Analyse 2009-09

Lors des procédures de divorce, le Juge est censé prendre des décisions pour l’intérêt supérieur de l’enfant. Mais comment peut-il évaluer cet intérêt? Guy Blondeel, ancien Juge de la jeunesse, évoque les difficultés rencontrées comme les outils dont un Juge peut disposer. Un point de vue intéressant pour les parents, qui côtoient le plus souvent le Tribunal pour la première fois lors de leur procédure de divorce.

 


« Dans le fond de mon jardin, il y a un petit sapin qui par les caprices des uns et des autres a été plusieurs fois transplanté. A la fin, il n’a plus repris vie. Il est devenu tout sec, tout roux. On m’a dit de l’arracher. Mais moi j’ai continué à l’arroser abondamment, ce qui amusait beaucoup mes enfants, de me voir abreuver un arbre mort. Et puis voilà qu’un jour, ma fillette surgit devant moi et me dit : ‘Papa viens voir, il y a des pousses sur ton sapin !’. J’ai été contempler calmement dans la joie l’Å“uvre de la nature. Oh combien de petits sapins transplantés, que seuls pourront sauver des gestes d’espérance. »Ces quelques lignes faisaient le prologue de mon premier livre : « Le purgatoire du juge ». A l’époque où j’étais juge de la jeunesse, je témoignais déjà en disant : « Non, ce n’est pas possible, il faut faire les choses autrement ».  Mais, voyez-vous, il n’y a pas que les juges qui transplantent des enfants. C’est parfois les parents. Et l’enfant transplanté se trouve tiraillé, manipulé, voire culpabilisé. Il est alors comme mon petit sapin : il a besoin d’être abreuvé, il a besoin de davantage d’amour et que les parents essayent de l’aimer sinon plus en tout cas mieux, au-delà de leurs différences. Et quant au juge, qu’il prenne des décisions judicieuses, et pas seulement judiciaires.


La loi n’est pas tout


Croyez-vous que, si Mozart a composé des mélodies sublimes, c’est grâce à son piano forte ? Et bien non. Son piano forte était un outil. La loi est un outil. Ce qui compte, c’est l’artisan, et si possible l’artiste. Avec d’excellentes lois, un juge peut faire des catastrophes. Et avec des lois médiocres, s’il a des oreilles, s’il a un peu de cÅ“ur, s’il a un peu d’imagination, il peut sauver l’essentiel. L’essentiel, en l’occurrence, c’est l’intérêt de l’enfant. Mais cet intérêt n’est pas facile à déterminer. Christiane  Singer dit « La vie n’est qu’une incessante métamorphose ». Et avant elle, Héraclite l’avait dit : « On ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve parce que l’eau coule… C’est le même fleuve, ce n’est plus le même fleuve… » Le juge n’est pas confronté à une situation figée. C’est la vie qui est là et qui continue. Bien sûr, si l’embarcation familiale prend l’eau, il vaut peut-être mieux qu’on se sépare. Mais que l’on épargne les enfants ! Il y aura peut-être bientôt davantage de divorces que de mariages. Mais ça ne signifie pas que la séparation soit devenue banale. Luc Ferry dit ceci : « La mort n’est pas seulement la fin de la vie, mais de tout ce qui relève de l’irréversible. La mort peut être, pour un enfant, le divorce de ses parents ».  Ce n’est pas toujours le cas, bien sûr, et ne soyons pas manichéen, il n’y a pas les bonnes petites familles d’une part et les mauvaises de l’autre. Et surtout, ne formons pas de jugement moral par rapport aux gens qui se séparent. Essayons que cela se fasse avec le moins de dégât possible. Quand j’ai écrit mon livre « Ce que je veux c’est vous deux », ce n’était pas une croisade morale contre le divorce, mais une tentative de montrer qu’il y a moyen de faire les choses autrement, qu’il y a des possibilités. La séparation ne peut pas impliquer une diminution du rôle parental de l’un ou l’autre.


Quand le tribunal intervient


Quand il y a séparation, un tribunal intervient la plupart du temps. Selon les situations, il le fait de manières différentes :

  • S’il n’y a pas de mariage, c’est le tribunal de la jeunesse.
  • S’il y a une séparation mais qu’on n’introduit pas encore la procédure de divorce, c’est le juge de paix.
  • Si on introduit une procédure de divorce, c’est le tribunal de première instance.

Et pour les mesures provisoires, le juge des référés.


