Analyse 2011-25

Les familles ont souvent le sentiment que la crise financière a été provoquée par des opérateurs financiers qui jouent avec l’argent des autres dans le but de faire du profit et que l’on n’y peut rien. Pourtant, le volume de l’épargne est très important en Belgique et pourrait constituer un levier de pouvoir vis-à-vis des institutions financières.

 

Cela fait quelques années que des personnes de plus en plus nombreuses ont le sentiment que l’on joue avec leur argent. Il y a eu la crise des « subprimes » aux Etats-Unis en 2007, mais aussi la révélation des sommes colossales (perte évaluée à 4,9 milliards d’Euros) que le trader Jérome Kerviel avait fait perdre à la Société Générale par ses pratiques risquées en Bourse, la nécessité pour plusieurs Etats de soutenir financièrement certaines banques afin d’éviter leur faillite, etc. Si la banque de jadis était considérée comme un lieu sûr et le banquier un homme de confiance, il n’en est plus de même aujourd’hui.

 

Au-delà de cette perte de confiance, beaucoup partagent un certain sentiment d’impuissance face au phénomène. La mondialisation est passée par là et la conviction que les décisions se prennent ailleurs et échappent même aux gouvernements s’est ancrée dans la population. Et si même le pouvoir politique est impuissant, comment un consommateur particulier pourrait-il espérer influencer le fonctionnement du système ?

 

L’information

 

La première attitude responsable est probablement de s’informer. Il est étonnant de constater que la moitié des Belges seulement sait que l’argent qu’il dépose à la banque ne reste pas dans les coffres de la banque. C’est ce qui ressort d’une enquête (1) que Fé.soul communication & research a menée auprès de 1.050 épargnants à la demande de la banque Triodos. En fait, cette étude fait apparaître que l’épargnant belge ignore souvent ce qui est fait de son argent. Quatre Belges sur cinq (79%) ignorent si leur épargne sert ou non à financer l’industrie de l’armement. Deux sur trois (57%) ne savent pas n on plus si leur argent est investi en Bourse. A peine une personne sur cinq (18%) estime que sa banque l’informe de ce qu’elle fait de son épargne. En outre, près de la moitié d’entre eux (43%) ignorent s’ils bénéficient d’un taux d’intérêt attractif en comparaison des autres banques. Le manque de connaissance et d’informations est manifeste.

  
Pourtant, si le Belge ne se préoccupe pas plus que cela de ce que l’on fait de son épargne, ce n’est pas parce que l’épargne est un secteur marginal. Le secteur de l’épargne est particulièrement important en Belgique, puisque le Belge épargne en moyenne 17% de ses revenus et ce taux a tendance a augmenter en période de crise. Il est d’ailleurs en augmentation depuis 2005. Le citoyen belge est un des champions européen en matière d’épargne, puisque le taux d’épargne moyen en Europe est d’environ 11%. A titre d’exemple, le taux d’épargne atteint son maximum pour les ménages dont le chef de famille a de 30 à 39 ans, et ce bien que cette tranche d’âge ne corresponde pas à celle disposant du revenu le plus élevé. Le montant moyen épargné par un ménage atteint alors plus de 8.000 Euros par an. Ce montant moyen se ventile différemment selon les régions : 10.000 Euros en Flandre, 5.200 en Wallonie et 7.100 à Bruxelles (2). Cette épargne des familles belges est tellement importante que cela a donné récemment l’idée de la solliciter de manière plus médiatique que d’habitude pour financer l’Etat, sous forme de bons d’Etat au taux de 4%. Les pronostics les plus optimistes de cette levée de fonds ont été largement dépassés. Chaque année, en effet, l'Etat a besoin de 80 milliards pour se financer, alors que, sur leurs carnets d'épargne, les Belges possèdent près de 220 milliards d'euros.

 

Les comportements

 

L’importance des fonds confiés par les familles aux banques sous forme d’épargne devrait les convaincre du pouvoir réel qu’elles détiennent. On peut rappeler que la fin de l’apartheid en Afrique du sud a été rendue possible, entre autres, par une campagne internationale de boycott menée par toute une série d’associations, en particulier à destination des banques belges qui soutenaient dans la pratique le régime sud-africain. Cette campagne, dans les années 80, s’est appuyée sur l’action des utilisateurs des services bancaires, qui se sont mis à demander des comptes à leur banque et à la menacer de changer de banque, le cas échéant. Cela avait un impact non seulement sur le chiffre d’affaires mais aussi sur l’image publique de la banque, tellement importante aujourd’hui en termes de marketing. 

