Analyse 2011-27

Quand les enfants souhaitent obtenir quelque chose de leurs parents, ils affirment volontiers que les autres parents seraient d’accord… Les parents en sont parfois déstabilisés et ne savent pas trop comment réagir.

 

Que ce soit à dix ans pour obtenir un GSM « Julien a déjà un GSM… et moi, j’ai l’air de quoi ? », à quatorze pour une sortie avec les copains « Tous ceux de ma classe peuvent aller au concert. Vous êtes vraiment les seuls à dire non. C’est n’importe quoi ! », ou à dix-sept pour pouvoir passer la nuit avec le copain « Les parents d’Elodie veulent bien que son copain vienne dormir chez elle, pourquoi pas moi ? »â€¦  les enfants et les jeunes ont l’art de faire pression sur leurs parents en essayant de les convaincre qu’ils sont vraiment plus sévères que les autres parents, qu’ils sont ringards, qu’ils briment les enfants par leur attitude. Et ce ne sont que quelques exemples emblématiques. La liste pourrait s’allonger. Quel que soit leur âge, les enfants comparent leur situation à celle de leurs copains. Ils trouvent souvent que les autres ont plus de chance qu’eux, que leurs parents sont moins sévères, plus cools. Ils arrangent même parfois la réalité pour faire pression et tenter d’obtenir tel objet ou telle permission.

 

Il n’y a rien là que de très normal ! C’est le ressort même de la croissance de l’enfant vers la vie adulte. L’évolution de l’enfant le pousse sans cesse à dépasser les limites, à explorer de nouveaux territoires, à faire de nouvelles expériences. Ce qui ne lui est pas encore accessible lui paraît enviable. Et les limites mises par les parents semblent injustifiées voire complètement dépassées. Cela se reproduit à toutes les générations. Alors, pourquoi les parents se laissent-ils encore influencer par de tels discours ? 

 

Il faut être de bons parents !

 

Aujourd’hui plus encore qu’hier, les parents accordent une grande importance à leurs enfants. Les historiens expliquent cette évolution par deux facteurs essentiels. D’une part, les enfants sont moins nombreux, ils sont choisis, l’objet d’un projet parental. Les parents leur accordent donc une grande importance. Par ailleurs, le développement de la psychologie de l’enfant, avec Françoise Dolto par exemple, a changé la manière de considéré l’enfant. L’enfant est vu comme une personne à part entière dès son plus jeune âge, avec sa propre personnalité, ses propres désirs et aspirations et on craint de freiner son épanouissement en le frustrant inutilement. Les parents souhaitent donc aujourd’hui prioritairement que leurs enfants soient heureux et ils s’efforcent de faire le maximum pour leur épanouissement. Ils craignent de les rendre malheureux en leur refusant quelque chose.

 

Mais le regard des autres prend aussi beaucoup d’importance. Comme les enfants ont plus de prix aux yeux de la société, il convient d’être reconnu comme un bon parent par les autres. Et donc, si les autres parents ne voient aucun inconvénient à accorder une permission ou à acheter un équipement à l’enfant, dans leur souci d’être de « bons parents » et pas toujours très sûrs d’eux et de leurs choix, ils sont enclins à se remettre assez vite en question, jusqu’à développer parfois de la culpabilité : « Ai-je bien fait de lui refuser cette sortie ? Il en avait tellement envie… », « Si elle n’a pas de GSM, elle risque d’être rejetée par ses copines de classe ! »,  « Au fond, ma manière d’envisager les relations entre jeunes est peut-être complètement dépassée… », etc. 

 

Le troisième ressort qui fait que les parents sont sensibles aux pressions des enfants est que, si les parents aiment leurs enfants, ils espèrent aussi en être aimés. L’amour des enfants est comme la récompense de leur investissement, le signe qu’ils ont réussi leur famille. Pourtant, tous les éducateurs le savent, il n’est pas toujours facile de conjuguer ‘aimer’ et ‘éduquer’ (1). On éduque les enfants par amour mais pas pour être aimé. Comme le dit le philosophe Jean-Michel Longneaux : « Lorsque les adultes cherchent avant tout à être aimés, ils entrent dans une relation de séduction, de chantage qui est incompatible avec l’éducation. Cette dérive repose souvent sur l’inquiétude d’adultes qui peinent à affronter les frustrations et craignent que l’enfant les rejette ». Personne n’aime jouer le rôle du méchant, les parents encore moins que quiconque. Or, que disent les enfants quand un parent leur refuse quelque chose ? « Tu es méchant(e) ! » Et ils ne rateront pas une occasion de le leur dire quand ils estimeront qu’ils ne reçoivent pas ce qu’ils sont en droit de recevoir.

