Analyse 2011-20

L’attitude de la hiérarchie de l’Eglise catholique vis-à-vis des divorcés remariés ou des couples homosexuels apparaît comme rétrograde pour beaucoup de personnes, même parmi les catholiques eux-mêmes. Comment les autorités justifient-elles un telle attitude et que peut-on en penser ?

 

Couples non mariés, divorcés remariés, familles recomposées, couples homosexuels, procréations alternatives : les nouvelles manières de faire famille se sont multipliées ces dernières années. Cela s’est fait sous l’effet d’un assouplissement des normes en vigueur et de l’adaptation des législations, mais aussi grâce aux progrès scientifiques et technologiques, pour ce qui est des procréations médicalement assistées par exemple. Toutes ces nouvelles manières de faire famille sont mieux acceptées par la société. Il y a déjà longtemps que les divorcés ne sont plus l’objet de stigmatisation, les couples homosexuels peuvent aujourd’hui « exister » dans l’espace public sans trop de craintes, de nouvelles lois reconnaissent le mariage homosexuel et autorisent l’adoption d’enfants par ces mêmes couples. C’est le cas en Belgique depuis 2003 pour le mariage (1) et 2006 pour l’adoption (2). Pourtant, beaucoup ont l’impression que l’Eglise catholique continue de concevoir ses discours selon un seul modèle : « papa, maman et les enfants ». Nombre de familles concrètes ne correspondent plus à cette image idéale et se sentent donc exclues et rejetées par certaines déclarations.

 

Des déclarations qui condamnent

 

La hiérarchie de l’Eglise catholique estime qu’il lui est impossible d’agir autrement. L’interdiction répétée de bénir l’union de divorcés est inévitable, car l’Eglise ne peut s’opposer à la volonté du Christ qui a dit « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! ».  S’adressant à la Conférence épiscopale de France, Benoit XVI rappelait donc récemment que « L’Eglise, qui ne peut s’opposer à la volonté du Christ, maintient fermement le principe de l’indissolubilité du mariage, tout en entourant de la plus grande affection ceux et celles qui, pour de multiples raisons, ne parviennent pas à le respecter. On ne peut donc admettre les initiatives qui visent à bénir des unions illégitimes »(3). Pour l’accès des divorcés remariés à la communion, le Vatican, apprenant que certains pasteurs se montraient un peu trop « compréhensifs » a rappelé que le code de droit canon établit que « ceux qui persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste ne seront pas admis à la sainte communion ». Quant aux unions homosexuelles, la Genèse dit que « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. Dieu les bénit et leur dit : soyez féconds, multipliez-vous ». C’est l’alliance de l’homme et de la femme qui est l’image de Dieu, le mariage homosexuel est donc incompatible avec l’enseignement biblique. Là aussi, la position ne saurait être remise en cause, comme le rappelait Mgr Ricard : « Notre société ne saurait mettre sur le même plan l’union d’un homme et d’une femme, ouverte sur la naissance de nouveaux êtres, avec celle de deux semblables, qui ne l’est pas. Le mariage assure le renouvellement des générations, ce qui n’est pas le cas d’une union entre personnes du même sexe, d’un mariage homosexuel » (4).

 

Il faut reconnaître que ces discours intransigeants sont souvent accompagnés d’une certaine souplesse vis-à-vis des personnes elles-mêmes. En quelque sorte, il convient de rappeler fermement la règle mais de rester accueillant vis-à-vis des personnes qui ne parviennent pas à l’appliquer. C’est ce que disait le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, dans une interview récente, à l’occasion de la parution de son livre « La famille, un bonheur à construire (5) » : « Il faut toujours avoir le souci de montrer que  ce que l’Eglise propose (la doctrine concernant le mariage et la famille) est indissociable d’un cheminement de chacun. Chacun de nous n’est pas forcément au plenum de l’accomplissement des exigences de l’Evangile à tous les moments de sa vie. Mais ce n’est pas pour autant que ces exigences disparaissent, ni non plus que nous sommes fichus. Il faut désamorcer ce fantasme qui nous fait croire que l’on ne peut être chrétien que si l’on est parfait. C’est un des enjeux de ce qui se vit dans l’Eglise : savoir gérer cet écart entre l’objectif de sainteté qui nous est proposé et les capacités limités que nous avons de le réaliser » (6).

 

Quand les questions occupent le débat public

 

Ces condamnations comportent deux aspects : un message de l’Eglise à destination de ses membres, mais aussi un jugement vis-à-vis des évolutions sociales, voire une tentative de peser politiquement sur les débats parlementaires en cours. C’est ainsi que les débats se font plus vifs quand un pays se prépare par exemple à reconnaître le mariage homosexuel. Les conférences épiscopales se font alors plus ou moins virulentes pour rappeler les positions officielles. Les évêques belges, avant la loi de 2003, s’étaient dits « profondément préoccupés » et remettaient clairement en cause l’idée du mariage gay en déclarant qu’une telle union « est un détournement du sens des mots et, surtout, de la réalité qu’ils désignent ». Certains commentateurs avaient estimé que c’était le minimum qu’ils pouvaient faire vis-à-vis de Rome. Le clergé espagnol, lui, s’est très fortement mobilisé contre le mariage homosexuel, adopté en 2005. L’Eglise catholique portugaise est restée beaucoup plus en retrait par rapport au même débat en 2010, jugeant sans doute que les enjeux sociaux et économiques du moment avaient davantage d’importance. Cela n’a pas empêché Benoit XVI, lors de son voyage au Portugal, de rappeler que « l’avortement et le mariage homosexuel étaient parmi les défis les plus insidieux et les plus dangereux qui, aujourd’hui, s’opposent au bien commun » (7). Lors d’une audience de début d’année au corps diplomatique accrédité auprès du Vatican, il se faisait même plus précis, qualifiant l’union homosexuelle comme une « attaque envers ce que Dieu a créé, les lois ou les projets qui, au nom de la lutte contre la discrimination, portent atteinte au fondement biologique de la différence entre les sexes. La liberté ne peut être absolue parce que l’homme n’est pas Dieu et le chemin à suivre ne peut êre fixé par l’arbitraire ou le désir » (8).

