Analyse 2009-03

Aujourd’hui, l’éducation n’est plus uniquement l’affaire des parents. Cette idée a vécu, mais elle est aujourd’hui dépassée. La coéducation est un concept qui stimule beaucoup de réflexions pédagogiques. Comment cela se passe-t-il lorsque l’enfant est à l’école primaire ?

 


La coéducation est un espace commun, que se partagent le parent et l’enseignant. Ensemble, ils décident d’apporter un plus au développement de l’enfant. L’enseignant investit, avec le parent, cette zone commune à partir du moment où il se met à éduquer l’enfant. Il n’est plus uniquement un stimulateur d’apprentissage. Il est aussi un éducateur qui se préoccupe du développement de son élève. Bien sûr, l’enseignement n’est pas la compétence exclusive du professeur. Les familles sont également des stimulateurs d’apprentissage. Mais elles enseignent à l’enfant des choses beaucoup plus implicites en lui inculquant des valeurs ou des normes de politesse, par exemple.


Parents et enseignants recherchent le développement de l’enfant


Tout se passe généralement très bien entre le parent et l’enseignant lorsqu’ils décident de se préoccuper tous deux du développement social de l’enfant. Â titre d’exemple, en maternelle, le taux d’absentéisme lors de réunions de parents est toujours très élevé. Pour une expérience réalisée dans la région de Péruwelz et de Charleroi, les enfants ont été filmés pendant quelques minutes dans la classe. L’enseignant a ensuite proposé aux parents de venir visionner le film lors d’une réunion. Résultat : 113% de présence à la réunion ! Ce pourcentage élevé s’explique par le fait que les parents avaient également proposé aux grands-parents d’y participer. C’est un fantasme de nombreux parents que de pouvoir observer la manière dont leur enfant se comporte lorsqu’ils ne sont pas là. Grâce à cette vidéo qui avait attiré les parents, les contenus échangés entre l’enseignant et les parents lors de la réunion ont été beaucoup plus riches. Cet exemple illustre le fait que les parents s’intéressent généralement assez  peu à la manière dont l’enseignant donne son cours. Ils sont, par contre, très intéressés lorsqu’il s’agit du développement de l’enfant, de son vécu, et de la façon dont il se comporte.


A la recherche d’un bonheur permanent


Certains parents sont parfois trop mobilisés par le développement de leur enfant. On parle alors d’hyperparentalité. Elle concerne les personnes qui veulent être de super parents et qui préparent l’avenir de leurs enfants avec beaucoup d’anxiété et d’angoisse. L’hyperparentalité est très dangereuse. Car le parent soumet l’enfant, dans ses apprentissages, à une pression temporelle intense : l’enfant doit apprendre vite, et il doit démontrer qu’il a réalisé cet apprentissage dans un temps déterminé pour rassurer ses parents quant à son avenir. En fait, aujourd’hui, quand les enfants naissent, ils doivent être heureux, et ils sont destinés à l’être jusqu’à la fin de leur vie. Les parents vont donc dépenser beaucoup d’énergies pour installer leurs enfants dans une situation de bonheur permanent. Et dans le but de rendre leurs enfants heureux, certains parents ne vont plus les soumettre à aucune règle, pour leur éviter toute frustration, ce qui très souvent ne les prépare pas à être heureux, car ils deviennent incapables de subir la moindre frustration. Or les frustrations sont inhérentes à la vie.En fait, pour la première fois dans le courant de l’histoire, ce sont les parents qui adoubent leurs enfants. Le processus traditionnel a été renversé : ce sont les enfants qui disent à leurs parents s’ils ont été de bons ou de moins bons parents. Résultat : les parents sont un peu tétanisés par ce jugement de l’enfant.
Les risques de la coéducation : co-enseignement, cogestion, police des familles


