Analyse 2010-15

La colocation à un succès de plus en plus grand, auprès des 20-30 ans essentiellement. Que révèle cet engouement ? Ce mouvement est-il porteur de solutions sociales d’avenir ?

 

Après ses études, Arnaud a d’abord occupé pendant un an un appartement avec un copain. Ils avaient fait leurs études ensemble et avaient été engagés tous les deux par le même centre de recherche, dépendant de l’université où ils avaient obtenu leur diplôme. Ce n’était plus vraiment un kot étudiant mais, le week-end, ils rentraient le plus souvent chez leurs parents. L’année suivante, il a bénéficié d’une place qui se libérait dans une maison en colocation. Il connaissait déjà celle qui en assurait le suivi. Puis celle-ci s’est mariée et a repris l’immeuble pour elle et son partenaire. Arnaud s’est alors tourné vers une grosse maison où des copains et copines vivaient eux aussi en colocation. La maison était spacieuse et confortable, elle venait d’être restaurée entièrement par le propriétaire. Sa contribution aux frais communs (loyer, charges et approvisionnements communs) lui coûtait presque moitié moins cher qu’un petit studio qu’il aurait loué en ville. Et ici, il avait un beau jardin, des dépendances pour les vélos ou autres matériels occasionnels, des pièces de séjour vastes et lumineuses. Tous les autres occupants étaient aussi de jeunes travailleurs. Après deux ans et le départ de l’un ou l’autre, il a acheté sa propre maison.
Christine, elle, travaillait déjà mais habitait encore chez sa maman. Dès que son boulot lui a permis d’envisager l’autonomie, elle a recherché une place dans une colocation, dans la ville universitaire où elle avait fait ses études. La maison était en bon état et les colocataires semblaient sympathiques. Elle était seule fille pour trois garçons et ils travaillaient tous les quatre. Elle a beaucoup aimé les premiers mois de cette vie commune, appréciant surtout l’autonomie et l’indépendance vis-à-vis de sa maman, ce qui devenait un besoin pour elle à l’approche de la trentaine. Après plusieurs mois pourtant, elle s’est rendue compte que la conception de la vie commune n’était pas exactement la même pour elle et ses colocataires. Bien que travailleurs eux aussi, ils menaient une vie qui s’apparentait de plus en plus souvent à celle d’étudiants en guindaille et les tâches de la vie quotidienne étaient rarement assurées. En plus du bruit fréquent le soir et la nuit, elle devait souffrir une cuisine rarement rangée, des communs sales et mal entretenus. Après une année, elle a préféré retourner chez sa mère en attendant de trouver mieux. Elle sait aussi qu’une location complète d’un appartement mangerait près de la moitié de ses revenus actuels. Comment payer alors les autres factures ?
Ces deux expériences illustrent un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur. Venu des pays anglo-saxons et présent d’abord dans des grandes villes comme Londres ou Paris, où les coûts des loyers sont exorbitants, il s’est ensuite répandu dans les autres pays. En Belgique, après Bruxelles, le phénomène touche les autres villes et concerne de plus en plus de monde. Selon la dernière enquête du CRIOC[i], 4 consommateurs sur 100 la pratiquent. Le nombre moyen de colocataires est de 4 et la colocation est surtout pratiquée par les plus jeunes, de la tranche d’âge des 20-30 ans.
 
