Analyse 2011-22

Le tourisme est devenu une industrie significative au plan mondial. Mais le tourisme pose des questions multiples. A qui profiter cette industrie ? Que faut-il penser de la dépense d’énergie qu’il entraîne ? Face à un secteur en pleine évolution, il n’est pas facile de se faire une opinion pour adopter un comportement responsable.

Le tourisme de masse est un phénomène assez récent. Dans la deuxième moitié du XIXème siècle et jusqu’à la première guerre mondiale, le tourisme était quasi exclusivement réservé aux familles royales et à l’aristocratie. L’aristocratie fut ensuite rejointe ou remplacée par la grande bourgeoisie industrielle. Ce n’est qu’en 1936 qu’apparurent les premiers congés payés et la possibilité pour les travailleurs de voyager un peu. Ce fut le début du tourisme de masse. Ce tourisme social était alors considéré comme une conquête du mouvement ouvrier et non comme une menace écologique. « Par tourisme social, nous entendons le phénomène qui a marqué l’accès à l’activité touristique –en ce compris le voyage et le séjour- de couches sociales qui jusque là en avaient été tenues économiquement à l’écart. Les raisons de cet éloignement sont à trouver en effet, non dans une disposition d’esprit particulière, un choix délibéré, un refus motivé ou une quelconque ‘incapacité culturelle’ mais bien dans les conditions prévalant à une époque donné dans l’organisation économique et sociale de la production. Cette organisation se traduisait, jusqu’en 1936, et pour la plus grande partie de la population active de nos pays européens, par l’absence de deux ingrédients : le temps que n’octroyait pas le rythme de travail ni hebdomadaire ni annuel, et l’argent, que n’assurait pas le niveau salarial moyen, ni le revenu familial. La législation a reconnu et proclamé le droit au temps libre des vacances annuelles et ce geste politique fut la traduction d’une évolution sociale et philosophique extraordinaire autant qu’irréversible. Pour la première fois dans l’ère industrielle, la qualité d’homme venait se superposer à celle d’outil humain, la dignité d’être était reconnue indépendamment de la capacité à produire.(1)» Ces mots d’Arthur Haulot rappellent ce que signifiait en termes de libération et de dignité humaine l’accession au tourisme.

 

Tourisme social

 

On peut dire que la lutte pour le tourisme social fut la première façon de remettre en question l’industrie touristique. D’une part, le tourisme social entend faire profiter le plus grand nombre de personnes, en particulier la population ouvrière, des bienfaits du tourisme. Dès 1936, les organisations du mouvement ouvrier –syndicats, coopératives, mutuelles, etc.-proposent des possibilités de séjours à prix abordables à leurs membres. Les organisations acquièrent des infrastructures à la mer, à la montagne ou dans d’autres régions touristiques, les gèrent et les mettent à disposition de leurs membres. Des possibilités de séjours sont également proposées aux enfants et aux jeunes sous forme de camps et autres colonies de vacances.

 

Mais on peut dire que le tourisme social remet en question l’industrie touristique sous un autre aspect, puisque les séjours proposés ont souvent un aspect de vie collective, avec des plus culturels, alors que l’industrie classique est plutôt individualiste et consumériste.

 

Développement phénoménal

 

L’augmentation du niveau de vie dans nos pays et l’apparition des compagnies low cost ont suscité un développement considérable du secteur touristique, en particulier ces dix dernières années. Selon l’Organisation Mondiale du Tourisme, l’industrie touristique occupait en 2006 plus de 250 millions de personnes et représentait plus de 10% du PIB mondial. On estime que, chaque année, plus d’un milliard de touristes se déploient dans le monde.

 

Mais ces chiffres étonnants masquent parfois des réalités moins roses. Il y a moins de 5% de la population mondiale qui se déplace en dehors de son pays d’origine. Les touristes utilisent souvent dix fois plus d’eau que la population locale, le tourisme consomme à lui seul la moitié du carburant utilisé par l’aviation civile, l’impact écologique sur les zones visitées est parfois catastrophique (70% des récifs coralliens des côtes de l’océan indien ont été détruits) et les profits ne retournent pas nécessairement à la population locale mais à des opérateurs venant des pays du Nord (2).

 

Tourisme durable

 

Dans le sillage du mouvement pour un développement durable, un mouvement pour un tourisme responsable et durable (3) s’est constitué. Il incite à être attentif à différents aspects et promeut un tourisme qui ne soit pas aux mains de seuls opérateurs multinationaux mais où les populations locales sont véritablement impliquées et profitent des retombées de la manne touristique, pour leurs revenus mais aussi en termes de développement régional. Le tourisme durable veille également à ce que la production touristique soit respectueuse de l’environnement et ne vienne pas détruire les sites naturels qu’il est censé mettre en valeur.

