Analyse 2011-1

Acquérir l’autonomie face à la consommation est un défi. En effet, les jeunes sont aujourd’hui une des cibles privilégiées de la publicité et du marketing. Pour relever ce défi, les pistes d’action sont de trois ordres : familiales, scolaires et juridiques (1).


Si l’on faisait un rapide sondage, la plupart des personnes interrogées se déclareraient contre le travail des enfants et contre la pollution de la planète. Pourtant, ces mêmes personnes possèdent dans leur grande majorité des baskets et un gsm. Or les baskets sont fabriquées par des enfants et les gsm sont des produits très polluants. Cela montre à quel point l’on vit dans une société complexe, et combien il est difficile d’acquérir de l’autonomie dans ses choix de consommation et de mettre en harmonie ses convictions et ses comportements.


Les jeunes : cible privilégiée de la publicité


Aujourd’hui, pour être « cool », il faut posséder des choses. Pour être bien dans sa peau, pour être beau, intelligent, il faut acheter. Le message de base de toute publicité : consommez, vous serez plus heureux ! Le problème, c’est que plus on possède et plus on souhaite posséder. Consommer ne rend donc pas heureux.


La publicité s’insinue partout, tant dans la sphère privée que dans la sphère publique. Dans la sphère publique, certains services publics ont l’autorisation de recourir à la publicité pour compléter leur financement. C’est le cas de la RTBF, de La Poste, mais aussi des écoles. En effet, même si la pub est interdite dans les écoles, elle y entre de multiples façons. Ne pensons qu’à la présence de distributeurs de produits de marques connues dans certaines écoles ou aux activités qui sont proposées gratuitement aux écoles grâce au sponsoring.


La publicité incite les jeunes à adopter certains comportements, à porter certaines tenues, à posséder certains produits  pour montrer qu’ils sont jeunes et qu’ils ne sont pas comme leurs parents. Elle les incite aussi à se démarquer des enfants, à montrer qu’ils sont différents. C’est ce que l’on appelle les produits sur mesure. Quelques exemples. Les filles, en général, n’aiment pas trop l’alcool. On a donc mis sur le marché des bières sucrées. Pour les enfants, le Kidibull, sans alcool mais avec des bulles, leur permet de fêter leur anniversaire comme les adultes : de cette manière, les enfants apprennent déjà que « la vie est nulle sans bulle ». Pour les plus grands, on a inventé les alcopops, mélange de limonade et d’alcool.


Derrière la publicité, il y a le marketing, la science de la vente, secteur en pleine expansion, qui s’efforce d’innover sans cesse, pour s’adapter à l’évolution des techniques de communication.  Les cibles du marketing, ce sont aujourd’hui les enfants, dès le berceau, les tweens (8-12 ans) et les adolescents. Pourquoi sont-ils des cibles ? Parce qu’ils sont des prescripteurs d’achats, ils influencent les achats de leurs parents (à 12 ans, 91% des jeunes choisissent leurs fournitures scolaires). Ils sont aussi des futurs consommateurs à façonner.


Dès le plus jeune âge, l’enfant est visé par la publicité. Quand RTL diffuse Bob l’éponge, les séquences sont entrecoupées de messages publicitaires. L’enfant de 4 ans ne fait pas encore la distinction entre le programme de divertissement et la publicité, même si un message doit obligatoirement l’annoncer. Il ne sait pas encore lire, mais il identifie par contre facilement le coq Kellogs qui figure sur la boite de céréales et pourra le réclamer à sa maman quand ils passeront devant le rayon au magasin.


Les enfants et les jeunes influencent les loisirs de la famille, l’alimentation,  mais aussi l’achat d’électroménagers et de HiFi. Ce n’est pas pour rien qu’une publicité pour Belgacom TV met en scène un enfant et un parent. C’est l’enfant qui explique à son parent qu’il faut absolument acheter, que c’est quasi gratuit. Le parent passe pour ringard s’il ne suit pas l’avis de l’enfant.


Les techniques de marketing


Comment le marketing atteint-il les jeunes ? Via les médias tout d’abord, dont les principaux sont la télévision et internet. Certaines études montrent que, par semaine, un jeune entre 12 et 17 ans passe 14 heures devant la télé et 16 heures devant internet. Et cela peut être une consommation simultanée des deux, parce que les jeunes générations actuelles sont « multitâches ». L’ado d’aujourd’hui peut très bien regarder la télé, avec son PC sur les genoux qui lui permet de chatter sur MSN, tout en envoyant et recevant des sms sur son gsm. Pour les publicitaires, voilà de nombreux canaux pour atteindre leurs cibles.


