Analyse 2011-06

L’adolescence est un temps de crise durant lequel le jeune doit trouver son identité. Il le fait bien souvent en mettant son entourage à l’épreuve. Objectif ? Se situer dans le monde et s’ouvrir à l’avenir. Une telle traversée réveille bien des questions endormies ou larvées chez l’adolescent. Mais aussi chez son entourage. Car la quête d’identité entreprise par chaque adolescent rebondit à distance sur les générations et crée des remous qui nous atteignent tous.


L’adolescence est l’une des périodes les plus difficiles de la vie. Elle ne concerne pas uniquement l’adolescent. Elle concerne aussi son entourage. Durant l’adolescence, le jeune est secoué de l’intérieur par toute une série de remous. Ces agitations se propagent et viennent ensuite secouer son environnement : à la manière d’un caillou qui ricoche sur l’eau, l’adolescence vient ricocher sur les parents, les grands-parents, les professeurs, les éducateurs, et tout l’entourage du jeune.


L’adolescence : un moment élastique


Cette période dure-t-elle longtemps ? Il n’y a pas vraiment de règle. L’adolescence est un moment très élastique. Pour certains, elle commence tôt et finit tard. Pour d’autres, elle passe à toute allure. Quoiqu’il en soit, l’adolescence n’est jamais un moment facile. Le jeune se retrouve tout à coup face à une terre inconnue : le monde de l’enfance s’efface et laisse place à des choses tantôt étranges et inquiétantes, tantôt enthousiasmantes, délirantes ou disjonctantes. Tout est nouveau. Certains adolescents passent ce moment de leur vie sans trop de problèmes. Ils parviennent à gérer les choses dans le calme. Pour d’autres, par contre, c’est beaucoup plus difficile. Ils traversent l’adolescence en faisant un maximum de bruit et mettent à mal leur entourage qui ne sait plus comment réagir.


L’adolescent est une question ambulante


L’adolescent est, en fait, une véritable question ambulante : il se pose des tas de questions. Tout le temps et sur tout : la vie, la mort, la sexualité, l’argent, la réussite, les amis, l’éducation, l’avenir. Les questions pour lesquelles il trouve facilement des réponses passent inaperçues. Mais lorsqu’il bloque sur une question, il insiste. Il veut trouver une réponse. Et cela n’arrange bien souvent pas ses parents.  Car la quête d’informations s’arrête, bien malgré lui, toujours sur les points délicats, là où la réponse est difficile à donner, aussi bien pour lui que pour l’adulte.


Winnicott : l’adolescence est un pot au noir


En 1962, le psychanalyste britannique Donald Winnicott compare l’adolescence  à un « pot au noir  », ce terme de navigation qui désigne une zone de convergence intertropicale. Le pot au noir angoisse terriblement les marins qui ne peuvent plus prévoir s’il y aura du vent. S’il y en a, ils ne peuvent pas deviner de quel côté il va tourner. Lorsque les marins rencontrent un pot au noir, tout leur protocole de navigation tombe à l’eau. Ils ne peuvent faire qu’une seule chose : s’adapter et tenter de réagir le plus vite possible en fonction de la direction que va prendre – ou non – le vent. Pour Winnicott, l’adolescence est comme un pot au noir et la société doit être aussi courageuse que les marins : elle doit accepter l’adolescence et avoir des réactions positives. Elle doit s’adapter aux adolescents et aller au devant de ce phénomène pour le traverser.


Malheureusement, ceci n’est pas toujours évident. Pourquoi ? Parce que les adultes en veulent aux adolescents. Avec leurs remous et leurs ricochets, ils viennent réveiller le pot au noir qui sommeille en chacun d’eux. Certains adultes préfèreraient ne plus avoir à penser à ce pot au noir. D’autres sont frustrés de ne pas avoir assez profité de leur adolescence. Les remous et les ricochets de l’adolescence ennuient donc les adultes. Ils voudraient bien faire sans, mais ils ne peuvent pas, car l’adolescent attend leur aide.


Hölderlin : l’adolescent est un tissu de contradictions


Hölderlin, poète et philosophe allemand, explique ceci : l’adolescent est, à lui seul, un incroyable tissu de contradictions. Il se pose des tas de questions. Alors, pour calmer ses tensions, il éveille les contradictions qu’il a en lui chez l’adulte. De cette manière, il peut observer la manière dont l’adulte va les gérer. Hölderlin explique qu’en fait, l’adolescent met l’adulte face à des problèmes qui sont impossibles à résoudre.