A chaque fois, il y a possibilité d’appel.  Il y a 40 ans, j’écrivais déjà : « Mais pourquoi pas un tribunal de la famille ? ». Il y a un tribunal du commerce, un tribunal du travail, par les temps qui courent il faudrait peut-être un tribunal des finances. Mais pas de tribunal de la famille !Vous arrivez chez un juge de paix qui est peut-être très compétent en matière de baux, de récupération de créance. Et puis il doit s’occuper de problèmes familiaux, régler ce qu’on appelait jadis la garde de l’enfant, l’hébergement. On promeut aujourd’hui l’hébergement égalitaire, mais je pense que la loi souhaite surtout favoriser l’accord des parents, quel qu’il soit. Si les parents sont d’accord, le juge ratifiera, sauf si cet accord est manifestement contraire à l’intérêt des enfants. On sait que l’intérêt des enfants est loin d’être évident. Alors, « manifestement contraire »â€¦ Si les parents sont de bonne volonté, tant mieux. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’ils sont d’accord sur tout. Dans ce cas, ils peuvent éventuellement se faire aider par leurs avocats, par un notaire, par un médiateur. Il faut parfois prendre du temps. Il est parfois nécessaire de se mettre un peu à distance si on veut voir les choses dans leur ensemble.


Le Juge peut-il entendre l’enfant ?


Si le juge veut y voir plus clair, peut-il entendre l’enfant ? Oui, deux textes légaux le prévoient.


Dans le code judiciaire, l’article 931 dit que si l’enfant est capable de discernement, il peut demander à être entendu, ou le juge peut décider de l’entendre. Eventuellement assisté, à l’endroit que le juge déterminera par lui-même ou par quelqu’un d’autre. Un procès verbal sera établi. Donc les parties en auront connaissance mais elles n’obtiendront pas la copie de ce rapport. L’enfant ne devient pas pour autant partie au débat. Et il ne peut pas interjeter appel.


 côté de cela, dans  la loi du 8 avril 1965 sur la protection de la jeunesse, on a introduit un article 56 bis qui dit que si l’enfant a 12 ans et qu’il est concerné par le litige, il doit obligatoirement être entendu. Et là n’intervient plus la capacité de discernement.

 

Le juge est-il le mieux placé pour entendre l’enfant ?


Le Juge est-il le plus compétent pour entendre l’enfant? On peut supposer qu’il en va des Juges comme des notaires, des charcutiers et des employés des postes :  il y en a d’excellents... et il y en a d’autres. Certains juges ont à cÅ“ur d’écouter l’enfant, et c’est très bien. Un contact personnel est très important. Créer une relation, créer un climat de confiance. Mais il ne suffit pas d’aimer la musique pour être un grand musicien. Le juge, même bien intentionné, se rendra-t-il compte qu’il ne faut pas toujours prendre au premier degré ce que dit l’enfant. Et que ce qui est essentiel, ce n’est pas forcément ce qu’il dit. Françoise Dolto parlait en ces termes : « L’enfant a surtout besoin d’un interlocuteur qui ne le prenne pas immédiatement au sérieux et qui comprenne le climat affectif dont émanent ses dires et son agir. Il faut décoder son désir sous ses dires. Il faut s’efforcer de connaitre l’état d’esprit profond et stable de l’enfant. » Le juge, après son entretien, aura-t-il vraiment la certitude de connaitre ce sentiment profond et stable ?  Prenons un exemple. Après avoir pris ma retraite, j’ai créé un centre de rencontre pour ce type de familles, où je travaillais comme bénévole et plus en tant que juge. Un beau jour, une petite fillette  me répétait, en parlant de son papa : « Il ne serait pas honnête de lui donner une deuxième chance ». Mais le juge avait décidé que le papa pouvait revoir sa fille, dans le cadre du centre. La rencontre a donc lieu et cela se passe très bien. Le papa remet un petit collier à sa fillette qui est tout heureuse et qui retrouve sa mère dans la salle d’attente : « Regarde ce que j’ai reçu de papa ». La mère est furieuse et lui dit : « Va rendre ça à papa ! » Entre temps, le papa était parti. Alors elle me dit : « Reprenez ce collier ! ». A l’entretien suivant, la fillette est là avec le collier. L’entretien se déroule très bien et quand il se termine, le collier est toujours dans la main de la fillette, et sa main est toujours sur son petit cÅ“ur. Alors, est-ce qu’il était honnête ou non de lui donner une deuxième chance ? On a beaucoup d’exemples de ce type là. Si l’enfant refuse de voir un de ses parents, le responsable peut être le parent gardien mais peut être aussi le parent refusé, compte tenu de son attitude. Peut-être l’enfant. Peut-être que tout cela est complexe… Et je redis bonne chance au juge…  Et puis il y a le sexe. Faut-il confier un garçon à son père ? Et un tout jeune enfant à sa maman ? Bruno Bettelheim dit : « Chaque enfant en bas âge doit avoir une étoile pour se diriger, mais celle-ci ne doit pas nécessairement être la maman. » Un jour, une maman est là avec un tout petit enfant et  me dit : « Mais vous ne pouvez quand même pas donner mon enfant au papa, il a besoin d’affection, il est tout petit. » Et puis arrive le papa. L’enfant quitte sa mère illico presto et se blottit contre son père. Il ne le quitte plus. Et lorsque la mère quitte le bureau, elle doit littéralement arracher l’enfant aux bras du papa. Oui l’enfant a besoin d’une maman. Mais la maman, en l’occurrence, je crois que c’était le papa.  


