Analyse 2011-21

Internet et ses multiples applications se sont imposés dans la vie quotidienne. Pour le travail bien sûr, mais aussi les achats, la recherche d’information, l’échange avec d’autres personnes. La vie amoureuse elle-même est influencée. Internet favorise-t-il pour autant de meilleures relations ? Qu’est-ce qui change dans la vie relationnelle avec internet ?

Les relations amoureuses, cela commence par une rencontre. Mais comment trouver l’âme sÅ“ur ? Voilà une question qu’hommes et femmes se posent sans doute depuis très longtemps et à laquelle chaque époque apporte des réponses différentes. Après les mariages arrangés par les familles, on a connu jadis les goûters matrimoniaux (1), les rallyes dansants de la « bonne société », les agences matrimoniales…

 

Aujourd’hui, celui ou celle qui recherche un partenaire se tourne assez spontanément vers internet. Les réseaux sociaux comme Facebook permettent de multiplier les contacts avec les amis des amis et d’augmenter les chances de dégoter la perle rare. Les sites de rencontre comme Meetic (2) se multiplient et offrent un grand éventail, des gratuits aux payants, des sérieux aux plus fantaisistes… Ceux où l’on espère trouver le grand amour, ceux où l’on cherche explicitement le ou la partenaire d’un soir, mais aussi tous les sites thématiques qui ne sont pas orientés vers la rencontre amoureuse mais où l’on a l’occasion de rencontrer des personnes qui partagent une passion commune : par affinités culturelles, par âge, lieu de résidence, valeurs communes, type de professions, hobbys, etc. Si l’on a quelque chose en commun, on se trouvera peut-être d’autres affinités… Au fond, c’est un peu comme dans la « vraie vie » : on se rencontre, on se découvre des points communs, on cherche à mieux se connaître et l’on en vient parfois à vouloir partager davantage.

 

Internet change-t-il la donne ? Pour certains, le fait de dialoguer par clavier interposé permet de surmonter une certaine timidité, d’aller plus loin dans l’expression de soi. D’autres profitent de l’aspect virtuel de la rencontre pour se présenter sous un jour plus favorable. Dans tous les cas, le moment le plus délicat est celui où les partenaires se retrouvent en face à face, sans intermédiaire. La facilité des échanges virtuels ne se reproduit pas toujours dans le réel, les déconvenues et déceptions sont souvent au rendez-vous quand la personne ne correspond pas à ce qu’elle avait dit d’elle ou à l’image qu’on s’était construite (3). Il n’en reste pas moins que de nombreux couples se forment aujourd’hui par cet intermédiaire et rien ne dit qu’ils soient plus fragiles que d’autres.

 

Internet et la vie à deux

 

Que les partenaires se soient rencontrés ou non par Internet, celui-ci marque aussi la vie à deux de multiples façons.
Internet influence à coup sûr la manière de communiquer, dans tous les secteurs de la vie, mais en particulier dans les échanges amoureux. Prenons quelques exemples. Internet permet aux amants de garder une proximité même quand ils sont éloignés l’un de l’autre, pour des raisons professionnelles par exemple. Pour certains, internet permet de résoudre ou de faciliter certaines difficultés de communication, parce que tenter d’expliquer à son partenaire certaines choses plus délicates est parfois plus facile par le biais d’un intermédiaire, comme l’était le courrier papier jadis. Mais sur un ton plus léger, internet offre aussi l’occasion de laisser à l’autre un petit mot doux sans le déranger dans ses activités. La chose est facile avec les moyens de communication moderne et on n’aurait probablement pas pris le temps de le faire avec un téléphone classique.

 

Malheureusement, internet est aussi à l’origine de nombreuses difficultés relationnelles. Combien ne se plaignent-ils pas du temps, démesuré à leurs yeux, que l’autre passe devant son écran, que ce soit pour terminer un travail ramené au domicile, pour des échanges avec des amis ou pour des jeux, voire pour des activités moins avouables ! Les thérapeutes voient souvent arriver en consultation des personnes complètement ébranlées d’avoir surpris leur homme en train de consulter un site porno ou leur femme entretenant des relations virtuelles avec d’autres hommes…

 

C’est clair, si Internet permet de se rencontrer pour former un couple, il offre aussi à ceux à qui la vie commune commence à peser une bonne occasion pour s’en évader. Cela amène certain(e)s à nourrir une jalousie maladive et à vouloir sans cesse contrôler l’autre : en visionnant les historiques des sites consultés, en lisant le contenu des messages reçus ou envoyés, etc. Une actualisation contemporaine de la fouille dans les poches du conjoint…

 

De nouveaux modèles ?

