Analyse 2011-28

La maltraitance envers les personnes âgées n’est apparue que récemment dans le champs des préoccupations sociales. Pourtant, des enquêtes récentes montrent que le phénomène est loin d’être marginal. Que recouvre-t-il et comment peut-on lutter contre ces violences ?

Un phénomène pris en compte depuis peu

La Convention internationale des Droits de l’entant a été promulguée en novembre 1989 par l’ONU. Elle était le résultat d’une mobilisation pour la défense des enfants, si souvent victimes de maltraitances ou de violences de tous ordres. Si la promulgation d’un texte visant au bien-être des enfants ne signifie malheureusement pas la fin des mauvais traitements, elle marque en tout cas une volonté politique de mettre tout en Å“uvre pour y parvenir. Elle indique aussi un changement profond de mentalité parmi une grande partie de la population mondiale, qui estime désormais que l’enfant doit être considéré comme une personne à part entière et protégé à ce titre par les Etats.


La préoccupation vis-à-vis de la maltraitance dont sont l’objet les personnes âgées est elle assez récente dans la société occidentale. Elle s’est principalement développée depuis une quinzaine d’années. Si la maltraitance à l'encontre de personnes âgées a existé de tout temps, on n'en parle cependant que depuis peu, dans nos contrées occidentales. Elle est longtemps restée tabou. Pour Benoît Lemoine, psychologue : «La société a du mal à parler de la maltraitance des personnes âgées. Cela implique de soulever le tabou de la vieillesse qui nous renvoie en miroir une image que nous ne voulons pas regarder. C'est notre propre devenir qui est ainsi mis en perspective et nous renvoie à notre peur de mourir et de nous regarder vieillir. Il y a un déni de la mort et de la grande vieillesse dans notre société «jeuniste» avant tout» (1).
On en parle davantage aujourd’hui. Les hommes politiques et les médias en parlent plus ouvertement et des études (2) tentent de cerner le phénomène. Selon ces études, 20 à 30% des personnes âgées seraient victimes de maltraitance, que ce soit en institution ou à domicile. Des chiffres alarmants...

 

Qu’est-ce que la maltraitance ?

En ce domaine, la première difficulté est cependant de cerner le sujet dont on parle. Qu’est-ce que la maltraitance ? Selon quels critères peut-on la caractériser ?
La première définition a été donnée par le Conseil de l’Europe en 1990 : « La violence se caractérise par tout acte ou omission commis par une personne, s’il porte atteinte à la vie, à l’intégrité corporelle ou psychique ou à la liberté d’une autre personne ou compromet gravement le développement de sa personnalité et/ou nuit à sa sécurité financière ». Cette définition souligne le caractère intentionnel ou non de l’acte de maltraitance. Il peut s’agir d’un acte violent comme d’une négligence ou d’un manque d’égard vis-à-vis des besoins de la personne âgée. L’auteur de maltraitance peut ne pas avoir conscience de la portée de ses actes.

 

Cette définition présente cependant des limites. Ainsi, on déduit souvent de cette définition que les actes maltraitants sont intentionnels, alors que les omissions ne le sont pas. Mais cela ne rend pas compte de la réalité. En effet, l’absence de visites à une personne âgée est de l’ordre de l’omission mais peut très bien être intentionnelle et être la conséquence d’une volonté de se venger ou d’exercer des représailles vis-à-vis de la personne âgée. Et à l’inverse, celui qui prodigue des soins peut être maltraitant parce qu’il apporte des soins inadaptés, sans qu’il ait aucunement l’intention de nuire à la personne soignée. En outre, la définition ne prend pas en compte l’aspect occasionnel ou répétitif des actes de maltraitance.

 

Marie-Thérèse Casman, qui a coordonné l’enquête sur le bien-être de la personne âgée à domicile, propose donc de préciser la définition : « La maltraitance représente une forme de violence distincte sur la base de l’âge, inscrite dans une relation entre l’auteur et la victime, en distinguant des formes actives et passives de violence, des actes intentionnels ou non, et des types différents : physique, psychologique, sociale, financière, sexuelle ». La maltraitance est donc inscrite dans une relation et ne constitue dès lors pas un acte isolé.