Et quand le Juge ne sait que penser ?


Que faire quand le juge est là et ne sait plus que faire, que penser ? Parce que, évidemment, les avocats sont là eux aussi, la main sur le cÅ“ur, l’un à dire que c’est blanc et l’autre que c’est noir. Allez savoir s’ils sont honnêtes ou pas… Peut-être bien que oui, peut-être bien que non… Que peut faire le Juge en pareil cas ? Le juge doit avoir la sagesse de décider de ne pas décider. Ou en tous cas de prendre le temps. D’abord lui-même, d’écouter, d’essayer de comprendre, d’essayer de gagner la confiance, de faire procéder éventuellement à une étude sociale, qu’un ou une assistante sociale aille voir dans la famille comment ça se passe entre le papa et les enfants. Comment ça se passe, pratiquement, sans se baser sur ce que dit la maman à ce propos. Le juge peut aussi décider d’une expertise psychologique. Il peut envoyer les enfants dans un centre de rencontre : là aussi il faut prendre du temps. Parfois, c’est instantané. Parfois, instantanément cet enfant qui soit disant ne voulait plus voir son père ou sa mère, se précipite vers lui. Mais parfois, ça prend du temps. Il faut se laisser le temps à ce moment-là. D’abord parce que l’enfant a parfois besoin de temps pour oser se rappeler de bons souvenirs. Parce que l’enfant a besoin de temps pour oser avouer qu’il a faussement accusé l’autre parent : il a déjà un des deux parents à charge, celui qu’il accuse ; mais s’il revient sur son accusation, c’est l’autre qui va lui en vouloir. Voici un autre exemple vécu. Un père est accusé par son jeune garçon d’effets de mÅ“urs sur sa personne. Il l’avait raconté à sa grande sÅ“ur qui a pris fait et cause pour son frère. La petite sÅ“ur a suivi. C’est la guerre à outrance. Le juge décide malgré tout que le père peut voir ses trois enfants. Ils arrivent dans le centre où je travaillais et je prépare les enfants. Et puis j’introduis le papa. Mais quand j’entre dans la pièce, un des trois enfants est caché sous la table, l’autre est derrière un fauteuil, le troisième dans le coin. Et ils hurlent tous les trois : « T’es un salaud, t’es un menteur ! » Et cela n’arrêtait pas. L’entretien n’a pas duré longtemps. Le père est revenu une seconde fois, une troisième fois. La troisième fois il m’a dit : « Non, ce n’est pas possible ». Nous étions pourtant convaincus que cet homme ne pouvait pas avoir commis des faits de cette nature. On n’y croyait pas. On a continué, on a persévéré. Jusqu’au jour où le gamin a dit à sa sÅ“ur : « Oh ben tu sais, en fait, papa je lui avais demandé un gsm et il ne me l’a pas donné. Je l’ai raconté à un copain qui m’a dit que si je voulais l’emmerder, je n’avais qu’à aller chez les flics et leur dire qu’il m’avait tripoté. Tu vas voir, ils vont bien aimer ça. » Et voilà. Les rencontres ont continué et puis un jour les enfants ont pu aller chez  leur père. Et puis un jour le père m’a donné un coup de fil, le plus bref que j’aie jamais reçu, qui est peut-être un des plus émouvants. Il m’a simplement dit : « Monsieur Blondeel, les enfants m’appellent de nouveau papa ». C’est donc possible, mais il faut vouloir résoudre ce genre de problème.


Faut-il rédiger un rapport dans les centres de rencontre ?


