Analyse 2011-30

La rupture : plus difficile encore avec des enfants

La rupture d’un couple, qu’il y ait eu ou non mariage, n’est un « bonheur » pour personne.

Il arrive que le constat de s’être trompés de route soit à ce point conjoint et consensuel que la décision de se séparer en est considérée comme une conclusion heureuse par tous deux, mais ce n’est pas courant. Il ne faut pas de statistique pour oser même affirmer que c’est rare.

 

Rupture et divorce sont le plus souvent vécus comme un échec qui débouche sur de l’agressivité réciproque, sur de la culpabilité, sur des intérêts qui s’affrontent. Ils sont donc bien plus souvent conflictuels, douloureux et avec un suivi difficile (1), qu’ils ne sont paisibles et sereins. De plus, à moins qu’ils ne surviennent dans un couple financièrement aisé dans lequel les deux conjoints bénéficient de revenus suffisants, vient se greffer sur les difficultés inhérentes à l’événement, un impact sur le niveau de vie, des deux ex-conjoints parfois, mais le plus souvent sur celui de la femme. Pour faire simple, un couple dont les revenus sont de 2000 € net par mois peut s’en tirer vaille que vaille. Obligés à vivre chacun de son côté avec 1000 €, voilà qui ne va pas de soi.

Mais ce qui demande le plus de savoir faire et de prise en compte de l’autre et des autres, c’est quand la séparation ne concerne pas seulement les conjoints, mais aussi des enfants. D’autant que, lorsque c’est le cas, ces enfants ont aussi des grands-parents qui tiennent à eux et auxquels ils tiennent. La décision de se séparer dans ces cas implique dès lors une restructuration nécessaire des liens familiaux. Ce phénomène ne fera d’ailleurs que s’accroître si l’un des parents, ou les deux, forment par la suite un nouveau couple (2).

Un souci commun, leur bonheur, mais que dit la loi ?

Or, les parents, le père comme la mère, veulent dans la toute grande majorité des cas, le bonheur de leurs enfants. Qu’ils ne s’y prennent pas toujours de manière idéale n’y change rien : l’intention est en tout cas de les voir heureux. La rupture n’y change rien non plus, au principe : tous deux restent aussi désireux de ce bonheur, mais les conditions de sa faisabilité changent radicalement. Alors quoi ?

 

Ce désir de rendre heureux croise, entre autres comportements possibles, la conception de l’éducation et donc de l’autorité que les parents ont légalement vis-à-vis de l’enfant. Or, de cela, ils ne sont pas seuls à décider : la famille a toujours été considérée comme le fondement de la société. La loi s’en occupe donc, mais qu’en dit-elle ?

 

Le Code Civil de 1804 parlait de la «puissance paternelle». Le père de famille, héritier direct du « pater familias » du droit romain, agissait seul. Il avait le plein pouvoir sur l'éducation de l'enfant mineur.

 

Dans la dynamique de l’évolution relative à l'égalité entre les hommes et les femmes, la loi du 1er  juillet 1974 avait consacré, en lieu et place de l’autorité paternelle, l'exercice de l'« autorité parentale » de manière concurrentielle, mais pour les seuls parents mariés (3). Au regard de cette loi, en cas de séparation, le parent qui obtenait la garde de l'enfant devenait titulaire de l'autorité parentale. C’est à ce parent-là qu’incombait certes l’éducation, ses joies et ses charges, mais il devait aussi assumer, seul ou seule, les aléas de ce rôle qui peut s’avérer parfois lourd.  L’autre, et c’était le souvent le père - les juges confiant le plus souvent les enfants à la mère -, n’avait donc plus rien à dire.

 

La loi du 13 avril 1995 consacra cet exercice conjoint de l'autorité parentale, mais indépendamment de la question du lieu d’habitation de l’enfant. L'objectif était d’ordre pédagogique : permettre à chacun des parents, malgré leur séparation, de continuer à assumer son rôle d’éducateur. Force était donc, à partir de la mise en vigueur de cette loi, de convenir de partager équitablement les éléments du contexte d’éducation.

 

Dans ce contexte nouveau, la notion de temps partagé va s’imposer. Or, ce n’est pas simple, puisqu’elle vient se greffer sur la notion de pension alimentaire, et surtout sa mise en pratique. Il ne suffit pas, par exemple, de lier les charges financières aux périodes d’hébergement. Les frais de la charge d’enfant ne sont évidemment pas des dépenses uniformément étales sur l’année, cela ne demande pas d’explication. De nouveaux accords plus complexes devront donc intervenir sur ce plan.

 

La loi du 18 juillet 2006 va préciser ce qu’il faut entendre, et plus encore comment il faut régir les conflits qui naissent à propos de la garde des enfants et l’exercice de l’autorité parentale en cas de séparation. Cette loi tend à privilégier l'hébergement égalitaire de l'enfant et réglemente l'exécution forcée en matière d'hébergement.

