Analyse 2011-4

Les jeunes passent beaucoup de temps sur internet. Il est donc essentiel de savoir ce qu’ils y trouvent, ce qu’ils y font, afin d’essayer de les éduquer à s’y montrer autonomes. Tel est le but de l’éducation aux médias qui, selon la définition du Conseil de l’éducation aux Médias en 1995, vise à « former chaque jeune à être un spectateur actif, un explorateur autonome et un auteur de la communication médiatique ».

 

Les usages d’internet

 

Une enquête menée en 2006 sur l’appropriation d’internet par les jeunes de 11 à 18 ans révélait que 90% des jeunes utilisent internet et que cette utilisation se fait essentiellement à la maison. Cela dit à la fois l’omniprésence d’internet et le rôle capital des familles face à cette réalité.

Mais il est important de relever aussi la vitesse des évolutions. En 2006, on assistait à l’explosion de Messenger (dialogue par écrit sur internet) et des blogs. Aujourd’hui, Facebook a supplanté Messenger et a fait chuter la création de blogs.
Sur Facebook, l a grande question est de savoir combien d’amis on possède ? Si 25% des utilisateurs ont entre 20 à 50 amis et 40% plus de 50 amis, dans la pratique, les personnes avec lesquelles les jeunes entretiennent des contacts se limitent à un groupe de 10 à 15 personnes, constitué essentiellement par les copains de classe. La réalité montre donc que beaucoup d’appréhensions des parents (comme la crainte que l’enfant n’entretienne des contacts avec des prédateurs potentiels) sont largement non fondées.

 

Une autre crainte des parents est de voir leurs enfants se faire arnaquer. L’enquête de 2006  révélait aussi qu’il y a peu de démarches commerciales de la part des jeunes. Chez nous, les jeunes ne peuvent pas avoir de carte de crédit, ce qui limite considérablement leurs possibilités et les risques par le fait même.

Autre évolution : en 2006, les GSM étaient déjà très présents. Ce qui est en train de se développer, c’est internet via les portables (smartphone). Cela permet même de localiser les « amis » qui ont  accepté d’être identifiés. Cela peut paraître effrayant de se trouver ainsi « pisté », mais à chaque nouvelle application, il y a une phase d’inquiétude, qui est suivie d’une appropriation et d’une régulation.

 

Autres enseignements de cette enquête. 83% des jeunes disent qu’ils «  s’y connaissent » en informatique. En fait, il ne comprennent pas grand chose du fonctionnement, mais ils sont à l’aise avec l’utilisation. Ils n’ont pas peur d’essayer. Quand on leur demande si leurs parents les empêchent de consulter certains sites, ils déclarent que leurs parents sont relativement ouverts. Quand on leur demande s’ils utilisent internet à l’école, 65% répondent « jamais » ou « presque jamais »â€¦ mais quand on leur demande  de préciser, on se rend compte qu’une ou deux fois par semaine, pour eux, équivaut à « presque jamais ». Autre question qui leur a été posée : « Avec qui découvrez-vous de nouvelles choses sur internet ? ». La plupart répondent  « avec mes amis ». Mais « presque jamais » avec les parents. En fait, il est souvent difficile pour les adultes d’avoir un échange à ce propos avec les jeunes, parce que les parents s’y sentent moins à l’aise.

 

Que trouve-t-on sur internet  et quels en sont les dangers éventuels ?

 

Il faut distinguer les différentes pratiques possibles sur internet pour en évaluer les risques potentiels.