Il y a aussi un marketing hors médias. Le street-marketing consiste à aller chercher les jeunes où ils sont, où ils sortent : dans les boites de nuit, dans les parcs d’attraction, etc. Un exemple concret, qui a suscité la polémique en 2010 : l’organisation du  Rallye Ricard (2) par un cercle étudiant à Mons. Le principe du rallye estudiantin est simple et efficace : pour 10 euros, un étudiant peut obtenir un tee-shirt à la marque Ricard reprenant le nom des sept cafés participants. A chaque café visité, l’étudiant est invité à consommer gratuitement un Ricard et à faire estampiller son T-Shirt. Celui-ci rempli, il peut accéder à la soirée organisée par le cercle. Non seulement la marque s’introduit par le sponsoring dans le monde des jeunes, mais il s’agit en plus dans ce cas d’une incitation à la consommation excessive d’alcool.


Autre astuce : introduire de la publicité là où on ne l’attend pas. Par exemple dans certains films comme les James Bond. La caméra s’attarde sur le seau à champagne et sur la maque de la bouteille de champagne. Le téléphone portable sonne et la caméra zoome sur la marque du téléphone. Etc. Ce sont 75 contrats publicitaires en moyenne qui sont conclus pour un film de James Bond, de l’aveu même de la société de production du film. Ce procédé, qui était jadis interdit en Europe, est aujourd’hui autorisé.


Il y a aussi le buzz marketing, dont le but est de faire parler d’un produit, comme par un bouche à oreille moderne, avant qu’il ne sorte. De manière à ce que tout le monde ait envie de l’acheter. Ainsi avec Harry Potter. Il faut être de ceux qui ont fait l’événement et on incite donc les personnes à aller acheter le livre à minuit. Beaucoup se prennent au jeu… sans s’interroger sur ce que cela apporte en plus. Si l’on veut que les choses évoluent, il faut au contraire favoriser les attitudes critiques des consommateurs et l’adoption de comportements qui lui apportent véritablement un plus.


Les jeunes sont également touchés par les promotions sur les lieux de vente, le sponsoring, mais aussi le marketing direct à leur adresse postale, à leur adresse mail ou via leur numéro de gsm.  Chaque jour, les jeunes sont exposés à des centaines de publicités, ce qui a pour effet de formater leur cerveau afin qu’ils consomment selon les intérêts des entreprises.


Plus de 90% des jeunes entre 14 et 17 ans sont des utilisateurs de Facebook. Ils y sont invités à communiquer des données personnelles, qui sont utilisées par Facebook pour permettre des publicités très ciblées. Facebook est réputé gratuit, mais c’est en fait une fausse gratuité puisque les jeunes paient en livrant des infos personnelles.


Internet n’a cependant pas que des inconvénients, puisqu’il permet aussi de devenir des « consomm’experts » ou des « consomm’acteurs ». On trouve en effet sur internet de nombreuses informations sur les produits que l’on veut acheter, sur les sociétés qui les commercialisent. On peut aussi utiliser Facebook pour faire pression sur les entreprises, pour diffuser de l’info sur des initiatives comme la « Journée sans achat (3) ». Internet donne également accès à l’information des associations de défense des consommateurs, qui sont des contrepouvoirs potentiels face au pouvoir de la publicité.


Il faut cependant noter que la seule analyse économique de l’offre ne suffit pas à résoudre toute la question. Les comparateurs de prix peuvent renseigner un maître achat, les sites futés peuvent indiquer où faire de bonnes affaires, il faudrait en premier lieu s’interroger sur l’opportunité d’un achat, en second lieu sur ce que cache le prix : les critères de production, de pollution, d’exploitation du travail des enfants, etc.


Le rôle des parents


Il est évident qu’il est essentiel d’éduquer les enfants à un esprit critique face aux sollicitations publicitaires permanentes. En tant que parent, on doit savoir que les enfants sont des cibles prioritaires de la publicité. A 10 ou à 13 ans, ils veulent être « cools » et la « cool-attitude » passe par la possession de certains biens de consommation. Mais le parent est lui-même une cible. Les publicitaires  jouent par exemple sur le sentiment d’insécurité des parents face à l’avenir de leurs enfants pour essayer de leur vendre un logiciel éducatif.


Les parents peuvent réagir de plusieurs manières.