 

Une violence aux multiples visages

 

Concrètement, ces violences peuvent être de différents types.
La violence physique est probablement la plus visible, la plus marquante… mais aussi la moins courante. On y retrouve, entre autres, les coups, brûlures, chutes provoquées, entraves à la liberté de mouvement (attacher la personne sur son lit), les abus sexuels, etc.
La violence psychologique est beaucoup plus fréquente et peut se marquer par du chantage, des menaces, brimades, insultes, humiliations, tutoiement, refus de communiquer, etc.
La violence financière est elle aussi très courante. Elle recouvre tous les actes qui visent à empêcher la personne de maîtriser ses ressources : vol d’argent ou d’objets, détournement de pension, héritage anticipé, etc.
La violence civique concerne les abus de pouvoir : placement forcé en institution, détournement de procuration, etc.
La violence médicamenteuse se rencontre aussi : excès de neuroleptiques pour obtenir la paix ou, au contraire privation des médicaments prescrits.
Les négligences font aussi partie des actes de maltraitance et peuvent être de formes diverses : l’abandon d’une personne incapable de se prendre en charge elle-même, la privation de nourriture, la privation de soins ou d’hygiène, etc.
Dans les situations concrètes, ces différentes formes de violence peuvent se retrouver isolées ou cumulées à des degrés divers, la gravité de la situation de maltraitance étant évidemment fonction du nombre de types de violences associés et de la fréquence de leur répétition.

 

Un phénomène à deux volets

 

Lutter contre la maltraitance implique de distinguer deux volets bien spécifiques aux maltraitances dont peuvent être victimes les personnes âgées : les abus en institution et les abus à domicile.
La première enquête sur la maltraitance envers les personnes âgées, en 1998, s’était penchée sur la situation dans les institutions. Elle mettait surtout en lumière des abus qui étaient en lien avec des « violations du territoire du moi » : entrer dans une chambre sans frapper ou sans attendre la réponse, espaces de vie ou de déplacement insuffisants, accès insuffisant aux infrastructures d’hygiène, non respect de le vie privée, contacts physiques non respectueux lors de soins, etc.

 

Les actes de maltraitance à domicile ont un tout autre retentissement, parce qu’ils prennent place dans le cadre d’une histoire familiale et éventuellement d’un passé de violence intrafamiliale ou de conflits non résolus. Certaines rancÅ“urs ou vengeances apparaissent ainsi au moment où la personne âgée devient plus dépendante et vulnérable. Ces violences à domicile peuvent se marquer par des violences au niveau financier, psychologique, physique, etc.

 

Une étude de la maltraitance au domicile des personnes âgées

 

La récente étude réalisée par l’Université de Liège « Bien-être et sécurité des séniors à domicile » a le mérite de chiffrer et préciser le phénomène. 
Le premier élément concerne l’ampleur du phénomène. Parmi les personnes interrogées, près de 30% des Wallons de plus de septante ans disent avoir vécu une forme de maltraitance. Cela paraît énorme, si l’on sait que les enquêteurs ont fait preuve de prudence, en ne retenant les cas de négligence que s’ils s’étaient reproduits au moins deux fois et en ne qualifiant de violence psychologique que les faits répétés. « Dans n’importe quel couple, des noms d’oiseau peuvent surgir… »
Parmi les différents types de violences, la violence psychologique est la plus fréquemment citée (18% des faits rapportés). Les négligences arrivent ensuite avec 9% des cas, juste avant les atteintes à l’intégrité financière (8%). Les violences physiques, elles, ne concernent que 6% des cas relevés par l’enquête.
L’enquête met également en lumière les facteurs de risque de ces violences. Le principal enseignement de l’étude est que l’insertion sociale constitue un facteur de protection important contre les maltraitances. Plus la personne est en lien avec d’autres et moins elle risque d’être l’objet de maltraitance. Ensuite, l’état de santé des personnes est déterminant. Le fait de subir une affection chronique ou une maladie qui implique la dépendance a un impact important sur l’occurrence d’actes de maltraitance.