Une solution économique

Lorsque l’on interroge les personnes qui vivent en colocation, une grande majorité insiste tout d’abord sur l’avantage financier que cela représente. Quand il semble difficile de trouver en ville aujourd’hui un petit studio à moins de 500 €, les colocataires économisent en général un tiers de cette somme, pour disposer d’un espace privé plus grand et de communs plus agréables et confortables. En outre, cela permet souvent aussi un équipement plus abondant et de meilleure qualité, puisqu’on a la place et qu’on en partage les frais. Dans son enquête, le CRIOC révèle que pour 2 consommateurs sur 3, la colocation est d’abord une bonne solution pour avoir un logement moins cher et plus confortable. L’augmentation des prix de l’immobilier ces dernières années a en effet rendu difficile pour beaucoup de jeunes travailleurs l’accession à un logement satisfaisant, sauf quand ils vivent en couple et peuvent donc partager le loyer en deux. Ils ont donc trouvé cette solution alternative.
Cette formule de la colocation se décline d’ailleurs selon des formules variées. La tranche d’âge des 18-29 se rencontre surtout (71%) dans les formules où on partage les frais et une partie de la vie quotidienne, et où le colocataire est un ami proche, qu’on voit aussi en dehors du logement. Cette formule représente environ 46% du nombre actuel des colocations en Belgique. 40% sont des colocations où on ne partage que les frais et les 22% restants sont des colocations où on partage les frais et une partie de la vie quotidienne (manger ensemble, discuter, etc.).
 
Une recherche de vivre ensemble

Ceux qui s’engagent dans ce type de solution ont aussi d’autres motivations que l’économie financière. 43% des personnes interrogées disent que c’est pour eux un bon moyen pour se faire des amis ou de nouvelles connaissances et 30% trouvent que c’est un mode de vie original et attirant. Il est vrai que la formule est aujourd’hui ‘tendance’. Cette recherche de vie commune est certainement caractéristique de la tranche d’âge des 20-30 ans. Pour ceux qui ne se voient pas jouer les ’Tanguy’ chez papa et maman pendant de longues années, la vie en solitaire apparaît parfois comme difficile à envisager après une vie d’étudiants passée entre copains. La formule permet aussi un apprentissage de la vie commune, un peu plus proche de la réalité que lorsque l’on vit en ‘kot’. Plus question de vider le frigo familial en rentrant le lundi matin, de laisser sa lessive dans la manne familiale et de se désintéresser totalement de la consommation électrique ou des petites réparations que demande tout logement. Il faut aussi apprendre à combiner au quotidien des horaires et des tempéraments différents, prendre des décisions communes, se répartir les tâches, etc.
On peut aussi se demander si cette formule de la colocation n’est pas une utile transition entre la vie de famille ou de kot et la vie de couple. On fait en effet remarquer que la recherche d’autonomie des plus jeunes leur fait souvent reculer, par rapport aux générations précédentes, le moment où ils s’installent véritablement en couple. Nombreux sont les jeunes de la catégorie 20-30 ans qui entretiennent des relations de couple tout en vivant chacun de leur côté. Le pas semble parfois difficile à franchir et cette vie en autonomie mais tout en apprenant les contrariétés de la vie commune, avec des personnes dont on n’est pas amoureux, peut être une étape utile vers la vie de couple. C’est d’ailleurs souvent au moment où ils se sentent prêts à faire le pas que les colocataires quittent le logement partagé.

Il serait intéressant d’étudier un jour si les colocataires de 30 ans se retrouvent plus tard dans une autre formule nouvelle qui se développe aujourd’hui : l’habitat groupé. En effet, s’il concerne surtout des familles avec enfants et postule presque automatiquement que l’on soit propriétaire du bien, l’habitat groupé est lui aussi une formule qui permet des économies et qui préserve l’autonomie tout en misant sur une certaines solidarité, par la mise en commun de services ou d’infrastructures par exemple.
 