 

  • Ils peuvent décider ensemble, lorsque cela est possible, de la manière d’aménager leur temps de travail afin d’assurer une présence aux côtés de leurs enfants après l’école ou pendant les congés scolaires.
  • Ils peuvent limiter l’intrusion des médias à l’intérieur de la famille (par des règles d’utilisation ou par le choix du type d’abonnement).
  • Ils peuvent réglementer l’accès à internet : sélectionner avec les enfants les jeux auxquels ils peuvent avoir accès, définir le temps qu’ils peuvent y passer, favoriser la présence d’un des parents aux côtés de l’enfant qui doit faire des recherches documentaires sur le net, etc.
  • Ils peuvent refuser ou retarder l’acquisition de gsm ou d’autres appareils par leurs enfants.
  • Les enfants sont aussi influencés par le comportement de leurs parents. Si ceux-ci préparent une liste d’achats avant de partir au magasin et s’y tiennent, on peut être sûr que cela influencera leurs comportements futurs.


Quels qu’ils soient, les choix des parents ne sont pas faciles. Il existe toujours une pression de la part des enfants : « Tous mes copains ont une console de jeux, un gsm ». Cela peut créer des conflits avec les enfants, cela peut aussi être l’occasion de discuter avec eux des choix posés, des valeurs que l’on veut privilégier… Les enfants sont capables de comprendre que la pub ne dit pas la vérité, qu’elle nous manipule. Mais dans une vie quotidienne souvent stressante, il est bien plus simple pour les parents de céder à la pression des enfants et de leur acheter ce qu’ils demandent.


Le rôle de l’école


C’est un des rôles de l’école d’éduquer les jeunes à devenir des consommateurs responsables et informés. Le Décret Missions (4) de 1997 demande à l’école et aux enseignants de former des citoyens et des consommateurs responsables. Cela passe évidemment par une meilleure compréhension du monde économique.


Que pensent les jeunes sur leurs besoins pour devenir autonomes face à la consommation, et comment pensent-ils que parents et école pouvaient les y aider ? Un petit sondage dans une classe de rhétorique met en avant les attentes ci-après (5).

 

  • « Avoir une bonne éducation dès l’enfance pour que les enfants aient de bons exemples autour d’eux et qu’ils ne croient pas n’importe quoi. »
  • « Il faudrait une certaine volonté : sens des responsabilités, se dire que les échecs peuvent être constructifs, faire face à la pression de certaines entreprises comme Nutella. »
  • « Pour atteindre cet objectif, de l’aide est nécessaire : les parents, des organismes comme le CRIOC, Test-Achats, les comparateurs de prix sur internet, etc. »
  • « Une diminution de la pub serait également bénéfique. »
  • « Les parents devraient être des exemples, apprendre à leurs enfants à faire des achats sans se laisser influencer par la pub omniprésente. Un bon moyen est de faire les courses en famille en expliquant ses choix aux enfants : pourquoi on n’achète pas telle marque, pourquoi on essaie de ne pas acheter des produits superflus, etc. »
  • « Pour éduquer les jeunes à la consommation, il est aussi judicieux de leur donner de l’argent de poche pour qu’ils apprennent la valeur de l’argent mais aussi la nécessité de gérer un budget. »
  • « Les parents peuvent aussi aider les enfants à interpréter les messages publicitaires, à se rendre compte que tout est fait dans certaines pubs pour cibler les jeunes. »
  • « Ils peuvent aussi apprendre aux enfants à être attentifs aux pièges du marketing. »
  • « Limiter la consommation des jeunes vis-à-vis de la télé et d’internet, sources d’une quantité de publicité. »
  • « L’école peut favoriser cette éducation par l’information dispensée dans certains cours, par des expositions ou des débats sur ces questions. »
  • « Elle peut aussi dispenser des formations à l’analyse des publicités : au-delà de ce que montre une publicité, que cherche-t-elle à faire passer comme message ? Cela permet de développer un esprit plus critique. »


Des pistes d’action pour les enseignants


Dans cet apprentissage de l’autonomie face à la consommation, les enseignants peuvent développer des actions dans différentes directions.

