Analyse 2011-12

La sortie, en février 2011, du film français « Qui a envie d’être aimé ? » de la réalisatrice Anne Giafferi, est l’occasion de s’interroger sur l’impact des convictions sur les relations de couple. Si beaucoup pensent aujourd’hui que les convictions philosophiques et religieuses sont de l’ordre de la vie privée et ne doivent pas interférer avec la vie sociale, qu’en est-il des relations plus intimes ? La « conversion » d’un des membres du couple peut-elle mettre en danger la vie commune ?


Le film tout d’abord. Il raconte l'histoire d'un homme de 40 ans, Antoine, marié, deux enfants. Brillant avocat, il semble avoir réussi sa vie ! Mais un jour, Antoine va faire une rencontre inattendue, irrationnelle, bouleversante... un peu honteuse aussi. Antoine va rencontrer Dieu, et il ne s'y attendait pas. Mais pas du tout ! Cela va changer sa vie mais aura aussi des répercussions sur la vie de son entourage .
Le film se base en fait sur un livre, « Catholique anonyme  », où Thierry Bizot, producteur d’émissions pour la télévision française, raconte son itinéraire . Et c’est sa femme, Anne Giafferi, qui l’a porté à l’écran.
Voici comment il présente son itinéraire : « Un jour, mon fils a eu un mauvais bulletin. Je suis allé voir son professeur pour lui demander conseil. Il m’a dit : ‘Vous êtes de grande taille, impressionnant, bien établi… peut-être devriez-vous faire part à votre fils de vos propres doutes’. Cette parole m’a touché en plein cÅ“ur. Plus tard, j’ai reçu de ce professeur une invitation à un parcours catéchétique. Ne voulant pas vexer ce professeur envers qui je me sentais redevable, je m’y suis rendu avec des pieds de plomb. » Sa conversion ne sera pas fulgurante, mais très progressive. Un jour, alors qu’un ami athée se met à parler de Dieu dans un diner, il se rend compte à quel point la personne de Jésus est devenue importante pour lui. Sa femme, Anne Giafferi, réalisatrice pour le cinéma, n’a pas du tout suivi le même cheminement,  mais a réalisé un film sur base de cet itinéraire : « Qui a envie d’être aimé ? ». Il est sorti en France en février 2011. Le cheminement que raconte le film pourrait être l’illustration de nombreux témoignages : une personne en recherche « d’autre chose », de manière plus ou moins consciente, se trouve en contact avec une démarche de type spirituel et en est bouleversée.

 

Les conversions sont-elles fréquentes ?

 

Il faut le reconnaître : baptêmes d’adultes et conversions se multiplient et suscitent la curiosité. Littérature et cinéma y font écho. Ce n’est pas un hasard que le livre et le film aient rencontré un certain succès.
En Belgique francophone, par exemple, le nombre d’adultes qui reçoivent le baptême à l’occasion de la fête de Pâques ne fait qu’augmenter depuis une dizaine d’années. Ils étaient 115 en 2009, 123 en 2010 et 127 en 2011. En France, c’est pas moins de 3000 adultes qui ont reçu le baptême lors de la fête de Pâques en 2011. Il ne s’agit donc pas d’un phénomène marginal.
Pour la Belgique, le phénomène est plutôt wallon et francophone que flamand. A l’origine, la sécularisation plus ancienne et plus importante dans le sud du pays. Jadis, la société était relativement homogène au niveau des convictions, une large majorité de la population était baptisée par habitude sociale, quel que soit le degré de conviction religieuse des parents. Il s’agissait en fait d’un catholicisme sociologique, comme on l’a appelé ensuite. Aujourd’hui, la pression sociale est beaucoup moins forte, la laïcisation de la société a fait son Å“uvre et les parents baptisent beaucoup moins par convention à la naissance. La démarche de foi, quand elle se produit, est donc davantage une démarche personnelle et réfléchie, souvent effectuée par des adultes qui découvrent la foi. Il y a donc davantage de probabilités qu’ils ne soient pas encore baptisés.

 

Les conversions d’adultes recouvrent des réalités diverses

 

S’il y a davantage de convertis, il faut noter qu’ils présentent des profils différents et recouvrent des réalités sociales diverses. Avec la mobilité plus grande des populations, il y a bien sûr tous les cas où un des conjoints se convertit, par conviction ou par obligation, à la religion de l’autre, quelles que soient ses idées au départ. Dans de nombreux mariages où un des conjoints est issu d’une immigration récente, il n’est pas imaginable d’autoriser un mariage avec une personne qui ne partage pas la même religion. Cette réalité a encore été illustrée récemment en Belgique à l’occasion du procès de la famille de Sadia, exécutée par son frère parce qu’elle refusait un mariage arrangé. La mère de Sadia déclarait par exemple lors du procès d’Asssises : « Plutôt morte que mariée à un  non musulman ». On comprend donc que la pression puisse être forte dans certaines situations.
On connaît aussi des conversions par changement de religion. Récemment, Tony Blair est passé avec un certain écho médiatique en raison de sa fonction, de l’anglicanisme au catholicisme. On signalera encore les personnes qui, issues d’un milieu athée, découvrent la foi. Ce fut le cas d’André Frossard  jadis en entrant dans une église. Ecrivain, il en fit un récit qui eut à l’époque un certain retentissement. Tim Guénard , plus récemment, découvrit la foi religieuse par contact avec la communauté de l’Arche. Tous deux ont abondamment témoigné de cette découverte et de l’impact qu’elle a eue sur leur vie.
Et puis il y a tous les convertis qu’on pourrait appeler les « recommençants ». Ils ont été éduqués dans la religion catholique ou dans une autre famille religieuse, dans un milieu où les convictions étaient plus ou moins profondes ou sociologiques. Ils ont pris petit à petit leurs distances et, tout à coup, à l’âge adulte, une expérience les confronte à nouveau à la question de Dieu. 
Cette redécouverte de la foi, qui dans de nombreux cas est en fait une première découverte personnelle, Thierry Bizot, producteur d’émissions pour la télévision française, en a fait l’expérience. Il a raconté son itinéraire dans un livre : « Catholique anonyme ».

