Analyse 2010-05

L’école communale de Lauzelle, à Louvain-La-Neuve, expérimente, depuis 1990, la gestion participative avec les enfants. Des Conseils de classe, d’école et des profs ont été instaurés. Ils donnent la parole aux enfants et les aident dans la gestion des problèmes rencontrés dans la vie collective. Dans cette école, la liberté de parole entraîne à la fois confiance et fierté. Une expérience dont on peut tirer des leçons.


Directeur de Lauzelle pendant de nombreuses années, Alain Desmarets insiste sur la nécessité d’instaurer des rites et des lieux de paroles dans les écoles. A l’école communale de Lauzelle, les adultes – instituteurs, surveillants, dames de ménage, directeur – sont invités à s’investir dans une dynamique de parole. Un système qui demande beaucoup d’énergie et d’investissement mais qui apporte une paix, une confiance, une sécurité et une sérénité dans les rapports avec les enfants. A l’école de Lauzelle, on accorde une grande importance à la gestion du temps, de l’espace et des métiers.


Sans lois et interdits, la cour de récréation peut être d’une violence extrême


Depuis sa création, un travail de réflexion a été effectué à l’école de Lauzelle. Différents lieux de parole ont été installés dans l’école et des structures ont été créées : le coin salon, les conseils de classe, le conseil d’école, etc. Elèves et enseignants viennent y déposer les problèmes qu’ils n’arrivent pas à résoudre seuls. Premier lieu qui a retenu l’attention de l’équipe enseignante : la cour de récréation. « C’est là que tout se joue », explique Alain Desmarets. « C’est un endroit où les rapports entre enfants s’installent et se construisent en dehors de la surveillance des adultes. La cour de récréation peut être d’une violence extrême. Les enfants sont parfois très cruels entre eux. » Des limites, des lois et des interdits ont donc été définis. « Différentes règles ont été établies. Nous avons mis au point une gestion collective de tous les drames, de tous les bouleversements et de tout ce qui pouvait se passer dans une cour de récréation. Lorsque nous voyons un enfant pleurer, plutôt que de chercher qui est le coupable, on le prend dans nos bras et on lui demande ce qui lui ferait du bien. C’est une phrase un peu bateau qui nous a pourtant permis d’avoir une attitude commune par rapport à la colère ou à la souffrance des enfants. » Il est donc très important de laisser la possibilité à l’enfant d’exprimer ce dont il a besoin, mais il est également primordial d’intervenir. « En cas de conflit, les enfants doivent savoir que les adultes ne vont pas laisser faire », explique Alain Desmarets. « Il y a toujours deux surveillants dans la cour durant les récréations. Chacun d’entre eux porte un brassard fluorescent. De cette manière et en cas de problème, l’enfant peut immédiatement identifier l’adulte référent. »  Tout ce travail de cour de récréation a installé un confort de vie fort intéressant. Il apporte calme, confiance et sérénité.


Le coin salon : tampon entre la récréation et la mise au travail


Le coin salon est un endroit de parole qui sert de tampon avant la mise au travail. L’institutrice s’y rend avec ses élèves à chaque fois qu’ils rentrent en classe. « Il est nécessaire d’avoir un temps d’adaptation entre la récréation et la reprise du travail », fait remarquer Alain Desmarets. Le coin salon est donc un espace qui se situe entre les moments de défoulement et de concentration. C’est un endroit « cosy » dans lequel on trouve des banquettes, des bancs, des coussins et des livres. Cet espace est associé à différents rituels tels que le « bâton de parole » ou le « quoi de neuf ». « Le bâton symbolise le micro. Lorsqu’un enfant l’a en main, il peut parler. Chaque enfant a ainsi la possibilité de s’exprimer. Quand on lui a donné le bâton, l’enfant a le droit de raconter trois choses différentes. » Dans certaines classes, les instituteurs ont recours à des sabliers. « La gestion du temps est importante. En voyant le sablier s’écouler, les enfants ont conscience qu’ils ont un temps de parole limité et ils réduisent ainsi leurs extrapolations pour arriver plus vite aux faits. » Le rite est excessivement important pour les enfants. Il leur apporte une certaine sécurité. Ils savent que dans l’école, il y a quelque chose de commun.