  • Le courrier électronique Quels sont les dangers potentiels ? On peut citer les rumeurs. Tout le monde a déjà reçu une sollicitation pour un don de sang pour sauver la vie d’un enfant, une mise en garde contre une araignée à la morsure mortelle, etc. Cela ne fait pas courir de danger direct à l’utilisateur, si ce n’est de provoquer éventuellement un peu de panique… mais cela sature parfois les numéros d’appel qui sont renseignés sur le message, des numéros qui sont parfois essentiels au bon fonctionnement de services de soins, par exemple. Les arnaques sont un autre fléau du courrier électronique. « Je veux investir 10.000.000 € dans votre pays. Je suis atteint d’une maladie incurable et je souhaite vous faire un don. » Etc. Les jeunes ne sont guère exposés puisqu’au moment où ils seront invités à verser un somme en garantie de la transaction, ils ne pourront le faire. Pour tous ces messages parasites qui envahissent parfois les messageries, le mieux est de les ignorer ou éventuellement de vérifier leur véracité sur hoaxbuster.com, site spécialisé dans la détection des rumeurs et arnaques.
  • Les sites web On peut se trouver confronté à des sites dont le nom de domaine induit en erreur. Par exemple le site « whitehouse.com » qui n’avait rien à voir avec le site officiel de la Maison Blanche (whitehouse.gov) mais jouait sur la confusion. Cela a fait le succès du site et son propriétaire a pu revendre le nom de domaine pour 1 million de dollars. Aujourd’hui, la vente des extensions est libéralisée. On n’est donc plus certain qu’un site .be soit effectivement situé en Belgique. Mais il faut aussi faire preuve d’un certain bon sens ou esprit critique : si l’on cherche sur le web des renseignements météo, il est préférable de faire confiance à un site dont on est sûr qu’il est belge.
  • Le web 2.0 ou interactif On y trouve des sites de rendez-vous… où l’identité affichée n’est pas nécessairement l’identité réelle. Sur MSN et Facebook, on est en principe en contact avec des gens que l’on connaît. Mais même dans ce cadre, il faut être prudent avec ce que l’on affiche . Pour afficher une photo de classe (ou d’un autre groupe) par exemple, il faudrait demander l’autorisation à chaque membre du groupe. Il faut aussi se montrer prudent face à ce que l’on écrit. Par exemple : « Quels sont vos profs absents aujourd’hui ? Vous inquiétez pas, s’il n’y a pas d’insulte, on peut le dire ».
  • Le web commercial Peu utilisé par les jeunes… mais quand même. Il y a des jeux qui démarrent gratuitement… puis qui demandent d’acheter des unités, éventuellement avec la carte du GSM. C’est une manière de contourner le fait que les jeunes ne possèdent pas de carte de crédit. Sur Skyblog, par exemple, un SMS est facturé sur le GSM du jeune pour financer le blog.
  • Et la pornographie ? Le contact avec des contenus pornographiques est une autre grande crainte des parents. Il faut distinguer deux situations différentes : l’enfant ou le préado qui « tombe » sur des images pornographiques sans l’avoir recherché et l’ado qui cherche à les voir. Face à l’inquiétude des parents, on peut dire que Google a déjà beaucoup trié. Par ailleurs, il existe également des logiciels de filtrage que les parents peuvent installer, mais ceux-ci ont parfois des effets bloquants non recherchés. Le mieux est sans doute de prévenir l’enfant que cela peut arriver, qu’il ne doit pas se sentir coupable et qu’il peut en parler. Globalement, on parle rarement de traumatisme profond chez les enfants qui y ont été confrontés.

 

Eduquer à internet

 

Si on réfléchit à internet, on peut dire qu’il existe différentes pratiques : lire, écrire, naviguer et organiser. Ces pratiques se marquent dans différents champs : les informations, les aspects techniques et les réalités sociales. Pour ces différents champs on peut faire quelques remarques utiles pour une attitude éducative.

 