 

Dans son article 2, elle complète les dispositions de l’article 374 du Code Civil comme suit :

 

« Lorsque les parents ne vivent pas ensemble et qu'ils saisissent le tribunal de leur litige, l'accord relatif à l'hébergement des enfants est homologué par le tribunal sauf s'il est manifestement contraire à l'intérêt de l'enfant.
 défaut d'accord, en cas d'autorité parentale conjointe, le tribunal examine prioritairement, à la demande d'un des parents au moins, la possibilité de fixer l'hébergement de l'enfant de manière égalitaire entre ses parents.
Toutefois, si le tribunal estime que l'hébergement égalitaire n'est pas la formule la plus appropriée, il peut décider de fixer un hébergement non-égalitaire.
Le tribunal statue en tout état de cause par un jugement spécialement motivé, en tenant compte des circonstances concrètes de la cause et de l'intérêt des enfants et des parents. »

 

Le principe : une garde égalitaire

 

Cette loi précise par ailleurs qu’à défaut d’accord présenté par les parents à son jugement - démarche qu’ils ne sont d’ailleurs pas tenus de faire s’ils ont une totale confiance dans le respect mutuel des arrangements qu’ils ont pris -, le juge doit examiner la possibilité de fixer l’hébergement de manière égalitaire. C’est celui-ci, et donc ce qui est convenu d’appeler aujourd’hui la « garde alternée », qui est devenu la règle que doit d’abord prioriser le juge.

 

C’est dès lors logiquement que la loi précise que si le juge estime que ce n’est pas la formule la plus appropriée, il pourra fixer un hébergement non-égalitaire. Jusqu’avant ces nouvelles dispositions légales, dans quelque 80% des cas, la garde était confiée à la mère, le père ne se voyant reconnaître un droit d’hébergement des enfants que d’un week-end sur deux.

 

Toutefois, la loi n’a pas laissé le juge seul face aux différends qui opposent les parents. En effet, il pourra également privilégier la médiation et suspendre son action pendant un mois, le temps que le processus de médiation ne soit entamé.

 

Dans cette situation nouvelle, les juges, mais aussi des médiateurs, ont été amenés à jouer un rôle important dans la construction du dialogue entre les parents séparés. Ce dialogue est en effet essentiel pour que des solutions favorables à l’éducation des enfants comme à l’équilibre de la formation de leur personnalité puissent être élaborées.

 

Dans cette mission, et pas plus que les juges d’ailleurs, les médiateurs et médiatrices, n’ont pas à faire de la psychologie de couple. Ils n’en sont pas moins concrètement confrontés à des positions de parents qu’il faut harmoniser, alors qu’elles sont, au départ, fort éloignées souvent, quand ce n’est pas diamétralement opposées. Il faut donc qu’ils puissent amener les personnes qui se confrontent à quitter leurs certitudes à propos de ce qui est bon pour l’enfant, afin de pouvoir entendre l’autre et trouver à s’entendre avec lui, afin de dégager des modalités de garde partagée concrètement organisables et suffisamment  harmonieuses pour les enfants.

 

La garde alternée : panacée universelle ?

 

Nous avons vu que la garde alternée s’était proposée comme une solution qui allait de soi. Or, est-ce aussi sûr ? Les psychologues ont des avis parfois tranchés sur la question. Â les entendre toutefois, la position qu’ils prennent au principe - certains s’y disent favorables et d’autres opposés - a tôt fait de se nuancer face aux situations concrètes des familles séparées. C’est au point qu’ils se trouvent d’accord sur le fait que cela est - ou peut être, et c’est à cette nuance que se réduisent leur divergence au principe - la moins mauvaise des solutions.

 

Où il y a consensus, c’est sur le fait que l’hébergement en alternance libère l’enfant de l’impact symbolique négatif des anciennes dispositions. En effet, elles stigmatisaient, même si l’intention du législateur n’allait pas en ce sens, en «  bon parent » celle ou celui qui obtenait la garde de l’enfant, et l’autre en « mauvais ». Pour l’enfant, c’était en quelque sorte une partie de lui-même qui se trouvait ainsi dévalorisée.

 

Cette alternance se fait généralement à raison d’une semaine sur deux, d’autant plus facilement lorsque les parents peuvent s’arranger pour ne pas résider à des distances trop éloignées l’un de l’autre. La proximité géographique des parents est en effet une condition incontournable. L’enfant a besoin d’un contexte de vie auquel il se sent appartenir : son école, ses activités extrascolaires… Perdre ses copains et copines, s’en faire d’autres alors qu’on va devoir de nouveau les quitter, ce n’est pas facile à vivre. De longues périodes d’alternance à grande distance ne sont donc pas conseillées.

