Analyse 2011-17

La question de l’éducation affective et sexuelle refait périodiquement surface dans le débat public. C’est qu’elle préoccupe de nombreuses personnes et institutions et qu’elle comporte des enjeux importants.

 

Récemment, le président de la Fédération laïque des centres de planning familial a déclaré qu’il faudrait imposer aux écoles un programme d’éducation à la vie affective et sexuelle. « Il faut imposer aux écoles un programme d’éducation à la vie affective et sexuelle. En légiférant. En l’inscrivant dans le dispositif légal des écoles. De sorte que toutes les écoles soient touchées, quels que soient le réseau et le type d’enseignement. Il ne peut pas être laissé à l’école le droit de décider si elles fournissent cette éducation ou non à leurs élèves. » (1)


En réaction, tout un éventail d’opinions se sont manifestées. D’un côté, ceux qui estiment que c’est un droit pour tout enfant. Laisser l’éducation sexuelle à l’appréciation des écoles provoque des inégalités entre les élèves des différents établissements. A l’autre extrémité, certains considèrent que c’est le rôle exclusif des parents. « C’est leur mission et cela ne doit pas être court-circuité par des messages pernicieux. Si l’éducation est assurée par le planning familial, le message sera faites l’amour avec une capote, ce ne sera jamais pour votre bonheur, préservez votre virginité jusqu’au mariage ». Cette opinion, relevée sur un forum, reflète le ressenti d’un partie des parents.

 


L’éducation affective, une affaire de longue haleine

 

Approcher la problématique sous cet angle pose une double difficulté. Cela implique que l’on considère que l’éducation affective et sexuelle se fait à l’un ou l’autre moment précis. Cela suppose aussi qu’un seul acteur intervient.  Pourtant, même s’il existe des moments privilégiés, comme les animations assurées en milieu scolaire ou un échange entre un parent et son enfant, l’éducation affective est affaire de longue haleine et de nombreux acteurs interviennent, qu’on le veuille ou non.

 

L’éducation sexuelle ne correspond pas à l’image que certains s’en font peut-être encore parfois : le père qui prend son fils à part dans son bureau pour lui expliquer gravement les choses de la vie ou la mère qui explique à sa fille pourquoi elle est réglée ou ce qui va se passer pendant sa nuit de noces. Si cette manière de voir les choses date d’avant-hier, il est tout de même frappant de constater dans les discours et argumentations que certains continuent de considérer que l’éducation sexuelle et affective se fait à un moment précis, qu’il s’agit donc de transmettre quelque chose, une information et éventuellement le sens que l’on veut donner à la réalité évoquée, à savoir la vie sexuelle. Pourtant, les parents et les éducateurs le savent bien, l’information ne se communique pas à un enfant en une fois. Elle évolue en fonction de son âge, de ses préoccupations du moment, de ce qu’il peut comprendre et intégrer. C’est ainsi que, souvent, les parents et éducateurs constatent qu’une information pourtant clairement communiquée à l’enfant n’a pas été retenue et intégrée, parce qu’elle ne répondait pas à un besoin au moment où il l’a reçue. Et c’est comme si on lui en parlait pour la première fois…

 

En outre, l’éducation sexuelle n’est pas seulement affaire d’informations et de discours rationnels. La manière dont les parents touchent leur jeune enfant, la manière dont ils se témoignent de la tendresse en sa présence sont peut-être tout aussi importantes que ce qu’ils lui diront de l’amour à 15 ans. Et la façon de considérer les relations entre hommes et femmes dans « Plus belle la vie » aura peut-être plus d’impact que les paroles de l’animatrice du planning… Et ne parlons même pas des images pornographiques des relations auxquelles les jeunes peuvent facilement accéder par internet. Ceux qui réclament pour les enfants le privilège de l’éducation sexuelle semblent ignorer que les enfants vivent dans un monde où ils peuvent accéder à de multiples sources d’information et où ils sont influencés par des acteurs très divers : leurs parents bien sûr, les enseignants, d’autres adultes de l’entourage, leurs copains et copines, les médias, internet, etc.

