Analyse 2010-11

A un an d’intervalle, des déclarations du pape Benoît XVI à propos du préservatif ont été fortement médiatisées. Le Vatican aurait-il changé de position ? Et, si oui, qu’est-ce que cela change dans la pratique ? Selon la tendance qu’ils représentent, les commentateurs ont des opinions parfois très contrastées.


Le préservatif n’est pas une solution !


En mars 2009, répondant aux questions de journalistes à bord de l’avion qui le conduisait à Yaoundé, capitale du Cameroun, Benoît XVI avait déclaré que l'on ne pouvait « pas régler le problème du sida », pandémie aux effets dévastateurs en Afrique, « avec la distribution de préservatifs ». Il avait même été jusqu’à dire que, « au contraire (leur) utilisation aggrave le problème ».Ces déclarations avaient provoqué des réactions virulentes des milieux sanitaires, des associations de lutte contre le sida, mais aussi des milieux culturels et politiques. En Belgique, Catherine Fonck (CDH), ministre de la Santé en Communauté française et responsable à ce titre de la politique de prévention, a qualifié les propos du pape Benoît XVI de « dangereux et irresponsables ». Le député André Flahaut (PS) a souhaité que la Belgique rappelle son ambassadeur auprès du Saint-Siège. Même la Chambre des Représentants a adopté une résolution qualifiant d' inacceptables les propos du Pape sur l'utilisation du préservatif. Cette résolution, qui demandait au gouvernement belge de protester par la voie officielle et diplomatique auprès du Vatican, faisait de la Belgique le premier pays à protester officiellement aux propos de Benoît XVI.   Il ne s’agissait pas tellement d’une opposition à des opinions d’ordre moral, ce qui est la liberté de chacun, mais d’une réaction face aux conséquences possibles de telles déclarations dans le continent africain, où la parole de l’Eglise catholique garde un poids considérable. Cela risque en effet de ruiner les efforts déployés sur le terrain par ceux qui s’efforcent d’amener les personnes à se protéger et à protéger les autres contre les risques de contamination par le virus. S’ensuivirent bien entendu mises au point, précisions et polémiques, comme souvent en pareil cas. Les uns accusaient la presse d’avoir isolé les propos de leur contexte, les autres arguaient du fait que les questions avaient été préalablement soumises au Vatican et que le pape avait donc préparé ses propos.


Revirement ?


En novembre 2010, Benoit XVI faisait à nouveau parler de lui pour des propos tenus au sujet  du préservatif. Ses paroles étaient cette fois tirées d’un ouvrage d’entretiens avec le journaliste Peter Seewald : « Lumière du Monde[i] », édité en français par les éditions Bayard fin novembre 2010. On peut y lire : « Il peut y avoir des cas particuliers, par exemple lorsqu’un prostitué utilise un préservatif, dans la mesure où cela peut être un premier pas vers une moralisation, un premier élément de responsabilité permettant de développer à nouveau une conscience du fait que tout n’est pas permis et que l’on ne peut pas faire tout ce que l’on veut. Mais ce n’est pas la véritable manière de répondre au mal que constitue l’infection par le virus VIH. La bonne réponse réside forcément dans l’humanisation de la sexualité ».
Les propos provoquèrent de nouveau de nombreuses réactions en sens très divers, attestant par là que le sujet reste sensible.
Pour certains, ces propos du pape sont le signe d’un pas important dans la bonne direction. Ainsi, Michel Sibidé, directeur du programme Onusida, les a qualifiés de « pas en avant significatif et positif. Cette avancée reconnaît qu’un comportement sexuel responsable et l’usage du préservatif ont un rôle important dans la prévention du VIH-sida ». D’autres, tout en reconnaissant une certaine inflexion dans les paroles du pape, font remarquer qu’il est encore bien loin de reconnaître les méfaits provoqués par la position de l’Eglise sur la propagation du virus. C’est le cas, par exemple, d’Act-up Paris, une association issue de la communauté homosexuelle, mais qui défend toutes les personnes concernées par le Sida. Dans son communiqué du 20 novembre, elle dit ceci : « L’exemple qu’il prend de l ’« homme prostitué » reste cependant, très limité. Si le pape veut vraiment lutter contre l’épidémie, il faut qu’il aille beaucoup plus loin, Il faut qu’il reconnaisse que les politiques d’abstinence et de fidélité sont des échecs et sont directement responsables de la mort et de la contamination de centaines de milliers de personnes. Mis en place sous l’influence de la morale religieuse, ces politiques d’abstinence ont détourné les gouvernements de véritables programmes de prévention. Moins de 20% de la population mondiale a aujourd’hui accès au préservatif alors même que l’épidémie du sida touche plus de 40 millions de personnes et qu’elle continue de s’étendre dramatiquement »[ii].