Risques et dangers

Evidemment, comme tout mode de vie, celui-ci ne présente pas que des avantages. Les risques et les dangers sont surtout de deux ordres, qui rejoignent les deux motivations principales des candidats à la colocation : des difficultés dans la vie commune et des problèmes juridiques et financiers.Il n’existe pas de formule officielle pour la conclusion d’un bail de location à plusieurs. Si tous les colocataires ont signé le bail, ils sont donc solidairement responsables de son exécution. Parfois, le propriétaire perçoit sa part de loyer auprès de chacun, mais le plus souvent, il attend un paiement global. Il faut donc se prémunir des mauvais payeurs et des fauchés récurrents. Par ailleurs, lorsque l’un des participants souhaite quitter la colocation, il doit aussi le faire en accord avec les autres locataires, en faisant éventuellement noter un avenant au contrat de bail, sous peine de devoir continuer à s’acquitter de sa part. D’autres situations se présentent parfois, quand une personne s’est engagée seule et sous-loue en quelque sorte une ou plusieurs chambres à des colocataires. Si les colocataires en question disparaissent dans la nature sans payer ou s’il devient difficile de trouver des remplaçants, la personne qui s’est engagée sera légalement seule responsable et la solution économique qu’elle envisageait risque bien de devenir très coûteuse.Autre difficulté souvent rencontrée, dans le cas de personnes émargeant aux indemnités de chômage. En recourant un appartement partagé pour essayer de diminuer ses frais, le chômeur risque fort d’être considéré comme un cohabitant et de voir ses indemnités sérieusement amputées. La personne concernée devra donc être vigilante et prendre contact avec les services compétents pour démontrer qu’il ne s’agit pas d’une cohabitation au sens habituel du terme.
Mais le défi le plus important à relever se situe sans doute au niveau relationnel. A défaut de se mettre clairement d’accord sur des règles de vie en communauté, l’expérience risque de tourner court. Il faut savoir comment l’on fait pour les repas, pour les courses, pour l’accueil des petit(e)s ami(e)s pour les repas ou pour la nuit, quelle tolérance on se donne vis-à-vis du bruit, quelles règles d’intimité on veut adopter, comment on fonctionne pour l’entretien, si l’on souhaite partager tous les repas ou l’un ou l’autre seulement, etc. Bref, tous les aspects de la vie quotidienne qu’il faut aussi gérer, par exemple, dans les familles, en particulier quand il y a de grands ados très jaloux de leur indépendance mais désireux de bénéficier de l’intendance commune. De ce point de vue, les expériences de colocation constituent peut-être une chance pour la préparation à la vie de couple et de famille. Elles permettent de se confronter très concrètement à tout ce qu’une vie commune implique, tout en évitant trop d’interférences avec les sentiments amoureux. Ces expériences pourraient aussi constituer des apprentissages de modes de vie plus collectifs et, par cet aspect, être des germes de liens sociaux d’un type nouveau, correspondant à l’environnement culturel de l’époque. « La pratique de la colocation permet d’envisager le rôle de collectifs de pairs dans la construction de la jeunesse là où souvent, seules les solidarités familiales ou étatiques sont mobilisées ou considérées comme possibles.[ii] » Pour que la colocation puisse jouer ce rôle social novateur, il faudrait pourvoir répondre à un certain nombre de difficultés rencontrées aujourd’hui :

  • mettre au point des solutions juridiques pour un bail spécifique, garantissant à la fois les intérêts du propriétaire et des différents partenaires de la colocation ;
  • préciser la législation sur les cohabitants pour les allocataires sociaux, afin d’éviter que cette solution économe ne se retourne contre eux ;
  • imaginer des formules où les pouvoirs publics (via les sociétés de logement social par exemple) soient partenaires, afin d’ouvrir la formule à un public moins favorisé que celui qui y a généralement recours aujourd’hui.

A ces conditions, le système de la colocation pourra être à la fois une réponse à la crise du logement et un laboratoire de nouveaux liens sociaux. Malheureusement, aujourd’hui, l’offre ne suffit pas à répondre à la demande et seulement 3 demandes sur 4 sont aujourd’hui rencontrées. Le secteur est donc ouvert[iii].   

 



[i] La colocation,  CRIOC, novembre 2010.

[ii] Les jeunes et le logement. Etude de quelques pratiques de colocation en France, Annick Delorme, Université de Lille 3.

[iii] Analyse rédigée par José Gérard

 

 

 

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