 

Tourisme de sens

 

Mais le mouvement pour un tourisme différent comporte aussi, depuis quelques années, des initiatives nouvelles, qui entendent surtout proposer un tourisme qui soit porteur de sens pour ceux qui y recourent. Entre « bronzer idiot » et s’imposer une « université d’été », des initiatives nouvelles proposent de combiner découverte culturelle et démarche de sens.

 

« Selon une analyse de comportements de voyageurs, une tendance se dégage : le nouveaux touriste est en quête de sens. Il veut visiter des vieilles pierres, d’accord, mais des pierres vivantes. Entrer en communion avec les hommes qui les ont rassemblées, les ont habitées et continuent à y prier. Quand on sait qu’en France, cent millions de personnes franchissent chaque année les porches des cathédrales, il y a sans doute lieu d’imaginer des réponses à la mesure de ces attentes.(4) »

 

Parmi d’autres, un opérateur namurois (5) a créé il y a peu une branche d’activités qui tente de répondre à cette demande nouvelle. A titre d’exemple, il proposait cet automne un voyage dans le Périgord , sur la trace de nos lointains ancêtres. Le fil rouge de ce voyage, proposé par un ancien organisateur de pèlerinages, se tient en trois questions :  « D’où venons-nous ? D’où vient l’univers ? Quelle est la place de l’humain dans l’univers ? ». Le Périgord(6), où se situe la célèbre grotte préhistorique de Lascaux, est le théâtre idéal pour cette interrogation. Il ne s’agit pas de faire un voyage « intellectuel », où l’on doit apprendre des tas de choses, mais de se laisser interpeller par ce que l’on découvre, avec un encadrement qui permet d’apporter des éléments de réponse. Pour ce voyage dans le Périgord préhistorique, deux spécialistes accompagnaient le groupe : Philippe van den Bosch, professeur de biologie à l’UCL et Bernadette Wiame, théologienne. L’un pouvait éclairer les grandes étapes de l’évolution d’un point de vue scientifique, l’autre le sens des récits de création qui mettent en scène l’apparition de l’homme sur la terre.

 

Pour le plaisir

 

Concrètement, ce type de voyages propose de partir à la découverte d’une région. Ici elle est riche en gisements préhistoriques, mais d’autres voyages proposent la découverte de l’Alsace et de ses orgues remarquables, la Turquie de l’Est et son mélange de civilisations, l’architecture gothique en France, etc.

 

L’originalité de ces propositions est pourtant de ne pas en faire des voyages trop sérieux. Les voyages ne se limitent pas aux visites de sites et de monuments. Ils comportent aussi de nombreux aspects plus récréatifs : visite des marchés célèbres, balades en bateau, visite de ferme gastronomique ou de caves à vin, etc. Comme le dit Bernadette Wiame, animatrice du voyage dans le Périgord : « Il ne faut pas dégoûter les gens avec trop de visites. L’important est que l’on voie de belles choses et que des questions surgissent ».

 

Au fond, le développement considérable du tourisme ces dernières décennies a soumis une bonne partie du secteur aux logiques financières : un maximum de profit, en favorisant les activités les plus faciles et rentables. Mais ce développement a aussi entrainé toutes sortes de propositions alternatives, de la part de militants de tous bords ou d’amoureux d’une région. Cela laisse au touriste moyen la possibilité de choisir les propositions qui lui paraissent le plus en adéquation avec ses valeurs (7).

 


 

(1) Arthur Haulot, cité par André Hut, in Les vacances, une valise de questions, éd. Feuilles Familiales.
(2) Voir le site de l’asbl Tourisme autrement http://www.tourisme-autrement.be
(3) Voir à ce propos l’analyse « Voyager autrement : le tourisme durable » (2008-19) sur www.couplesfamilles.be, qui analyse les objectifs et les valeurs du tourisme durable.
(4) Chantal Berhin, Un nouveau tourisme spirituel, dans L’Appel.
(5) Terre de sens est une émanation des Pèlerinages namurois et propose des voyages de découverte d’une région où l’on essaie de s’interroger sur le sens des choses, afin de mieux comprendre le monde dans lequel on vit.
(6) Initiative présentée par José Gérard dans le magazine L’Appel de mai 2011.
(7) Analyse rédigée par José Gérard.

 

 

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