 

Des pistes pour lutter contre la maltraitance

 

A ce stade de la prise en compte du phénomène, on en est encore à essayer de bien l’identifier pour mettre au point les meilleurs outils pour le contrer. Néanmoins, plusieurs pistes peuvent déjà être dégagées.

 

On peut déjà signaler les différents services qui se sont emparés de la question des maltraitances à l’encontre des personnes âgées et qui offrent des ressources en information, aide et suivi. La simple connaissance de ces services par la personne âgée elle-même ou par les proches pourrait déjà désamorcer certaines situations. Citons entre autres Respect Séniors (3) et Rifwel (4).

 

La mise en lumières des facteurs particuliers de risque peuvent inciter les différents services médicaux ou sociaux en lien avec les personnes âgées à accorder une attention renforcée à ces catégories sociales particulières. Dans de pareils cas, l’identification des problèmes est déjà un pas vers la solution, puisque de nombreuses personnes âgées hésitent à en parler de craintes de représailles.

 

Puisque l’isolement est le premier facteur de risque, toutes les initiatives qui visent à renforcer la vie sociale des personnes âgées devraient être soutenues et renforcées, que ce soit dans le champ public ou associatif. Cela peut aller des universités des ainés aux clubs de troisième âge ou amicales de pensionnés, qui présentent l’avantage de recréer un réseau social autour de la personne âgée au moment où elle perd souvent l’essentiel de ses contacts quotidiens par sa mise à la retraite. Mais cela peut aussi se concrétiser par le développement de centres de jour pour les personnes plus dépendantes, atteintes de différents types de démences séniles par exemple, qui les maintiennent en activité et en contact avec d’autres assez régulièrement.

 

Les situations de maladie et de dépendance pourraient aussi être rencontrées par le développement de services à destination des proches qui viennent en aide au malades. Même si ces situations sont loin d’être les plus nombreuses, l’épuisement ou l’exaspération des proches confrontés à une personne âgée malade peut aussi être source de maltraitance.

 

Si les personnes isolées sont les premières victimes de maltraitances, on ne peut non plus s’empêcher de penser qu’une grande créativité devrait être mise en Å“uvre pour répondre aux défis du futur. Les personnes âgées restent souvent seules chez elles parce qu’elles n’ont pas les moyens d’une résidence suffisamment confortable ou qu’elles redoutent l’aspect trop rigide et institutionnel de la maison de repos. Il y a sans doute moyen d’inventer de nouvelles formes de solidarités entre les générations, impliquant les différents acteurs : la famille et les proches, mais aussi les services sociaux, les institutions de soins, les CPAS, etc. Chacun y aurait finalement à gagner car chacun avance en âge chaque jour et espère une fin de vie digne, à l’abri de toutes les formes de maltraitance (5).

 


(1) Voir http://www.psy.be/seniors/vivrebien/maltraitance-senior.htm
(2) En Belgique, l’étude la plus récente est celle réalisée par le Panel Démographie de l’Université de Liège, sous la direction de Marie-Thérèse Casman, Bien-être et sécurité des séniors à domicile, 2010. Cette étude peut être téléchargée gratuitement sur le site Respect Séniors http://www.respectseniors.be/component/content/article/99-etude.html
(3) Respect Seniors est l’Agence wallonne de lutte contre la maltraitance des personnes âgées. Elle propose information, écoute, soutien, accompagnement et formation. Un numéro d’appel gratuit : 0800/30330 et un site internet www.respectseniors.be
(4) Le Réseau Internet Francophone Vieillir En Liberté regroupe diverses organisations intéressées par les personnes âgées, leur bien-être et la prévention en matière de maltraitance. Il propose via un site (www.rifvel.be) une source d’information permanente relative aux aînés, à leur environnement, à la prévention et à la prise en charge de la maltraitance envers les personnes âgées
(5) Analyse rédigée par José Gérard.

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