 

Il faut mettre des limites !

 

Les parents savent que s’ils reviennent sur leur refus, l’enfant en demandera davantage la prochaine fois. Alors, s’ils ont décidé qu’elle n’aurait pas de GSM avant ses 15 ans, même si la copine en a déjà un, il est mieux qu’ils ne changent pas d’avis. Les limites et les règles sont indispensables à l’éducation. C’est même en se confrontant aux limites et aux frustrations que l’enfant grandit.

 

Ce n’est pas pour autant qu’il faut être sévère pour être sévère et mettre des limites « pour le plaisir ». Les limites que mettent les parents en fonction de leur humeur du moment ou simplement pour montrer que c’est à eux de décider auront peu de chances d’être intégrées par les enfants. Les règles et les limites seront plus faciles à établir si elles sont raisonnées et cohérentes et si les parents les expliquent aux enfants. « Tu n’iras pas à cette soirée parce que j’estime que le parcours est trop dangereux », « Gael ne passera pas la nuit dans ta chambre, parce que c’est contraire à mes valeurs et que tu es chez moi. Mais je peux comprendre que d’autres parents voient les choses différemment », etc.

 

Parler avec d’autres parents

 

Pour éviter de se sentir coupable d’être trop sévère, mais aussi pour aménager ou assouplir certaines règles, le mieux est de prendre l’habitude de parler avec d’autres parents. Cela dégonfle déjà un certain nombre d’arguments. « Ah bon ! Votre fille n’était pas non plus au concert ? Julie m’avait pourtant affirmé qu’elles y allaient toutes ensemble ! » La pression que font peser les enfants en essayant de faire croire à leurs parents qu’ils sont vraiment dépassés diminue brusquement et les parents se sentent tout de suite moins ringards…
Mais il ne s’agit pas seulement de déjouer les pièges des informations biaisées ou erronées transmises par les enfants. Echanger avec d’autres parents permet aussi de confronter sa manière de voir avec d’autres avis, de bénéficier d’expériences différentes. L’éducation n’est pas une science exacte et c’est à chacun de tracer son chemin, mais la plupart des parents sont confrontés aux mêmes questions. Parler permet de se sentir moins seul et cela atténue un peu l’inquiétude de mal faire qui habite de nombreux adultes (2).

 

Les occasions d’échanges sont multiples : à la sortie de l’école, à une réunion de parents, en allant conduire son enfant au club de foot ou à l’anniversaire d’ un copain, etc. On peut aussi les provoquer. Si Sabrina affirme avec tant de conviction que sa copine Laura a reçu l’autorisation de sortir avec elle ce week-end, elle comprendra aisément que sa maman souhaite prendre contact par téléphone avec l’autre maman pour accorder les violons.
Dans certains cas ou sur des questions spécifiques comme les relations amoureuses des ados, il existe même des groupes d’échanges organisés, proposés par diverses associations familiales, mais aussi des services d’écoute téléphonique (3).

 

Que les échanges avec d’autres soient spontanés ou organisés, ils ont toujours les mêmes objectifs et produisent les mêmes effets bénéfiques : exprimer à d’autres sa façon de voir permet de la clarifier ; entendre d’autres points de vue permet de prendre distance avec ses propres évidences et de reconsidérer ses options ; l’expérience des autres parents donne parfois de bonnes idées. On pourrait dire que les échanges permettent en fait de se donner une opinion plus réfléchie et motivée, qui sera bien utile pour réagir en adulte solide aux tentatives de l’enfant de déstabiliser ses parents. Mai comme la réalité n’est jamais blanche ou noire, il ne faut pas oublier non plus qu’en remettant en cause les décisions de leurs parents, les enfants leur permettent aussi d’évoluer… Quel parent pourrait dire que l’aventure de l’éducation des enfants n’a pas provoqué en lui des changements importants (4) ?


(1) On peut se référer à ce propos au livre Aimer à perdre la raison. Aimer, éduquer… Est-ce compatible ?, sous la direction de Philippe Béague, Couleur livres et Fondation Dolto, 2010.
(2) On peut se référer au livre d’Agnès Auschitzka, ancienne responsable de la rubrique Famille du journal La Croix, Parents oui, mais pas tout seuls, DDB, 2009.
(3) Voir par exemple Allô Info Familles (02/513.11.11) qui peut orienter vers une association ou les conseils d’un spécialiste…La ligne est ouverte du lundi au vendredi de 10h à 17h et les lundi, mardi, jeudi de 20h à 22h.
(4) Analyse rédigée par José Gérard. Une version synthétique de ce texte est parue dans le magazine RiveDieu en septembre 2011.

 

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