  • Un des buts de l’éducation aux médias devrait être de prendre conscience que beaucoup de photos sont retravaillées. Cela peut améliorer une image, mais cela peut aussi la modifier, voire la falsifier. Ce que l’on voit n’est donc pas forcément un gage de vérité.
  • Comment évaluer la fiabilité d’un site et donc de l’information qu’il propose ? La question se pose très souvent aux étudiants qui réalisent des travaux scolaires en glanant leur information sur internet. Il faut d’abord chercher à savoir qui en est l’auteur. Ce qui n’est pas toujours facile à savoir. Il faut voir aussi la date de la dernière mise à jour. ’éducation aux médias devrait aussi faire prendre conscience que l’on peut trouver des informations de types très différents pour une même recherche : un institut universitaire officiel, le site d’un passionné plus ou moins compétent, un site sérieux mais financé par une firme commerciale qui ne fait état que des aspects positifs, etc. La fiabilité des informations recueillies dépend aussi des objectifs de ceux qui les mettent à disposition.
  • Les jeunes (comme les autres utilisateurs) ne sont pas seulement consommateurs de contenus. Par exemple, dans Wikipedia, il y a beaucoup d’interactions possibles. On peut vérifier l’évolution des modifications,  mais on peut soi-même modifier des infos.
  • Comment fonctionnent les moteurs de recherche ? Le fouineur référence les sites et l’index les organise. L’utilisateur a en fait accès à l’index, qui présente des éléments qui ont peut-être disparu ou ont été modifiés sur le site. On a en fait accès à la page « en cache », celle qui a été enregistrée quelques jours auparavant.
  • Comment google classe-t-il les sites ? En fonction du nombre de liens d’une page avec d’autres sites. Connaître ces éléments techniques sur le fonctionnement d’internet permet aussi d’acquérir un esprit plus critique.
  • Facebook incite à ce qu’un maximum d’infos soient publiques, pour qu’il y ait un maximum d’utilisateurs. Normal puisqu’ils vivent de la publicité. Il faut donc être critique avant d’accepter que les infos que l’on rend disponible soient accessibles à tous. Aller dans « compte », puis « paramètres de confidentialité ». Il y a le choix entre « tout le monde », « amis et amis des amis », « amis seulement ».
  • Attention, on accepte souvent sans les lire les règles de Facebook, par exemple le fait que les droits sur ce que l’on publie appartiennent à Facebook. Par ailleurs, il est souvent quasi impossible de lire ces conditions. Par exemple, lorsque l’on télécharge une nouvelle application, on doit accepter les conditions, mais cela fait parfois 60 pages à lire, dont la plupart sont tout à fait « normales » et seulement l’une ou l’autre clause plus discutable. Qui a le courage de tout éplucher avant le téléchargement ?
  • La protection des utilisateurs se fait par la mobilisation des citoyens, surtout par le biais d’associations qui se spécialisent dans certains domaines. Mais cette mobilisation peut aussi se faire par le net.
  • Les nouvelles technologies peuvent devenir très envahissantes. Il faut y être attentif essayer de mettre en place une éducation des enfants à la résistance, à l’esprit critique, à la pose de limites. Ce sont en fait des éléments d’une éducation globale, à appliquer dans ce secteur particulier. Mais les « discours » n’auront que peu d’effet si les adultes eux-mêmes ne se mettent pas de limites. Il ne faut pas non plus que la pose de limites aboutisse à interdire à l’enfant l’accès à internet ou à en limiter fortement l’accès. Etant donné la place que prennent de plus en plus ces technologies dans tous les aspects de la vie, cela pourrait provoquer l’exclusion de celui qui en est écarté.
  • Pour les parents qui veulent protéger leur enfant de contenus inappropriés, les filtre peuvent parfois se révéler utiles, mais cela ne supprime pas le risque et cela ne dispense pas de l’obligation de préparer l’enfant aux risques courus.
  • En tout état de cause, dans ce domaine comme dans d’autres, l’adulte doit porter intérêt et un regard attentif à ce que fait l’enfant. C’est cet intérêt et le climat de confiance qui en résulte qui seront la meilleure protection face aux dangers que comporte tout contact d’un enfant avec la société.

 

En conclusion

 

Les parents et les éducateurs sont souvent préoccupés par les dangers d’Internet. Internet peut certes être un poison, mais il fournit souvent le contrepoison. Par exemple, s’il internet permet de diffuser de nombreuses arnaques de toutes sortes, on y trouve aussi les sites qui analysent ces arnaques et mettent les utilisateurs en garde. Comme il est de moins en moins possible, ou en tout cas imaginable par les plus jeunes, de se passer des nouvelles technologies de l’information, le mieux est sans doute de s’intéresser à leurs pratiques et de les accompagner en développant leur esprit critique et en maintenant un espace de dialogue. C’est ce climat de confiance qui sera la meilleure protection face aux dangers que comporte tout contact de l’enfant avec la société .

 

(1)A propos de cette question particulière de la protection de l’intimité, voir l’étude de Couples et Familles « Afficher son identité, protéger sa vie privée », Dossier NFF n°çè, septembre 2011.
(2)Texte rédigé par José Gérard (Couples et Familles) suite au Midi de la Parentalité organisé le 17 février 2011 à Bruxelles et animé par Paul de Theux, directeur de Méda-Animations. Les Midis de la Parentalité sont organisés par l’échevinat de la famille de la Ville de Bruxelles, avec la collaboration de Couples et Familles.

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