 

La première attitude responsable est donc sans doute de s’informer auprès de sa banque sur la manière dont l’épargne est gérée. Dans l’enquête citée plus haut, on apprend qu’un tiers des Belges souhaiteraient que leur banque leur dise ce qu’elle fait exactement avec leur épargne, et que 28% voudraient savoir quels sont les projets concrets que leur banque finance. Il n’y a que 14% des personnes interrogées qui estiment que ces renseignements ne sont pas nécessaires. Reste à adopter un comportement proactif et à interroger concrètement sa banque. Evidemment, l’évolution du secteur bancaire ne facilite pas la chose. Si le contact avec le responsable de l’agence bancaire était hier très personnalisé, la plupart des opérations se font aujourd’hui de manière anonyme, par l’intermédiaire d’un clavier, chez soi ou à l’agence. Le cadre d’une relation humaine où l’on a l’occasion de poser des questions est donc beaucoup plus limité. N’empêche, la plupart des banques essaient de fidéliser leur clientèle en instaurant une relation avec un agent particulier, qui reprend contact chaque année avec le client pour réétudier avec lui sa situation et l’état de son épargne, c’est peut-être la chance à saisir. 

 

La deuxième attitude concerne le type d’épargne que chacun choisit. Il n’y a pas que le carnet d’épargne. Obligations, actions, Sicav, etc. se sont considérablement développées ces dernières années. C’est même un peu sur cette base que les banquiers ont essayé de faire croire à leur clientèle qu’il était possible de faire fructifier leur épargne simplement en achetant des produits financiers qu’ils présentaient comme quasi sûrs. On sait ce qu’il en est advenu. La manière dont on place son épargne est donc importante. Si l’on veut jouer sur les variations spéculatives, il faut en assumer les risques. Mais il existe d’autres produits. Ainsi, depuis la fin des années 80, le Réseau de Financement Alternatif a créé, avec l’aide de la CGER, le compte-épargne cigale. Il s'agit d'un compte d'épargne classique qui offre, au-delà du même rendement financier que le compte classique, un bonus. Celui-ci est versé au Réseau Financement Alternatif pour financer des projets soutenus par les associations conventionnées au Réseau. Ainsi, ce financement alternatif a réellement permis aux premières associations membres du Réseau de développer des activités et des projets importants en dehors de tout subside.

 

On peut aussi changer de banque, si l’on estime que l’épargne qu’on lui confie n’est pas utilisée de manière prudente ou citoyenne. Les banques tirent une bonne partie de leur pouvoir du fait que le Belge est très fidèle à sa banque et change difficilement ses habitudes en la matière. Souvent, la banque est celle que les parents fréquentaient déjà dans le passé, alors que les rachats et regroupements ont considérablement modifié les logiques internes de ces institutions. Récemment, l’association de défense des consommateurs Test-Achats réagissait à l’annonce par les banques de l’augmentation des tarifs des différentes transactions en incitant les clients à ne pas hésiter à se tourner vers de plus petites banques, dont les tarifs sont moins onéreux. Du strict point de vue du coût des services bancaires, l’association a même mis au point, en collaboration avec le SPF Finances, un outil en ligne qui permet de comparer les différentes formules tarifaires (3).

 

Il faut rappeler aussi que certaines banques se sont donné des chartes éthiques très rigoureuses. Ainsi la banque Triodos, la plus connue du secteur bancaire éthique en Belgique, s’engage à une transparence totale sur la manière dont l’argent de leurs clients est utilisé. Il s’engagent à financer des projets ou des entreprises qui veillent à la sauvegarde de l’environnement, qui promeuvent la cohésion sociale et la solidarité, et qui améliorent la qualité de vie des individus. En outre, le client peut suivre sur le site de la banque la manière dont son argent est utilisé. 

 

Enfin, les familles peuvent se montrer particulièrement attentives à cette question dans l’éducation des enfants. On a spontanément tendance à considérer le placement de l’argent à la banque de manière très mécanique et automatique. Le recours généralisé aux services électroniques ne fait qu’accentuer ce processus. Et la manière dont les médias parlent depuis quelques années « des marchés » qui imposent leurs lois de manière mystérieuse et obligatoire ne fait que renforcer ce pouvoir. En étant attentifs à parler de la banque comme d’une entreprise qui prend des options très concrètes dans la manière d’investir l’argent de ses clients, les parents peuvent déjà démystifier le secteur.  
Le reste sera affaire d’attitude générale plus ou moins responsable et critique vis-à-vis de l’argent et d’un choix de valeurs qui privilégient les actions solidaires plutôt que le profit individuel maximal. Jadis, les enfants apportaient chaque semaine quelques francs à l’école pour les déposer sur leur « carnet d’épargne ». Cela leur inculquait au moins l’idée que l’attitude responsable vis-à-vis de l’argent est à mettre en Å“uvre tous les jours. Aujourd’hui, le rapport à l’argent est souvent plus abstrait et beaucoup d’enfants ont l’impression qu’il vient presque automatiquement. L’idée qu’un profit financier peut survenir presque automatiquement par simple jeu de trader est peut-être dans la continuation de cette état d’esprit. C’est contre cet état d’esprit qu’il faut s’insurger.(4)

  



(1) Communiqué de presse de la banque Triodos du 29/04/2011. www.triodos.be

(2) Philippe Ledent, Le Belge face à l’épargne, ING Belgique.

http://statbel.fgov.be/fr/statistiques/chiffres 

(3) www.test-achats.be/comptevue ou www.economie.fgov.be

(4) Analyse rédigée par José Gérard.

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