 

L’application des consignes est parfois variée

 

Sur le terrain, certains prêtres appliquent les consignes avec rigueur : pas question de bénir l’union de divorcés ou d’homosexuels dans leur église ! D’autres sont plus souples. Les bénédictions de mariages de divorcés sont aujourd’hui fréquentes. Parfois au grand jour, parfois dans la sacristie… pour ménager respect des règles et accueil des personnes. Pour les unions homosexuelles, cela reste plus rare. Le capucin Germain Dufour, prêtre ouvrier et ancien mandataire Ecolo, a provoqué un certain émoi quand il a béni, en 2010, l’union de deux hommes dans l’église Saint-Servais à Liège. Le porte-parole des évêques de Belgique a alors déploré la confusion que cela pouvait entraîner en laissant penser qu’il y avait une forme de mariage religieux pour les homosexuels. Et Alphonse Borras, vicaire épiscopal, a rappelé que le père Dufour dépendait de son supérieur capucin… ce qui n’était guère pour plaire aux catholiques traditionnels de l’Osservatore Vaticano qui voyaient là « une mascarade sacrilège qui bafoue les sacrements et la famille » et demandaient instamment à Mgr Léonard de parler. « Le RP Dufour ne s’est pas trompé : il a visé précisément ce sacrement fondateur de la famille chrétienne, attaquée de toute part dans une Europe qui court vers l’abime. Ce P. Dufour est un familier des provocations et de la subversion » (9). Si les positions intransigeantes des autorités vaticanes ne sont pas du goût de tous les catholiques, elles réjouissent en tout cas les plus traditionnels d’entre eux.

 

Les personnes passent avant les règles

 

Pour beaucoup de chrétiens, ces nouvelles formes de conjugalité sont d’abord un fait d’aujourd’hui. Rares sont ceux qui ne vivent pas ces situations de très près, pour eux-mêmes ou pour un de leurs proches. Ils appréhendent donc les réalités de manière beaucoup moins théorique. Les divorcés remariés, les couples homosexuels, etc., ce sont d’abord des personnes concrètes avec lesquelles il convient de nouer des liens fraternels. Les nouvelles procréations permettent de répondre à la souffrance et de vaincre la stérilité. Les homosexuels n’ont pas choisi de l’être et essaient de trouver un chemin d’épanouissement. Quant aux divorcés, ils s’engagent à croire encore à l’amour malgré un premier échec. Enormément de chrétiens voient les choes d’abord sous cet aspect positif, comme un mouvement vers la vie.

 

L’habitude de la hiérarchie catholique de rappeler des règles, en particulier sur les questions de conjugalité, passe de plus en plus mal. D’ailleurs, comme s’interrogeait l’abbé Cheza, professeur émérite de l’UCL :« la spécificité chrétienne ne serait-elle pas plutôt de rendre présente, le plus souvent et le mieux possible, la tendresse de Dieu ?  En fait, l’Eglise officielle éprouve un problème majeur vis-à-vis de la réalité même du changement. Elle imagine ses certitudes comme absolues, dans la forme la plus intangible. Pourtant, la vie réelle est changement, même si l’essentiel reste sous des formes différentes. Quand quelqu’un change de costume, il reste fondamentalement le même. La relativité n’est pas relativisme» (10).

 

Le changement d’attitude est déjà réel pour énormément de chrétiens, elle concerne aussi pas mal de prêtres, en contact beaucoup plus proche avec les personnes et ce qu’elles vivent. On peut espérer que les affaires de prêtres pédophiles, qui ont secoué l’Eglise catholique ces derniers temps, la rendront peut-être plus humble et encline à préférer les paroles d’accueil et d’encouragement aux discours de condamnation (11). 

 


 

(1) Loi du 13 février 2003 ouvrant le mariage à des personnes de même sexe, publiée au Moniteur du 28 février 2003.
(2) Loi du 18 mai 2006 modifiant certaines dispositions du code civil en vue de permettre l’adoption par des personnes de même sexe, publiée le 20 juin 2006 au Moniteur belge.
(3) Discours de Benoît XVI à la Conférence épiscopale de France, Lourdes, le 14 septembre 2008.
(4) Déclaration de Mgr Ricard, président de la Conférence des Evêques de France, en 2004.
(5) André Vingt-Trois, La famille, un bonheur à construire, éd. Parole et Silence, 2011.
(6) Interview publié sur le Blog des Familles 2011 (www.blogfamilles2011.fr
(7) Discours de Benoit XVI, le 13 mai 2010, devant les représentants des principales organisations sociales, catholiques ou non, lors de son voyage au Portugal.
(8) Allocution au corps diplomatique en janvier 2010.
(9) Osservatore Vaticanon du 25/02/2010.
(10) Maurice Cheza, in L’Appel d’avril 2011. Il rappelait que l’hypocrisie reprochée à l’Eglise romaine ne concernait pas seulement la manière dont elle s’était longtemps positionnée face aux problèmes de pédophilie, mais quantité d’autres situations.
(11) Analyse rédigée par José Gérard. Une version plus synthétique de cette analyse a paru dans le magazine L’Appel de mai 2011.

 

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