Certains centres rédigent des rapports, les autres pas. Chaque formule a ses avantages et ses inconvénients. Si on rédige un rapport, il faut prévenir les gens. Il ne faut pas qu’ils se disent : « Tiens, qu’est-ce que c’est cette personne qui est en train d’écrire ? » Il faut dire les choses clairement. Il faut leur dire : « Voilà, comme ça on est sûr de ne pas se tromper dans ce que vous dites, d’avoir un rapport fidèle que nous pouvons transmettre au juge. » Ceux qui ne rédigent pas de rapport disent au contraire : « Les gens parleront plus librement, on aura une meilleure relation. » Les deux systèmes ont leurs avantages et leurs inconvénients. Dans le second cas, ce que vous risquez, c’est que la mère dise par exemple : « Oh vous savez, quand les enfants devaient voir le père, ils vomissaient, ils étaient malades. Et puis après, ils ne pouvaient plus aller à l’école. » Et le père disait « Oh quel bonheur ça a été de voir mes enfants. Ils étaient heureux et moi aussi. » Et les avocats, bien entendu, en rajoutent. Alors, que fait le juge ? Il  fait appel à un autre centre, qui lui rédige un rapport. C’est du temps et de l’argent perdu. Et pour les gens, ce n’est pas gai de devoir raconter encore une fois la même chose. Dans une situation réellement conflictuelle, je pense donc qu’il vaut mieux qu’il y ait un rapport.


En guise de conclusion


Sous forme de boutade, je dirais pour conclure que le juge ne doit pas juger. Il doit savoir qu’il ne sait pas. Il doit écouter, essayer de comprendre. Après seulement, indiquer une voie qu’il croit être la bonne. Eventuellement, insister, la recommander avec fermeté. Et en dernier ressort, si l’intérêt de l’enfant l’exige vraiment, l’imposer. Mais vraiment dans des cas limites. Je citerai un texte de monsieur Limet : « Le juge ne remplit-il pas mieux sa mission quand il parvient à faire comprendre aux parents que le bien être de leur enfant dépend d’eux-mêmes et non pas de la décision qu’il va prendre. » Mais bien sûr ! Parce que le juge passe. Les parents demeurent. Bien sûr le juge n’a pas à jouer le rôle d’un thérapeute. Mais ce n’est pas parce qu’on est nommé juge qu’on n’est plus un être humain. Et ce n’est pas parce qu’on est juge qu’on ne peut pas savoir que l’enfant ne s’épanouit vraiment que lorsqu’il est illuminé par un rayon de tendresse.  Je pense à ce dialogue que j’ai entendu un jour dans un centre. Un papa qui pose la question suivante à sa petite fille : « C’est qui que tu préfères ? Moi ou ta mère ? » Et la petite fille répond : « C’est toi que je préfère. Et maman aussi. Ce que je veux, c’est vous deux. » Je n’ai pas inventé le titre de mon bouquin. Et j’ai entendu d’autres déclarations étonnamment belles. Je voulais savoir comment ça se passait chez le papa. « Alors, qu’est-ce que tu aimes bien chez ton papa ? » Et la réponse en un seul mot : « Lui ». Je crois que j’avais compris. Ou alors, dans un autre cas, je dis : « Imagine-toi un peu que je suis la fée Carabosse. Et je peux faire tout ce que tu demandes. Alors, qu’est-ce que tu voudrais ? » « Qu’ils se reconsolent. » Ce verbe-là, je ne l’oublierai jamais. Eduquer un enfant, c’est l’aimer. L’aimer, c’est lui offrir la sérénité malgré les orages. « Il faut pas maudire l’obscurité, il vaut mieux allumer une bougie », dit un proverbe chinois. Le rôle du juge consiste avant tout à aider les parents à trouver cette bougie et le courage de l’allumer. Et que danse alors joyeusement  cette petite flamme. Qu’elle éclaire les cÅ“urs. Qu’elle permette de trouver le sentier qui mènera à la sérénité et à l’apaisement. L’intérêt de l’enfant, c’est tout simplement son bonheur. Et son bonheur, c’est d’avoir un papa et une maman à part entière. Un papa et une maman dont il peut être fier et qu’il a le droit d’aimer. Ce que je veux, c’est vous deux ! (1)


Pour Couples et Familles


Pour Couples et Familles, cette réflexion illustre bien la difficulté, au delà des slogans, de veiller à l’intérêt de l’enfant dans les cas de séparation des parents. A fortiori lorsque le divorce est de type conflictuel.Mais il est toujours possible d’essayer d’insuffler un peu plus d’humanité dans les procédures, d’écouter ce que dit chacun, de prendre le temps avant de prendre une décision.La création d’un tribunal de la famille permettra au moins de ne pas multiplier les procédures et de de pas allonger encore la période pendant laquelle la situation reste incertaine pour les différents acteurs, et en particulier pour les enfants. (2)

 


 


(1) Ce que je veux, c’est vous deux !, Guy Blondeel, éd. Bénévent, 2008.
(2) Ce texte a été rédigé par Isabelle Bontridder suite à l’intervention du Juge Guy Blondeel lors du colloque organisé par Couples et Familles le 23 septembre 2009 sur le thème « Divorces conflictuels et intérêt de l’enfant ».

 

 

 

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