 

  • Tout enseignant, quelle que soit sa discipline, peut aider les élèves à prendre du recul et à développer un esprit critique. Quand on aborde une nouvelle matière, on peut essayer de faire le tour de ce que les élèves connaissent déjà sur cette question, voir ce qu’ils en pensent et ce qu’ils aimeraient apprendre. Cela les aide déjà à avoir une attitude active et critique plutôt que d’accepter n’importe quelle information.
  • L’initiation à l’utilisation de certains outils, comme le schéma heuristique (6) (ou mind map) permet d’apprendre à trier les informations et à prendre du recul par rapport à celles-ci.
  • Dans des secteurs plus précis, l’enseignant peut aussi aider les élèves à réfléchir aux risques des réseaux sociaux et des jeux en ligne. Certains jeux en ligne permettent par exemple de vivre une « vie virtuelle » dans laquelle on est confronté à des entreprises et à des marques de produits que l’on peut acheter. Même dans l’univers du jeu, on peut donc être exposé à une influence publicitaire.
  • Internet offre aussi de nombreux sites informatifs : lorsque l’enseignant ou un des élèves en découvre un, il peut le communiquer aux autres.
  • Participer à des activités dans lesquelles les élèves sont confrontés à des opinions différentes aide aussi les élèves à se forger un esprit critique, à réfléchir aux valeurs qu’ils veulent privilégier, au type de boulot qu’ils souhaiteraient en fonction de ces valeurs (pour gagner beaucoup d’argent ou pour développer leurs aspirations personnelles ?).


Des réactions juridiques


Face aux manÅ“uvres publicitaires, la prévention et l’éducation sont capitales. Mais il y a aussi tout un travail législatif, souvent porté par les associations de défense des consommateurs. Et ce travail est à recommencer sans cesse, car les techniques publicitaires s’adaptent et s’efforcent de contourner les réglementations. Il est par exemple interdit d’envoyer un message publicitaire sur le gsm de quelqu’un qui n’a pas marqué son accord pour le recevoir. C’est ainsi que sont nées les cartes boomerang. Un message publicitaire est présenté comme un gag et envoyé à une première personne qui a marqué son accord. Comme c’est amusant, on la convainc facilement de la transmettre à ses différents contacts. A partit de ce moment, l’émetteur commercial ne tombe plus sous le coup de l’interdiction, puisque ce sont des privés qui diffusent le message.


Pour lutter contre les publicités abusives, il faut parfois utiliser des moyens détournés. Exemple : un dancing qui offre la gratuité de l’alcool pour les filles. Quasi impossible de faire arrêter l’opération sur base d’une incitation à la consommation d’alcool. Par contre, on peut déposer plainte parce qu’il y a manifestement discrimination sur base du sexe, ce qui est interdit en Belgique.


De toute façon, la loi ne résout pas tout.  Il faut encore qu’il y ait une volonté de contrôler. La vente d’alcool aux moins de 18 ans est interdite en Belgique. Mais lorsque l’on fait des tests, on constate qu’il est toujours très facile pour des jeunes de moins de 18 ans d’arriver à acheter de l’alcool, alors que c’est interdit de leur en vendre.


Dans l’espoir de pouvoir encadrer et réguler les pratiques commerciales, y compris celles qui utilisent les nouveaux médias, le Parlement de la Communauté française a décidé à l’unanimité d’appuyer la création d’un Conseil fédéral de la publicité (7). Mais il devrait être du ressort du fédéral et les moyens ne sont pas faciles à dégager, ce qui ne fait guère avancer les choses.


En conclusion, éduquer à l’autonomie face à la consommation est un réel défi. Les parents seuls ne peuvent y arriver sans le soutien de l’école et de la société. En tant que parent, en tant qu’enseignant, il faut toujours continuer à s’informer. En tant qu’association familiale ou de défense des consommateurs, il faut suivre avec attention l’évolution des pratiques commerciales, toujours à l’affut pour contourner les réglementations et atteindre leurs objectifs.

 


(1) Texte rédigé par José Gérard (Couples et Familles) suite au Midi de la Parentalité organisé le 28 avril 2011 à Bruxelles et animé par Virginie Matthues, enseignante et Marc Vandercammen, directeur du Crioc.
(2) Voir le communiqué du Crioc suite à l’organisation du Rallye Ricard à Mons sur http://www.crioc.be/FR/doc/x/y/document-4899.html 
(3) Journée internationale organisée chaque année le dernier samedi de novembre. Aux USA, cette journée a lieu le dernier vendredi de novembre.
(4) Voir le texte du Décret Missions http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/21557_006.pdf
(5) Sondage réalisé dans la classe de sciences économiques de Madame Virginie Matthues.
(6) Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Carte_heuristique
(7) La création de ce Conseil est soutenue par différentes associations comme le Crioc, la Ligue des Familles et les Equipes Populaires.

 

 

 

 

Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants