Analyse 2010-01

La maladie d’Alzheimer touche des personnes de plus en plus nombreuses. Cela pose de grandes difficultés aux familles pour la prise en charge quotidienne, mais cela ébranle également les liens affectifs qui les unissent au malade. Quelles pistes pour les familles ?

 


Selon les estimations, 75 à 85.000 personnes en Belgique seraient atteintes par la maladie d’Alzheimer. Des chiffres approximatifs puisque tous les cas ne sont pas diagnostiqués et que d’autres types de démence peuvent se manifester, aux des effets comparables. On estime en effet que les démences de type Alzheimer ne constituent qu’environ 50% des démences liées au grand âge. De plus, parallèlement à l’augmentation de l’espérance de vie, le nombre de nouveaux cas qui apparaissent chaque année est en progression exponentielle.


La maladie ébranle les liens familiaux


Avant d’être une question de chiffres ou un problème de santé publique, la maladie est une épreuve et elle ébranle les malades et ses proches. Le papa, la maman ou le conjoint oublie des événements récents, une conversation que l’on vient d’avoir, quel livre il vient de lire. Il oublie de prendre un repas, qu’il vient parfois de préparer. Certains malades connaissent aussi des troubles du langage, oublient des mots simples ou les utilisent dans un sens qu’ils n’ont pas, ce qui rend la communication difficile. Le malade peut se perdre dans son propre quartier, voire ne pas retrouver sa maison. Il peut ranger son portefeuille au réfrigérateur ou cacher son argent par précaution et ne plus se souvenir de l’endroit. Le malade Alzheimer n’a plus de goût pour aucun activité, même très quotidienne, comme s’habiller ou se laver. Il peut aussi devenir méfiant et soupçonneux vis-à-vis de son entourage, d’autant plus qu’il lui arrive de ne pas reconnaître ses proches. Toutes ces caractéristiques de la maladie d’Alzheimer rendent la vie des proches difficile.


En outre, au début en tout cas, le malade est conscient de son état, ce qui le rend anxieux, dépressif ou agressif. La relation devient difficile : non seulement l’aidant proche doit prendre en charge de plus en plus de tâches, veiller à de nombreux aspects de la vie quotidienne, aider le malade dans des activités simples (les courses, la toilette, la gestion administrative, la cuisine, etc.) mais le lien avec la personne aimée semble s’effilocher. Que reste-t-il du lien affectif, du lien familial lorsque l’autre est atteint d’une forme de démence ? « Qu’est-ce qui se passe dans sa tête ? Est-il au moins conscient de qui je suis ? Et lui, où est-il vraiment ? », se demandent souvent les proches.

 

Que peut-on faire ?


Que faire devant ce proche qui oublie des informations que l’on s’est partagées il y a quelques minutes, qui ne parvient plus à suivre la conversation, qui ne s’inquiète pas alors qu’on lui a répété plusieurs fois qu’un de ses enfants venait de subir un intervention chirurgicale délicate ? Que faire devant ce proche qui oublie qu’on a rendez-vous chez le médecin, qui a même oublié qu’il est encore marié ou que son conjoint est décédé ? C’est d’autant plus troublant que, dans bien des cas, la personne atteinte par la maladie d’Alzheimer reste en assez bonne forme physique, capable en tout cas d’assumer pas mal d’activités de la vie quotidienne, mais il n’y pense pas, oublie, ou n’en a pas le goût.


Plusieurs attitudes sont possibles. Certains s’efforcent de stimuler au maximum le malade et mettent en place toutes les stratégies possibles pour contrer les effets de la maladie. Il peut s’agit de stimulations (lui proposer des activités mentales comme jouer aux cartes ou faire des mots croisés) ou du renforcement de l’encadrement (les aide-mémoire, calendriers, rappels, etc.). C’est toujours utile mais cela ne fait jamais au mieux que ralentir la progression de la maladie. D’autres prennent une certaine distance. C’est une attitude courante : on n’implique plus la personne dans la conversation jusqu’à parler d’elle parfois comme si elle n’était pas là, on lui cache les événements difficiles comme la mort d’un parent, on prend des décisions qui la concernent sans lui en parler, etc. Une autre manière de prendre distance est de considérer la personne pour ce qu’elle était dans le passé. Nadine Bosman, psychologue dans une résidence pour personnes désorientées, confie qu’elle entend souvent cette phrase, prononcée en présence du malade : « Vous savez, c’était quelqu’un de bien ». « Cela veut-il dire que ce n’est plus quelqu’un de bien à leurs yeux ? Comment le malade entend-il ce message ? »


Miser sur la relation


L’important est sans doute de s’efforcer de continuer à considérer le malade comme un partenaire de la relation. Pour Nadine Bosman, « à ceux qui lui disent: "tu as été’, la personne démente, jusqu’à son dernier souffle, s’obstine à répondre ‘je suis là’. Pour rencontrer cette présence, il faut décider de s’asseoir près d’elle, qui regarde un monde qui ne la regarde peut-être déjà plus. Comprendre que le problème se trouve autant du côté des personnes démentes que de celles qui ne le sont pas ou pas encore. Cette rencontre nous renvoie à notre fragilité, à nos propres pertes, et au chemin inéluctable qui nous conduit de la présence à la non présence, de la vie à la mort » (1).