 

Jésus, un rival ?

 

Dans le cadre de l’analyse de l’impact des convictions sur la vie de couple, il est significatif de relever que les convertis décrivent souvent leur expérience en utilisant le langage amoureux. Thierry Bizot, pour sa part, en parle ainsi : « Les gens pensent souvent que la foi sert à mourir, que ça rassure, comme une assurance vie. Non, la foi permet au contraire de bien vivre, d’être heureux. C’est comme être amoureux. La foi est une rencontre amoureuse avec Jésus qui vous aide dans votre vie de tous les jours. » Pas étonnant dès lors qu’une des questions que l’on se pose à propos de ces convertis est de savoir ce qu’ils deviennent après quelques années. En amour, on sait que le coup de foudre n’est pas un gage de longévité de la relation. Les coups de foudre peuvent se succéder et ne jamais trouver leur vitesse de croisière dans une relation au quotidien. Et les convertis qui ont été fascinés par une expérience spirituelle bouleversante, dans un groupe de prière ou ailleurs,  ne trouvent pas nécessairement la même vitalité dans le fonctionnement quotidien des communautés chrétiennes. Les néophytes se retrouvent parfois dans le creux. Ils ont éprouvé une soif radicale et se sentent déçus dans leurs communautés locales.
La conversion d’un seul des membres du couple, comme c’est le cas pour Thierry Bizot pose aussi d’autres questions. Au départ de la manière dont il raconte son itinéraire, on perçoit qu’Il était presque gêné de parler à sa femme de sa foi nouvelle. Parce que la foi est peut-être un sujet tabou aujourd’hui, même dans les couples. Il est difficile de parler de religion et de dire que l’on est croyant, parce que les croyants passent pour des ringards, mais aussi parce que la foi est un territoire très intime et difficile à communiquer. Anne Giafferi, elle, confie que les absences de son mari lui ont d’abord fait penser à une relation extraconjugale. Puis, voyant les livres sur Jésus se multiplier sur la table de nuit, elle a craint de le voir happé par une secte. Plus fondamentalement, elle a craint pour leur relation. « Au début, j’ai eu peur que cette expérience change complètement Thierry et modifie même notre couple. En fait, il n’en est rien. Au contraire, je trouve Thierry plus serein et plus détaché des soucis matériels, davantage ouvert aux autres, à leurs différences, à leurs problèmes. Comme si sa relation avec Jésus était un filtre à travers lequel il abordait la vie. » Dans leur cas en tout cas, l’évolution différente de chacun semble plutôt avoir nourri leur relation. « Je ne suis pas croyante, mais cela ne nous empêche pas de partager les mêmes valeurs depuis vingt ans que nous sommes mariés. Et, en premier lieu, le respect de ce que pense l’autre. Chacun a ses zones de mystère, et cela nous interroge parfois. Ce film, c’est une aventure à deux. Son livre, mon scénario nous ont mutuellement éclairés. »
La démarche spirituelle ou religieuse d’un des membres du couple ne se met donc pas en opposition avec la vie commune dans la mesure où elle rend plus libre celui qui y est engagé. Dans les groupes plus sectaires, on remarque souvent, au contraire, qu’une des premières pressions consiste à isoler la personne et à briser les liens de proximité qu’il entretient, afin de le rendre plus réceptif à un certain endoctrinement. Dans la mesure où l’expérience religieuse n’entraîne pas un embrigadement, elle peut nourrir la vie intérieure de la personne et devenir une richesse supplémentaire à partager avec l’autre, même s’il n’a pas les mêmes convictions .

 


  • Qui a envie d’être aimé ?, film de Anne Giafferi, France, 2011. Avec Eric Caravaca, Benjamin Biolay, Valérie Bonneton, Jean-Luc Bideau, Philippe Duquesne.
  • Thierry Bizot, Catholique anonyme, Seuil, 2008.
  • On peut aussi se référer au blog de Thierry Bizot : http://bizot.blog.croire.com/
  • André Frossard, Dieu existe, je l’ai rencontré, Fayard, 1969.
  • Tim Guénard, Plus fort que la haine, J’ai lu, 2000.
  • Analyse rédigée par José Gérard.

 

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