A l’opposé, certains se sont aussi ingéniés à démontrer que rien n’avait changé dans les positions radicales du Vatican. Les représentants des courants les plus traditionnels, que ce soit au sein de la Curie romaine ou ailleurs, ont défendu l’idée que rien n’avait changé au niveau doctrinal. Ces commentateurs relèvent le fait que dans le cas évoqué par Benoît XVI, il s’agit d’un prostitué, qui est de toute façon dans une situation grave de péché, d’une part parce qu’il se prostitue, mais en plus parce qu’il entretient des relations sexuelles avec un autre homme. Il s’agirait donc seulement ici d’un échelon « moins grave » dans l’échelle de l’immoralité, et pas du tout d’une quelconque licéité de l’usage du préservatif.


Quelles conséquences ?


Quoi qu’il en soit, même si l’exemple pris par Benoit XVI est un cas très particulier, c’est la première fois qu’un pape évoque des cas particuliers dans le cadre de ce débat. Bien sûr, de nombreux prêtres le font régulièrement, certains évêques plus indépendants se le permettent et la majorité des catholiques ne se préoccupe guère de la position vaticane à ce sujet. Monseigneur Gaillot, évêque franc-tireur déjà crossé dans le passé et démis de sa charge, ne se prive pas pour l’affirmer et même le très diplomate Mgr Danneels, alors encore archevêque de Malines-Bruxelles, affirmait qu’à son sens l’usage du préservatif pouvait se justifier dans la mesure où, dans certaines situations, il s’agissait d’un choix du moindre mal. Mais on peut se rappeler qu’en 2005, lorsque le P. Juan Antonio Martinez Camino, secrétaire général et porte-parole de la conférence épiscopale espagnole, avait déclaré à l’occasion d’une rencontre avec la ministre de la Santé,  Elena Segado, que « le préservatif avait sa place dans le contexte de la prévention intégrale et globale du sida », position que partagent de nombreux catholiques de par le monde, l’information s’était diffusée à la vitesse de l’éclair et avait obligé la conférence épiscopale espagnole à se réunir d’urgence et à réaffirmer publiquement « le caractère immoral du préservatif et son attachement aux seules vertus préventives de la fidélité et de l’abstinence ». En 5 ans, on peut donc dire malgré tout que les choses ont un petit peu changé.


Même timide, cette ouverture devrait donc avoir des conséquences positives. D’une part vis-à-vis des personnes qui travaillent sur le terrain et qui se réclament de l’inspiration ou d’institutions catholiques. Il s’agit tout de même d’une sorte de caution de l’action de toutes ces personnes qui ne sont confrontées qu’à des cas particuliers et se préoccupent assez peu de casuistique et de morale fondamentale. Mais cette petite phrase devrait aussi avoir une influence sur la réflexion plus fondamentale au sein de l’Eglise catholique. Admettre qu’il existe des cas particuliers, diront certains, ne change rien. Il s’agit pour eux seulement d’évaluer le degré de culpabilité de ceux qui ne respectent pas une norme absolue. Pour d’autres au contraire, cela remet en cause les fondements même de la réflexion morale catholique officielle.


Certaines rumeurs prêtaient depuis quelques années à Benoît XVI l’intention d’assouplir la doctrine officielle concernant ce point particulier de morale sexuelle qu’est l’usage du préservatif. Il s’agirait en fait d’une remise en cause de l’ensemble de l’approche de la contraception et donc, plus fondamentalement, de la vision de la sexualité. Si c’est effectivement son intention, le faire par le biais d’un texte doctrinal serait sans doute un peu trop violent. Il suffit pour s’en convaincre de voir l’énergie mise par les courants traditionnels à démontrer que rien n’avait changé. En faisant une (timide certes) ouverture au moyen d’une petite phrase dans un livre d’entretiens, Benoît XVI fait peut-être le petit pas qui lui était possible aujourd’hui. C’est en tout cas ce que l’on peut espérer[iii].

    



[i] Lumière du Monde, Benoît XVI, Bayard Centurion, coll. Etudes et Essais, 2010 , 300 p.

[iii] Cette analyse a été rédigée par José Gérard.

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