 

Internet a aussi un impact par les modèles culturels qu’il diffuse, entre autres certaines conceptions de l’amour et des rapports entre les hommes et les femmes. Comme il se finance par la publicité, il n’est pas étonnant d’y retrouver les techniques les plus basiques pour attirer le consommateur : le sexe et l’argent. L’image de la femme y est donc souvent hypersexualisée, bien loin des revendications féministes. Si l’on peut supposer que les adultes peuvent faire preuve de sens critique, beaucoup s’inquiètent cependant de l’influence sur les plus jeunes, en particulier les jeunes-filles… et sur leurs futurs partenaires de vie. L’aspect stéréotypé des images masculines et féminines est à 100 lieues des programmes pédagogiques développés par de nombreuses associations pour mettre fin au sexisme ambiant. Etant donné l’omniprésence d’internet et le poids qu’il représente dans la vie quotidienne des plus jeunes, cela ne risque-t-il pas de ramener ou de confiner les hommes et les femmes de demain dans des rôles très stéréotypés ?

 

Certains regrettent aussi l’accès facile aux images pornographiques (4), même pour les plus jeunes. Plusieurs enquêtes démontrent qu’avant la puberté, de nombreux enfants ont déjà été en contact avec ces « contenus inadéquats ». L’image des relations entre hommes et femmes y est rarement égalitaire et certaines pratiques sexuelles y acquièrent une sorte de légitimation. Le plus jeunes, très soucieux d’être « dans le coup », risquent d’y souscrire même si cela ne leur plaît pas du tout.

 

Pour tous, les jeunes comme les aînés, le modèle de la sexualité qui transparaît sur la toile peut aussi se révéler néfaste : le désir y est généralement automatique, l’autre est forcément disponible, la relation sexuelle est présentée sous le mode de la performance et le plaisir est toujours au rendez-vous. Cela ne correspond pas au vécu quotidien de la plupart des couples. Insatisfactions et désillusions risquent fort d’être au rendez-vous…

 

Un outil…

 

Faut-il pour autant accabler internet et regretter le « bon vieux temps » ? Certains le font, comme on l’a fait dans le passé quand sont apparus le train, le téléphone, la télévision… responsables selon eux de tous les maux. Internet ne crée ni ne détruit sans doute l’amour davantage que d’autres inventions techniques. Il s’agit d’outils, que les hommes et les femmes peuvent utiliser pour de meilleures relations ou avec d’autres desseins. La différence, par rapport au passé, est que l’évolution est de plus en plus rapide, et que l’on n’a pas toujours le temps de prendre la mesure des avantages et des inconvénients des nouvelles techniques et de se doter d’une sorte de sagesse à leur égard. L’esprit critique ou la « sagesse populaire » se construisent sur base d’échanges, de confrontations de points de vues, de réflexion. Il est donc plus urgent que jamais de favoriser les rencontres et les échanges entre citoyens, afin de s’approprier les nouveaux outils de manière critique. On peut d’ailleurs relever le fait qu’internet lui-même offre un outil de choix, facilement utilisable, pour essayer de se forger une opinion argumentée. Autant l’utiliser pour ce qu’il permet de plus bénéfique.

 

Le défi des amoureux reste toutefois le même, quelle que soit l’époque, quels que soient les modèles culturels, les circonstances sociales et les outils techniques disponibles : à deux, ils doivent trouver la manière de combiner deux projets d’épanouissement en un projet commun, trouver la juste proximité et la juste distance entre deux personnes, irrémédiablement différentes, quels que soient les moyens de communication à leur disposition (5).

 


 

(1) Parmi eux, le goûter matrimonial d’Ecaussines fait toujours partie du folklore local. Voir http://www.gouter-matrimonial.be/programme.html
(2) Créé en 2002, le site de rencontres Meetic comptait déjà 12.000.000 d’inscrits en Europe en 2005. Et il n’y a pas que le nombre d’inscrits qui augmente, le chiffre d’affaires a augmenté de 23,6 € entre 2008 et 2009, passant de 1228 à 158 millions d’Euros.
(3) Voir à ce propos l’article « Pour vivre heureux, vivrons-nous cachés… ou exposés ? », dans l’étude réalisée et publiée par Couples et Familles en septembre 2011 : « Afficher son identité, protéger sa vie privée ». Une psychothérapeute y fait état des difficultés rencontrées par certains de ses clients qui cherchent à rencontrer l’âme sÅ“ur par internet.
(4) Voir à ce propos l’étude réalisée en 2008 par Couples et Familles « Sexualité surexposée » http://www.couplesfamilles.be/joomla/index.php?option=com_content&view=article&id=82:sexualite-surexposee&catid=15:vie-affective-sexualite-couple&Itemid=23 .
(5) Analyse rédigée par José Gérard. Une version condensée avait été réalisée à la demande de l’Echevinat de la famille de la Ville de Liège, dans le cadre de la Semaine de la Santé (du 30/09 au 8/10/2011) dont le thème était en 2011 « Toi + moi = nous. Vie affective et sexuelle de 0 à 107 ans ». Cette version a été publiée dans la brochure diffusée gratuitement par la Ville de Liège à l’occasion de cette semaine de la santé.

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