Des pistes pour se faire aider


Sur ce chemin difficile, les familles se sentent parfois bien seules et démunies. Des initiatives existent pourtant. Certaines associations (2) viennent en aide à l’entourage et proposent de l’information, des rencontres, des services.


Ainsi, pour ceux qui ont choisi de garder le malade au domicile, « Baluchon Alzheimer » (3) propose un service original. Ceux qui prennent soin à domicile d’un proche atteint de la maladie d’Alzheimer le savent, cela demande souvent un investissement important. Pour tenir le coup, il est indispensable de pouvoir parfois se reposer, s’occuper un peu de soi, s’accorder un moment de répit… Baluchon Alzheimer a été créé pour répondre aux besoins de ces personnes. Pendant que le conjoint ou l’enfant du malade s’accorde une ou deux semaines de repos, une personne vient s’installer à domicile pour assurer une présence et les soins nécessaires, sans que le malade doive quitter son environnement familier. Hormis quelques cas d’urgence, comme une hospitalisation inattendue, l’association arrive à répondre à la plupart des demandes.


Madeleine, 60 ans, est baluchonneuse depuis 5 ans. Elle a quitté son travail d’infirmière dans une maison de repos parce qu’elle estimait ne pas pouvoir consacrer assez de temps à la relation avec les résidents. Un semaine par mois en moyenne, elle s’installe chez un personne atteinte de la maladie, avec son baluchon... Elle ne regrette pas son choix.


« Les proches sont parfois inquiets quand ils prennent contact avec nous. Ils ont peur que cela bouleverse les habitudes. Mais la plupart du temps, cela se passe bien. En effet, nous avons un contact beaucoup plus détendu avec les malades. Les familles sont souvent usées, à bout de nerfs, fatiguées de l’attention de tous les instants, marquées par la dégradation qu’elles constatent, les pertes successives. Nous arrivons à neuf. Nous n’avons pas connu la personne quand elle était en bonne santé et donc nous ne faisons pas la comparaison. Nous arrivons souriantes, douces et accueillantes. Nous pouvons nous permettre d’être plus souples et nous prenons intérêt à écouter les souvenirs lointains que les proches ont déjà entendu cent fois. »


Le travail des baluchonneuses est parfois rude. Les nuits ne sont pas toujours reposantes et certains malades réagissent de manière plus agressive. Mais cela permet au proche de reconstituer une provision d’énergie pour continuer d’accompagner son parent ou son conjoint. Et pour la baluchonneuse, cela crée des liens humains qui deviennent parfois amicaux. Il n’est pas rare que l’accompagnant familial reprenne contact par la suite pour échanger quelques mots, prendre conseil, faire état de l’évolution de la maladie… La présence d’une baluchonneuse, c’est un ballon d’oxygène, tant pour le malade que pour la famille.


Des unités spécialisées, ou cantous, se créent aussi un peu partout dans les maisons de repos. Mais les proches s’entendent souvent dire qu’il n’y a pas de place en ce moment... L’objectif du cantou est d’héberger des personnes désorientées mais valides pour qu’elles retrouvent une cellule de type communautaire, une vie avec ses activités familiales ; ce qui ralentit la maladie, stimule la mobilité, et ce grâce à l’implication dans une vie de groupe. L’important est de sécuriser les personnes avec des horaires fixes et un cadre organisationnel précis. Cela permet de freiner la maladie.


Pour l’avenir


Face à l’augmentation importante du nombre de personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer, plusieurs pistes politiques pourraient aider les familles.


Le développement des équipements résidentiels est une première piste importante et urgente. Il y a bien sûr les maisons de repos et les unités spécialisées (cantous), mais d’autres formes d’habitat plus ou moins encadré sont envisageables, les personnes restant parfois en bonne forme physique.


Il faudrait aussi développer les aides auxquelles peuvent recourir les familles qui essayent de continuer à prendre en charge leur proche atteint par la maladie : cela peut aller des services et soins à domicile jusqu’à l’information et la formation des aidants proches. Les proches se trouvent souvent face à une lourde charge physique et émotionnelle : les aides leur permettent de « tenir le coup » et de garder la personne dans son environnement familier, ce qui est toujours plus rassurant pour le malade mais aussi moins lourd en terme de budget.


En bref, il faudrait que chacun puisse bénéficier d’aides et soins appropriés à domicile, de centres de jour ou de résidences permanentes, quand il n’y a plus d’autres solutions que le « placement » en institution. Ce serait un signe de santé mentale de notre société.

 

 


 

(1) in « La famille aux frontières du lien », Feuilles Familiales, 2003.
(2) Alzheimer Belgique asbl, 02.428.28.10. E-Mail : info@alzheimerbelgique.be  Site : www.alzheimerbelgique.be Ligue Alzheimer, 04.229.58.10. E-Mail : ligue.alzheimer@alzheimer.be  Site : www.liguealzheimer.be  Voir aussi http://survivre-alzheimer.com, un site rédigé par des personnes atteintes de la maladie.
(3) Baluchon Alzheimer : www.baluchon-alzheimer.be, 02/673.75.00

 

 

 

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