Exprimer ses émotions lors du conseil de classe


Un autre lieu de parole : les conseils de classe hebdomadaires. En maternelle, ils ont lieu deux fois par semaine. Objectif du conseil de classe ? Régler les problèmes et, de façon plus générale, s’exprimer. Le conseil de classe est l’endroit où les élèves peuvent exprimer leurs émotions – « je suis triste », « je suis fâché », « j’ai peur » – mais c’est également l’espace où l’on peut proposer des projets. Chez les plus petits, c’est le titulaire qui anime le conseil de classe. Chez les plus grands, les enfants l’animent eux-mêmes à tour de rôle. « Il y a un président de séance et un ou deux secrétaires », explique Alain Desmarets. « Lorsqu’une décision est prise, le président de séance reformule ce qui a été dit pour que le secrétaire sache exactement ce qu’il doit noter dans son rapport. » Ce statut de « président de séance » est très intéressant. Il donne à l’enfant l’envie de grandir, de prendre des risques et d’assumer des responsabilités dans un cadre précis et selon un rituel explicite.


La parole prend du poids avec le conseil d’école


Le conseil d’école permet, quant à lui, de régler tout ce qui n’a pas pu être réglé en classe. Il est également hebdomadaire et est préparé en classe. « Un rapport est rédigé au sein de chaque classe», relate Alain Desmarets. « Ce rapport est extrêmement important. C’est lui qui donne du poids à la parole. » Deux élèves de chaque classe viennent ensuite, avec le rapport, participer au conseil d’école, animé par le directeur. A quoi sert le conseil d’école ? A plusieurs choses. Tout d’abord, il permet aux élèves de formuler des demandes à un instituteur, à un autre élève, à une classe, etc. « Il faut savoir que la réponse aux demandes est obligatoire », insiste Alain Desmarets. « C’est un minimum. A partir du moment où quelqu’un a le courage et la force de faire une demande à quelqu’un d’autre, il est primordial de recevoir une réponse. » C’est également au conseil d’école que l’on fait part des rappels, des conseils, des informations, des félicitations, des excuses et des remerciements. « Je remercie Gaëlle d’avoir passé son temps de midi avec moi. » Le conseil d’école dure trente minutes et se tient chaque vendredi. Le directeur rédige ensuite un rapport qui est diffusé à l’ensemble de l’école, le lundi au plus tard. « Le rapport est terriblement important », commente Alain Desmarets. Grâce à ce rapport, il y a une forme de diffusion de la parole et de distribution de cette parole. Les élèves prennent conscience que tout se sait et la parole prend ainsi tout son sens et toute sa force. « Le conseil est une véritable garantie pour les enfants. Ils savent qu’ils peuvent déposer leur parole à endroit précis et qu’elle sera entendue. Et ils peuvent donc affronter les autres enfants en se disant que si ça tourne mal, le conseil pourra les aider. » Cette garantie apporte la sérénité et donne aux enfants l’envie de grandir.


Le conseil des profs, une décharge organisée


Si la parole doit être donnée aux enfants, elle doit aussi être donnée aux adultes. « Le conseil des profs est un peu comme une décharge organisée. », compare Alain Desmarets. « Heureusement qu’il existe. Car sans lui, les instits videraient leurs « poubelles » n’importe où, et souvent pas au bon endroit. Il est important d’avoir un lieu précis pour régler ses problèmes. »


En conclusion


Cette expérience particulière illustre combien l’apprentissage des rapports sociaux par les enfants demande la mise en place d’un cadre garanti par les adultes. Sans ce cadre, qui comprend ici les rituels de prise de parole, les rapports peuvent être d’une extrême violence.En outre, l’exercice de la citoyenneté passe par l’apprentissage de la prise de parole, ainsi que par la gestion commune des projets et des difficultés. Une vision somme toute fort différente des discours caricaturaux qui appellent parfois au retour à une discipline du passé, où la parole était réservée aux adultes et où les enfants avaient à y répondre.

 

 


 

(1) Texte rédigé par Isabelle Bontridder (Couples et Familles), au départ de la rencontre-débat animée par Alain Desmarets, directeur d’école. Cette rencontre a eu lieu  dans le cadre des Midis de la Famille organisés par l’échevinat de la Famille de la commune d’Ixelles, en partenariat avec diverses associations, dont Couples et Familles.
(2) Voir présentation du projet d’établissement sur http://www.lozl.be/ecole/presentation/PE_2009.pdf

 

 

 

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