crise, il est toujours tentant de désigner des coupables susceptibles de catalyser les récriminations de la population, mais c’est aussi une attitude dangereuse, proche du populisme.

De notre point de vue, il serait peut-être plus productif de chercher à s’attaquer à la cause des difficultés plutôt qu’à leurs symptômes. Chasser les jeunes d’une place publique ne fait souvent que déplacer le problème vers la commune voisine. Ces jeunes qui « trainent sur la voie publique » sont souvent ceux qui ne disposent pas de larges moyens pour s’offrir des loisirs plus élaborés mais couteux. Créer un espace où ils peuvent se retrouver en été sans craindre de perturber le voisinage, organiser des patrouilles régulières pour leur rappeler les règles élémentaires, envoyer sur le terrain des éducateurs de rue qui peuvent entamer le dialogue ou les orienter vers des activités plus éducatives, soutenir les maisons de jeunes ou les associations de terrain qui organisent des activités à leur intention, etc. sont des mesures qui ont peut-être plus de chance de produire des effets positifs à long terme. Il s’agirait alors d’une véritable politique de la jeunesse.

Sans être naïfs ni angéliques, nous pensons que c’est en s’orientant dans cette voie que la société dans son ensemble enverra le message qu’elle croit en sa jeunesse et qu’elle mise sur les jeunes pour assurer son avenir. Et la première manière de le manifester serait sans doute de les associer au maximum dans la recherche de solutions face aux nuisances qu’ils provoquent parfois pour d’autres citoyens. Si les jeunes rencontrent ou provoquent parfois des difficultés, ils ont aussi des idées et de la créativité. Autant l’utiliser [2].

 

 
[1] La Ligue des Droits de l’Homme, par exemple, a plusieurs fois introduit des recours en annulation auprès du Conseil d’Etat suit à l’introduction de couvre-feu par certaines communes.

[2] Cette analyse a été réalisée par José Gérard.
 
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