Platon : l’adolescent choisit d’être ce qu’il sera dans le futur


Pour Platon, chaque adolescent est responsable de ce qu’il va devenir. Le philosophe illustre ce propos avec le mythe d’Er le Pamphylien . Au travers de cette histoire, Platon fait découvrir une vision de l'après-vie. Ce mythe montre qu’après la mort, certaines âmes sont plongées dans les pires tourments car elles n’ont pas respecté les règles de la sagesse. Les autres sont bienheureuses et sont récompensées car elles ont eu des comportements respectueux durant leur vie. Ce mythe montre que d’après Platon, l’adolescent a le choix de suivre, ou non, les règles de la sagesse. C’est lui qui décide de ce qu’il sera dans le futur. Il doit discerner les bonnes et les mauvaises conditions et choisir celles qui, pour lui, seront les meilleures. Pour l’aider dans ses choix, l’adolescent doit trouver un interlocuteur que Platon appelle « un maître » qui  lui permettra de faire les meilleurs choix.


Les 4 besoins de l’adolescent


Winnicott identifie quatre besoins chez l’adolescent :

  • Il veut éviter les fausses solutions.
  • Il a besoin de se sentir réel.
  • Il adopte une attitude de défi pour ne pas rester dans une situation de dépendance.
  • Il provoque sans cesse la société.


D’après Winnicott, l’adolescent ne peut intégrer ses contradictions internes qu’à une condition : en les réveillant dans son environnement et dans la société. Ce mécanisme n’est aucunement la conséquence d’un mauvais caractère ou d’une méchanceté quelconque. Il s’agit plutôt d’un désir nécessaire. L’adolescent a besoin de comprendre le sac de noeuds qui se trouve en lui. Bien sûr, plus l’adolescent est rempli de contradictions, plus il va mettre son entourage à l’épreuve. C’est contradictoire et pourtant, plus un adolescent est infect avec un adulte, plus il l’aime et attend des choses de lui.


Pour se socialiser, l’adolescent a donc besoin de provoquer la société. Il prêche le faux pour savoir le vrai. Pour bien faire, les parents doivent résister à ces attaques et montrer à l’adolescent qu’ils tiennent à lui, malgré tout.


Jean-Paul Michel : la maladresse est inévitable à la jeunesse


D’après le poète Jean-Paul Michel , l’adolescent est un être très maladroit. Il se sert de cette maladresse comme stratégie pour se développer. En fait, la jeunesse ignore la pondération. Elle agit en fonction de ses élans. Et parfois, maladroitement, elle se trompe. Mais d’après Jean-Paul Michel, ces erreurs ne sont pas graves. Le mal serait que la jeunesse capitule et abandonne, et qu’elle n’ait plus aucun élan. Tant pis si parfois elle se trompe. L’important, c’est qu’elle agisse.


En conclusion


Du point de vue d’une association d’éducation permanente comme Couples et Familles, ces différentes approches du passage adolescent indiquent qu’il n’y a pas une seule manière mais des manières différentes d’être adolescent. Par ailleurs, parce qu’il s’interroge lui-même sur son devenir et le sens de son existence, l’adolescent provoque les adultes qui l’entourent et la société à s’interroger eux aussi sur leurs propres contradictions.
La malaise adolescent peut donc être appréhendé comme un révélateur des malaises et des fragilités d’une société donnée. C’est cela qui rend difficile la vie des adultes qui entourent l’adolescent, mais c’est cela aussi qui oblige à considérer que les soubresauts parfois chaotiques de l’adolescence ne sont pas « un mauvais moment à passer », mais l’occasion pour l’entourage familial et la société où il évolue de s’interroger sur les incohérences qu’ils ont peut-être renoncé à essayer de résoudre .

 


  • Voir  WINNICOTT, D.W., 1969 [1962], « L’adolescence », in De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot.
  • http://fr.wikipedia.org/wiki/Zone_de_convergence_intertropicale
  • Évoqué par Platon dans le dernier livre de « La République ».
  • Voir le site de l’auteur http://www.jeanpaul-michel.fr
  • Texte rédigé par Isabelle Bontridder (Couples et Familles), au départ de la rencontre-débat animée par le Dr. Antoine Masson, psychanalyste, psychiatre, co-responsable du département de consultations pour « Adolescents et Jeunes Adultes » du Centre Chapelle aux Champs de Woluwé, UCL. Cette rencontre-débat était organisée dans le cadre des Midis de la Famille, proposés par l’échevinat de la famille de la commune d’Ixelles, en collaboration avec différentes associations, dont Couples et Familles.

 

 

 

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