 

L’alternance, qu’elle soit de courte ou de plus longue durée, ne s’embarrasse toutefois pas d’un autre constat fait par les sciences humaines : si les parents jouent évidemment un rôle essentiel dans l’éducation et la structuration de la personnalité de l’enfant, l’habitat, comme unité de lieu, n’est pas sans influence. C’est le psychanalyste René Diatkine (4) qui disait : « Un enfant a bien sûr besoin de ses parents, mais il a au moins autant besoin d’une maison».

 

Vers 12-13 ans d’ailleurs, le jeune adolescent exprimera souvent l’envie de vivre chez un parent plutôt que chez l’autre. Dira-t-on plutôt : « dans tel lieu plutôt que dans tel autre » ? Dans certains cas, ce sera en effet parce qu’il sera en recherche de stabilité.

 

Des parents séparés, conscients de cet élément, ont même imaginé  garder une maison commune. Ce sont eux qui, alors, viennent y vivre en alternance. Cela peut, à première vue, donner l’impression d’une solution qui concilie à la fois l’alternance parentale et la fixité du lieu pour les enfants. Toutefois, outre que cela devient rapidement invivable pour les parents, et plus encore s’ils se remettent en couple, une telle situation inverse partiellement les rôles entre parents et enfants : ce sont ces derniers qui deviennent « les maîtres des lieux ».

 

Alors, pas de solutions idéales

 

« Couples et Familles » ne peut que constater que toute séparation avec enfants entraîne des questions, sinon des problèmes, qui ne sauraient trouver de solutions idéales. Pour les parents, ils devront faire le deuil d’une présence constante auprès de leur progéniture. Les enfants devront, eux aussi, trouver leur voie dans un contexte souvent plus perturbé et perturbant que dans les familles dans lesquelles parents et enfants vivent ensemble.

 

Or, ce contexte n’est jamais identique. Il n’a pas deux couples ou deux familles qui ont la même histoire. Chaque situation de séparation est différente de toutes les autres, et quoiqu’en diront et en penseront les observateurs de tout horizon, il n’y a pas de solution miracle, ni de solution définitive.

 

L‘appel lancé par une maman confrontée à cette question de garde alternée, illustre bien ce propos :

 

« Je suis maman de deux enfants de 6 et 8 ans. Leur père et moi nous sommes entendu pour la garde alternée depuis notre séparation, il y a quatre ans. Nous avions convenu d’une alternance hebdomadaire qui allait du dimanche soir au dimanche matin suivant, soit une succession de semaines de six jours et demi et de sept jours et demi. Nous avons ensuite estimé préférable de reporter le moment d’alternance au lundi. De ce fait, les enfants peuvent passer des week-ends entiers, tour à tour avec moi et avec lui.

 

Des problèmes ont toutefois surgi lorsqu’il s'est remis en couple, d’autant que sa compagne a elle aussi un enfant. Nous avons tout à repenser mais nous n’en sortons pas. C’est au point que je pense sérieusement à devoir retourner devant le juge pour nous en sortir.

 

Je crains par ailleurs qu’un autre problème, plus grave encore, ne vienne perturber nos arrangements. Il vient en effet de me faire savoir qu’il était question pour lui d’une promotion dans sa carrière, ce qui impliquerait une mutation. Cela le conduirait à s’éloigner de plus de cent kilomètres avec obligation d’y résider, alors que nous habitons actuellement dans la même ville, ce qui a permis jusqu’ici que notre séparation ne cause pas de répercussions négatives sur nos enfants, sur le plan scolaire par exemple.

 

Je panique à cette idée. Chercher à déménager, moi aussi, de le suivre en quelque sorte, et me dépayser complètement ainsi que les enfants ? Trouver quelle autre solution pour nous garantir la garde relativement égalitaire que nous nous sommes promis en nous séparant ? Auriez-vous des pistes à nous proposer ? »

 

De telles questions se posent nécessairement au cours de l’histoire de chaque séparation, et quelle que soit la bonne volonté des parents, de part et d’autre. Trouver une solution au moment de la séparation ne va déjà pas nécessairement de soi. En trouver une qui résistera aux évolutions que connaîtra nécessairement la situation des ex-conjoints, ainsi qu’à celle des enfants qui, d’âge en âge, devront être pris en compte différemment, c’est une autre histoire (5) !

 


 

(1) Voir à ce propos le dossier n° 85 coordonné par Jean-Emile Vanderheyden :  Approcher le divorce conflictuel (240 pages).
(2) Voir de même le dossier n°98, « Les nouveaux liens familiaux »
(3) Il fallut attendre la loi du 31 mars 1987 pour que des parents non mariés soient considérés comme des parents mariés dans l'exercice de ce droit.
(4) Psychiatre et psychanalyste d’enfants. De nationalité français. Né à Paris en 1918, et mort en 1998.
(5) Analyse réalisée par Jean Hinnekens

 

Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants