Analyse 2011-18

Des messages alarmants nous parviennent régulièrement : si nous continuons à consommer de la même manière, si la population continue d’augmenter, nous allons droit dans le mur. Mais les défis sont tellement énormes que l’on ne voit pas bien comment réagir ? Les familles sont-elles totalement démunies ?

 


31 octobre 2011 ! Les médias en ont fait écho plus que largement : la planète terre venait de dépasser « statistiquement » la barre des 7 milliards d’humains. Nous l’avons lu et entendu, mais sans bien nous représenter ce que cela peut signifier concrètement. Comment se  représenter une telle foule en effet ?

 

Tout le monde connaît le Stade de France, pour le voir régulièrement à la télévision, même si c’est alors pour changer de chaîne aussitôt, parce qu’on ne s’intéresse pas plus aux sports qu’aux grands spectacles qui s’y déroulent. Or, ce stade peut contenir, en fonction des événements, entre 70 000 et 81 338 places, grâce à des tribunes basses rétractables. Rentrons celles-ci pour ne retenir que le chiffre de 70 000, puisque 7 milliards en est le multiple.

 

Ainsi donc, pour contenir simultanément en un même lieu la population de la terre, pour le premier festival planétaire de tous les temps par exemple, il aurait fallu, au 31 octobre dernier, Cent mille stades de France. A la fin de cette année, quelques milliers de spectateurs resteraient donc à la porte, à moins qu’on ne les ait laissé entrer sur les bras d’un de leurs parents.

 

Sachant que la superficie de ce bâtiment est de 36 000 m2, et l’arrondissant à 40 000 pour lui laisser un peu d’air, il faudrait 1 km2 pour en construire 25. Il ne faudrait donc que 4000 km2 pour caser tout le monde. Quand on sait que la Belgique a une superficie d’un peu plus de 30.000 km2, c’est donc plus de 7 fois toute l’humanité qui pourrait être invitée en Belgique pour ce festival … si elle était couverte de stades de France.

 


La vie n’est pas un festival planétaire

 

A regarder les choses avec ce recul et la capacité d’imaginer cela de manière un peu plus concrète, on se rend compte que ce n’est pas d’abord sur le plan de l’espace que se pose l’accueil de l’accroissement de la population mondiale. La densité moyenne de cette population est d’ailleurs aujourd’hui de 45 habitant au km2, alors qu’elle est par exemple de 360 en Belgique, de 393 aux Pays-Bas ou encore de 195 au Grand Duché de Luxembourg. A noter qu’elle est 15380 dans la Principauté de Monaco.

 

Ce qui est par contre beaucoup plus gênant, c’est qu’il ne s’agit pas de caser tout ce monde en un lieu, mais de leur permettre de vivre ensemble. Or, les 7 milliards que nous sommes donc devenus depuis peu pillent littéralement cette planète terre, plus qu’il ne la « soumettent », pour rependre la référence biblique (1).

 

En effet, toujours lors de ce même mois d’octobre, mais le premier cette fois, nous fut annoncé que les humains que nous sommes avions, au cours des neuf premiers mois de l’année, consommé en énergie et en matières premières tout ce que la planète est capable de produire en un an. En d’autres mots, si nous étions dans une situation de production annuelle limitée de ce que nous épuisons au jour le jour, nous aurions dû vivre trois mois sans nous chauffer, sans nous éclairer, et nous aurions tous été en chômage technique du Ier octobre jusqu’au 1er janvier 2012.

 

Bien sûr, ce jour du dépassement de consommation de ce que la terre peut produire en un an, jour qui survient statistiquement plus tôt d’année en année, est une image pour nous faire comprendre que non seulement le mode de vie actuel n’est plus possible, mais qu’il y a urgence à en changer. Mais alors, changer de quoi ?

 


L’empreinte écologique

 

Depuis plusieurs années, une autre donnée statistique tente de nous faire prendre conscience de ce dont il s’agit : celle de l’empreinte écologique.

 

Le WWF Belgique en donne une approche à la fois claire et succincte (2) dont nous reprenons ici les points essentiels :

  • pour nous nourrir, nous loger, nous déplacer ou absorber nos déchets, nous consommons des ressources naturelles ;
  • il faut donc que la planète ait la capacité de fournir ces ressources en quantité suffisante ;
  • il importe dès lors que notre mode de vie soit en équilibre avec ce capital naturel.

 

C’est pour s’en faire une idée que le concept d’empreinte écologique a été mis au point. Il s’agit en quelque sorte d’un mode d’évaluation qui tente de donner un ordre de grandeur à ce que chacun de nous consomme comme ressources naturelles.

 

L’empreinte écologique globale est l’estimation de la surface de la planète nécessaire pour répondre à nos besoins.

 

Tiens donc ! Nous en revenons à une approche de surface, mais nous aurons vite compris qu’il faut bien plus d’espace disponible pour subvenir à nos besoins que pour regarder ensemble un match de football ou de rugby.

 

En effet, si notre planète comporte des zones qui produisent des ressources naturelles, il en est d'autres qui n’en produisent que peu ou même pas du tout. Elle a donc ce qu’on appelle une biocapacité globale, qui s’exprime en hectares. Elle est équivalente à 11,9 milliards d’hectares au total.

 

Divisée par le nombre d’humains que nous sommes : 7 milliards et quelques uns de plus donc, puisque c’était le nombre que nous étions déjà le 31 octobre dernier, cela nous donne entre 1,7 et 1,8 hectare global par personne.

 

SI on se rappelle qu’un kilomètre carré équivaut à cent hectares et que, par exemple, nous sommes 360 personnes par kilomètre carré en Belgique, chaque Belge ne dispose que de 0,28 hectare. Ou encore, en 2007, l’empreinte écologique de l’ensemble des terriens que nous sommes était déjà de 2,7 hectare.

 


Rien que des hypothèses ?

 

Cela ne saurait donc se poursuivre indéfiniment sur les modèles de consommation qui sont les nôtres.

 

Il est vrai que toutes ces estimations et tous ces calculs sont des approximations et qu’ils ne correspondent pas avec précision et exactitude absolues à la situation dans laquelle nous nous trouvons. Ils n’en sont pas moins plus que des hypothèses. Ce sont des indicateurs suffisamment crédibles et donc utiles.

 

Devant l’immensité des changements à opérer, nous nous sentons dépourvus, individuellement et familialement. Quelle est en effet notre part dans cette surconsommation mondiale et cet épuisement planétaire des ressources naturelles ? Nous nous sentons à la fois impuissants et culpabilisés. En colère même face aux annonces des menaces de catastrophes que certains tirent comme conclusion de ces indicateurs, d’autant plus en colère lorsque nos revenus sont modestes, que nous sommes mal-logés, et que nous éprouvons des difficultés pour nous chauffer, nous nourrir et nous vêtir, nous et nos enfants.

 

Il est vrai que ces discours globaux et mondialisés nous enferment toutes et tous dans un même moule et ne nous aident guère dans nos comportements, ceux-ci se voudraient-ils les plus « citoyens » possible. Nous ne voyons pas comment agir avec pertinence, et non uniquement pour apaiser notre conscience.

 

Quand nous cherchons à savoir en quoi nous pesons personnellement en termes d’empreinte écologique, nous trouvons une série de paramètres qui correspondent bien au contexte dans lequel nous vivons : l’alimentation, le logement, le mode de chauffage, les déplacements et la consommation d’autres biens. Cela ne nous aide toutefois que fort peu, concrètement.

 

Nous tournons en rond, car cela conduit à nous reposer la question : « Alors, changer quoi ? ».

 


Au plan sociétal

 

Ce sentiment d’impuissance provient d’abord parce que c’est sur le plan collectif, et donc politique et économique, que se jouent les enjeux qui ont le plus d’impacts sur l’ensemble des indicateurs. C’est donc sur ce premier plan que nous avons à évaluer nos possibilités d’action.

 

Notre premier réflexe sera, pour la plupart d’entre nous, de nous sentir totalement hors du coup. Et pourtant !

 

Dans les pays  les mieux nantis - les nôtres -, aux systèmes démocratiques relativement évolués, nous avons, individuellement et familialement, plus de puissance potentielle que nous ne le croyons. Nous avons en effet des possibilités de faire entendre notre voix, non pas essentiellement en nous « indignant » comme il devient branché de le dire aujourd’hui, mais en nous « engageant ». Il y a des lieux de prise de parole au sein desquels notre participation citoyenne peut prendre place :

 

  • les partis politiques d’abord, pas tous certes, mais ceux qui se montrent sensibles à l’avènement d’un modèle de société humaine plus responsable et plus respectueuse de toutes les personnes, aujourd’hui mais aussi demain. Ce sont nos enfants et nos petits-enfants qui auront à vivre dans le contexte que nous leur aurons laissé. Il s’agit en effet d’orienter vers un nouveau modèle de société, un nouveau paradigme sociétal comme l’expriment certains ;
  • les associations qui analysent les chemins que prennent nos sociétés, qui y réfléchissent, qui informent et qui promeuvent en conséquence ce paradigme nouveau, afin que les décideurs politiques et économiques agissent le plus adéquatement afin qu’il advienne ;
  • les organisations bancaires et financières dont nous sommes les clients, et sur lesquelles nous avons une influence que nous mesurons mal. Il existe des institutions bancaires et financières qui ne promettent pas - promesses souvent fallacieuses d’ailleurs - une rentabilité maximale de notre épargne, si petite soit-elle, mais qui en garantissent une utilisation éthique optimale. A nous de les prioriser ;
  • tout l’appareil de production et de distribution de biens et de services, et pour la même raison : nous en sommes les clients et ne dit-on pas que le client est roi ? Un professeur d’économie exprimait cela en terme politique : chaque achat que vous effectuez est un vote économique.

 

La crise économique et financière que nous traversons ne change en rien cette analyse. Au contraire, elle devrait nous éveiller à ce que c’est aussi à ces quatre niveaux de participation citoyenne que se situent les enjeux actuels et les moyens d’agir sur leur évolution.

 


Au plan personnel et familial

 

Dans notre vie personnelle et dans celle de nos familles, personne n’a de puissance que nous… si nous veillons à ce qu’elle reste la nôtre.

 

C’est en effet à nous et à nous seuls de décider pourquoi et comment nous voulons vivre. Ne nous disons pas trop rapidement que c’est bien ainsi que les choses se passent. Sommes-nous si sûr en effet que tout notre mode de vie relève de nos choix, en fonction de ce que, au fond de nous-mêmes, nous estimons le plus important et le plus éthique ?

 

Inutile de nous étendre. A chacune et à chacun à effectuer un « bien voir et un bien juger » de nos comportements personnels et familiaux, en fonction par exemple de la publicité, du conformisme, du moindre effort, de l’inattention, du gaspillage, de l’inutile… La liste peut être longue. Une fois ce décodage effectué, il nous restera à « bien agir ».

 

Les personnes et les familles les moins nanties sont bien obligées à de tels exercices réguliers, quand ce n’est pas journaliers. Pourquoi et comment dépenser relève de leur quotidien.

 

Lorsque nous n’en sommes heureusement pas là, un tel exercice effectué régulièrement sur le plan familial est particulièrement éducatif. Et oui, parlons d’argent en famille ! Tabou ? Trop souvent peut-être, mais quel terrain d’éducation remarquable pourtant.

 

Mais comment s’y prendre ? Une fois encore, ce sont peut-être les familles moins nanties qui, confrontées à devoir expliquer aux enfants pourquoi ils ne peuvent pas s’accorder et leur accorder tout ce que d’autres se payent sans devoir y réfléchir, découvrent des moyens pour y mettre adéquatement la parole.

 

Ainsi de cette famille avec cinq enfants. Obligée à faire face à des rentrées diminuées par la perte d’emploi d’un des parents, elle avait instauré un lieu de concertation régulier sur les questions d’entrées et de dépenses de tout un chacun en son sein. Les plus petits, qui n’y comprenaient pourtant pas grand-chose encore - cinq et huit ans -, y participaient comme les plus grands - l’aîné approchait de son 16e anniversaire.
Cette « commission consultative » familiale resta pendant longtemps un moment d’éducation et d’harmonie particulièrement efficace de cette communauté familiale. Il le conservèrent d’ailleurs après que la situation des revenus de la famille s’était améliorée. Il y a fort à croire que, de cette expérience, les enfants sont sortis plus éveillés et plus citoyens que pas mal d’autres.

 

Il ne faut d’ailleurs pas être en manque d’argent pour tenter l’aventure. Sur le plan de l’attention et de la participation de chacun aux responsabilités de la communauté familiale certes, mais aussi sur celui de l’éveil, des parents comme des enfants d’ailleurs, sur les bonnes questions à se poser quant à l’avenir de la planète, quant à nos empreintes écologiques et quant à la justice sociale, autour de nous et dans le monde.

 

Voilà un lieu, un contexte et une occasion à saisir. Il suffit d’oser (3).

 


(1) « Soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la terre et soumettez-la ! » Livre de la Genèse, chapitre 1.
(2) http://www.wwf.be/fr/que-faisons-nous/reduire-notre-impact/l-empreinte-ecologique/685
(3) Texte rédigé par Jean Hinnekens.

 

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