Si la coéducation se passe généralement très bien, les relations entre l’école et la famille comprennent toutefois quelques risques. Les choses se compliquent lorsque les parents s’égarent dans le co-enseignement : les parents prennent alors l’initiative d’enseigner et estiment avoir à dire à l’enseignant comment il doit le faire. Ce phénomène commence déjà en maternelle, lorsque certains parents investissent la classe. La classe est pourtant le domaine des enseignants et de leurs élèves, pas celui des parents. La coéducation est un partenariat mais ne doit pas conduire à brouiller les rôles de chacun.Le parent ne doit pas s’engager sur le chemin du co-enseignement. Pendant les devoirs, lorsque le parent commence à s’énerver, c’est très probablement parce que l’enfant n’a pas acquis la connaissance. Le parent doit alors prendre l’initiative de le signaler, et éventuellement d’arrêter le devoir. L’enseignant peut ainsi repérer les seuils de compétence effectifs de l’enfant et il n’est pas obligé de perdre son temps à corriger des devoirs réalisés par les parents. De plus, cette façon d’agir est très profitable pour l’enfant : son plaisir d’apprendre ne se transforme pas en soulagement de donner des bonnes réponses. En fait, les enfants qui restent de bons élèves tout au long de leur scolarité sont ceux qui ont le mieux sauvegardé leur plaisir d’apprendre. L’école fournit un profond gâchis lorsqu’elle met en place des tas de stratégies qui érodent ce plaisir d’apprendre. Pendant les devoirs, si l’enfant considère qu’apprendre met ses parents dans un état épouvantable, il va renoncer à apprendre et surtout, il va perdre l’aptitude à générer des endorphines au moment où il apprend quelque chose. Hurler des questions, en poser trois les unes à la suite des autres ou donner des questions et des réponses en même temps éteint toute activité cérébrale de l’enfant.  Un autre grand piège des relations entre l’école et la famille est la cogestion. Dans ce cas de figure, le parent décide qu’il va gérer l’école de l’extérieur en émettant un certain nombre de directives et en édictant des règles qu’il considère que l’enseignant devrait utiliser dans sa classe. Il s’agit d’une démarche très dangereuse, car l’espace scolaire appartient à l’école et aux enseignants. Pas aux parents.  Le troisième risque est celui que l’on qualifie de « police des familles ». Dans ce cas-ci, c’est l’école qui se fait juge de la manière dont se comportent les familles. L’école ne doit pas évaluer les pratiques familiales en distribuant de bons et de mauvais points aux parents.


Quelques moyens pour favoriser le dialogue


Certains pièges sont donc à éviter pour préserver les relations école-famille. Si les parents ne doivent pas trop s’immiscer dans l’univers scolaire, ils ne doivent pas en être totalement écartés.  Â ce sujet, il faut faire attention à ne pas confondre l’implication des parents et leur intérêt pour les productions de l’enfant. Tous les parents, quel que soit leur niveau social, ont été, un jour ou l’autre, intéressés par le développement de l’enfant. Il arrive que certains parents aient peur de l’école (par exemple parce qu’ils ont de très mauvais souvenirs de leur propre scolarité), ou qu’ils n’aient pas les moyens d’y pénétrer, ne serait-ce que parce qu’ils ne partagent pas la même langue que l’école. Ils se maintiennent donc en périphérie. Mais sauf dans certains cas extrêmes de maltraitance, tous les parents on été mobilisés à un moment ou à un autre par la scolarité de leurs enfants. Cependant, quand on se retrouve en difficulté sociale majeure, le désinvestissement peut être très rapide. Comment faut-il donc inciter les parents absents à avoir plus de contacts avec l’école ? En revisitant les médias scolaires : le journal de classe, le bulletin, le devoir, la réunion de parents. Â l’origine, ces médias ont été inventés pour favoriser le dialogue entre l’école et la famille. Le but du bulletin était de faire en sorte que l’enseignant et le parent s’intéressent ensemble à la progression de l’enfant. Aujourd’hui, le bulletin est devenu un contre-argument pour accentuer le stress sur les apprentissages et pour augmenter l’anxiété des familles. Auparavant, le journal de classe était envisagé comme un cahier de vie. L’élève y marquait l’humeur du jour, racontait ce qu’il avait fait à la maison. Le journal de classe ne doit pas servir qu’à indiquer ce que l’on a fait à l’école en terme factuel. Il ne doit pas être un instrument de monologue. Le devoir est également un média. Souvent, le parent est content lorsque son enfant n’a pas de devoirs, car il sait que cette activité est terriblement chronophage et qu’elle va lui demander de l’énergie. Le temps des devoirs pourrait pourtant être un moment agréable durant lequel le parent s’intéresse à la production de son enfant (1).    

 

 


 

(1) Analyse rédigée par Isabelle Bontridder (Couples et Familles) au départ d’une rencontre-débat animée par Bruno Humbeeck, travailleur psychosocial, avec la participation de plusieurs représentants des écoles primaires du réseau officiel communal d’Ixelles. Cette rencontre a eu lieu dans le cadre des Midis de la Famille organisés par l’échevinat de la Famille de la Commune d’Ixelles, en partenariat avec diverses associations, dont Couples et Familles.

 

 

 

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