 


Des responsabilités partagées

 

Il faut aussi remarquer que l’éducation sexuelle ne saurait être uniquement une question individuelle ou de vie privée. A l’époque du Sida et des nombreuses grossesses adolescentes, il est de la responsabilité des pouvoirs publics d’affronter ces réalités en termes de santé publique (2). Il est donc légitime que soient mises en place des campagnes de prévention des grossesses non désirées, des maladies sexuellement transmissibles ou de la violence dans les relations entre femmes et hommes. C’est un des buts que poursuivent les animations en vie affective et sexuelle qui sont dispensés, généralement par des centres de planning, dans les écoles. Mais ces animations, dans la pratique, ne se limitent pas à de la prévention, où la sexualité serait vue seulement sous l’aspect des dangers et des risques. Ces animations peuvent aussi offrir un espace de parole et d’information pour que les jeunes puissent faire des choix responsables dans les situations auxquelles ils seront confrontés. Il ne s’agit pas de faire passer une morale ou une idéologie sur la sexualité, mais d’offrir un espace où les jeunes puissent venir avec leurs questions, leurs craintes, leurs angoisses éventuelles. Ce n’est sans doute pas le rôle de ces animations d’inculquer des normes de comportement plus précises que celles qui tiennent au respect de soi et de l’autre, valeurs qui sont de toute façon habituellement présentes dans les projets pédagogiques des écoles.

 

Il est légitime de la part des parents de vouloir donner à leurs enfants une vision de l’amour et de la sexualité qui soit en harmonie avec leur échelle de valeurs. Il est donc normal qu’ils aient à cÅ“ur de témoigner auprès de leurs enfants de leur vision de l’amour et des relations entre hommes et femmes. Ils sont aussi les mieux placés pour vérifier de temps en temps que leurs enfants ont bien intégré les éléments d’information en matière sexuelle. Il n’est pas rare en effet que des jeunes filles soient convaincues, par exemple, qu’on ne peut pas être enceinte la première fois... Les parents peuvent aussi offrir à leurs enfants un espace de dialogue permanent, instaurer un climat de confiance pour qu’ils sachent qu’ils peuvent se confier quand ils rencontrent une difficulté ou qu’une question les préoccupe. Qu’ils ont aussi la liberté de s’adresser à d’autres, comme un autre adulte ou un centre de planning, s’ils sont gênés d’aborder certaines questions avec leurs parents.

 

Les parents qui réclament l’exclusivité doivent en effet se rappeler un autre aspect de la réalité. Il est des moments de l’évolution de l’enfant où le parent n’est pas nécessairement la personne la mieux placée pour aborder ces questions avec l’enfant. A l’adolescence en particulier, les enfants vivent de tels bouleversements qu’il leur est parfois très difficile de s’adresser à ceux dont ils essaient en même temps de se détacher. Mais il est important pour eux qu’ils se sentent la « permission » de s’adresser ailleurs sans avoir l’impression de trahir leurs parents. Cette attitude fait partie de la tâche de l’adolescent de prendre son autonomie, mais lui en laisser la liberté tient au rôle éducatif du parent.

 


Des approches complémentaires

 

Plutôt que d’opposer les intervenants (3), il est donc sans doute plus judicieux de viser une collaboration.
L’intervenant en milieu scolaire a l’avantage de la neutralité et d’une formation spécifique.
Le parent a l’avantage de la proximité, de la connaissance plus fine de l’enfant et son influence passe surtout par le témoignage quotidien. L’intervenant scolaire sera sans doute plus soucieux de mettre la sexualité en lien avec des valeurs sociales communes, comme l’égalité hommes/femmes. Le parent aura à cÅ“ur de mettre le vécu sexuel en perspective avec un horizon de valeurs particulier. Mais les uns et les autres poursuivent l’objectif de donner aux plus jeunes une vision positive de la vie affective et sexuelle, de rendre les jeunes plus autonomes dans leurs choix et à l’écoute de leurs aspirations comme de celles de leur partenaire. Ces acteurs poursuivent tous des objectifs éducatifs, même si leurs objectifs ne se recouvrent pas totalement. D’autres intervenants ont des motivations qui sont loin d’être éducatives, comme les producteurs de contenus à caractère sexuel sur internet, dont les mobiles sont d’abord financiers. Il est donc plus productif de favoriser la collaboration de ces acteurs éducatifs que de les opposer, car en excluant un de ces acteurs éducatifs, on risquerait de laisser le champ plus libre pour des pratiques moins avouables (4).

 


(1) Interview de Nicolas Menschaert, président de la Fédération laïque des centres de planning familial, dans La Libre du 14/09/2011.
(2) Voir à ce propos « Quelle éducation sexuelle et affective des adolescent-e-s à l’aube de ce troisième millénaire. Un état des lieux en Communauté française. », à télécharger ici

(3) On rappelle souvent qu’un vieux proverbe africain prétend qu’ « il faut tout un village pour éduquer un enfant ».
(4) Analyse rédigée par José Gérard.Cette analyse a été diffusée sous une forme plus synthétique dans le journal Dimanche du 6/11/2011.

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