Analyse 2008-15

Les hommes qui s’interrogent sur leur identité et leur rôle dans la société sont-ils les défenseurs d’un retour au patriarcat ? C’est une question souvent mise en avant par les associations féministes et qui est réapparue dans le congrès international « Paroles d’hommes » qui s’est tenu en octobre à Bruxelles.


L’émancipation sociale des femmes est sans doute un des événements majeurs du vingtième siècle. Elle a bouleversé les relations entre les hommes et les femmes et a fait éclater les rôles traditionnels attribués aux uns et aux autres. Les femmes ont vécu cette évolution comme une promotion, comme la conquête de territoires dont elles étaient jusque là exclues. Il n’en est pas de même pour les hommes, qui ont dû s’adapter tant bien que mal à cette situation nouvelle. Finie l’image virile du guerrier, de l’homme fort, puissant, dominateur, pourvoyeur de revenus pour la famille ! Mais alors, quelle est sa place aujourd’hui dans le couple, dans la famille et dans la société ? C’est à cette question que que de nombreux hommes essaient de répondre pour eux-mêmes, mais certains le font au sein d’associations d’hommes et de groupes d’échange et de réflexion. C’est la réflexion que proposait aussi le congrès[1] « Paroles d’hommes » organisé les 17 et 18 octobre à Bruxelles par l’association « Relais hommes[2] ». Ce congrès international avait déjà connu deux éditions antérieures, la première à Genève en 2003 et la seconde à Montréal en 2005. Ces deux congrès avaient été pris en charge par des associations locales similaires à Relais Hommes.


Féministes et masculinistes


Dès le premier jour du congrès, signe que la question suscite le débat, les participants étaient accueillis dès le porche du bâtiment où avaient lieu les conférences (dans les locaux de l’institut pour l’égalité des femmes et des hommes, IEFH) par des membres du collectif féministe « Vamos[3] » qui dénonçaient le fait que le colloque donne la parole à des « masculinistes » ou anti-féministes notoires, qui parlent des « souffrances » des hommes dans une dimension psychologisante, hors de tout contexte social. Et comble de la vexation pour ces féministes, il reçoit l’appui des pouvoirs publics : l’Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes, mais aussi la Communauté française, la Région de Bruxelles-Capitale, la Région Wallonne et la Province du Brabant wallon. Si le collectif a pu faire entendre sa voix, la polémique qu’il a suscitée aura fait au colloque une publicité que les organisateurs n’avaient probablement pas espérée.


Intervenants contrastés


Il est vrai que certains intervenants pouvaient justifier les critiques. Yvon Dallaire, psychologue et sexologue québécois, auteur à succès d’ouvrages sur les relations homme-femme (« Homme et fier de l’être », « La violence faite aux hommes »), s’y expose quand il s’en prend au « lobby féministe » qui selon lui a fait de l’homme le seul responsable de la violence domestique. Il prône le développement d’un « homminisme », qui serait le pendant du féminisme et s’attacherait à combattre les inégalités dont les hommes sont victimes, en particulier les droits de garde des enfants après un divorce[4]. Jean Gabard, auteur de « Le féminisme et ses dérives », est moins nuancé et voit dans la féminisation de la société et la perte de l’autorité paternelle la source de tous les maux de la société contemporaine. Ce dernier est beaucoup plus ambigu car il appelle un retour du « père » et des repères qu’aurait perdu notre société, mais le contenu de cette figure du père est peu défini, si ce n’est de s’opposer au pouvoir envahissant des mères fusionnelles et omnipotentes et de mettre fin à l’ère de l’enfant roi.  Mais le colloque donnait aussi la parole à des intervenants plus neutres, comme la sociologue française Christine Castelain-Meunier[5], qui parle des métamorphoses du masculin. Pour elle, ces métamorphoses ne sont pas des épiphénomènes, mais la conséquence d’une longue évolution historique, depuis la « puissance paternelle » jusqu’à « l’autorité parentale » actuelle. Si les pères d’hier pouvaient asseoir leur autorité sur le fait de pourvoir à la subsistance de la famille, il lui faut aujourd’hui s’investir dans le relationnel et partager son autorité avec la mère.


Axel Geeraerts, directeur du centre de prévention du suicide, commentait les résultats d’une étude sur le suicide au masculin. Il observe que les hommes commettent environ trois fois plus de suicides (réussis) que les femmes. Il proposait d’aller au-delà des analyses un peu rapides que l’on donne généralement du phénomène pour voir dans cette surmortalité le signe des images traditionnelles de la virilité, où l’homme doit s’en sortir seul et a donc beaucoup de mal à solliciter de l’aide, et les nombreuses situations de rupture des couples (additionnées parfois à la coupure des liens avec les enfants) sont particulièrement difficiles à vivre pour de nombreux hommes.


Hommes aux motivations diverses


Parmi les participants, des personnes issues d’univers très différents, à l’image des intervenants. Des participants à des groupes de parole d’hommes, organisés dans la ligne de Guy Corneau[6] (4) sous l’appellation Réseau Hommes Belgique, qui poursuivent l’exploration et l’expression de leur intériorité afin de vivre leur identité d’homme dans la plus grande harmonie possible. D’autres viennent d’associations de pères qui militent contre la coupure fréquente des liens entre les pères et leurs enfants suite aux procédures de divorce et sont généralement fort vindicatifs. Si l’on peut comprendre la hargne de certains d’entre eux en raison des situations très difficiles et souvent injustes qu’ils vivent, il est difficile d’intégrer leurs interventions souvent marquées de beaucoup d’émotivité dans un débat qui se veut rationnel et critique. On rencontre aussi des hommes déstabilisés par l’égalité entre femmes et hommes et la perte des rôles traditionnels, parfois visiblement nostalgiques d’une société patriarcale qui leur garantissait un rôle prépondérant. Mais on croise aussi et surtout de nombreuses personnes, hommes ou femmes, qui s’interrogent sur les évolutions sociales et sur leurs conséquences sur la vie des personnes.


Contradictions et tensions


L’intérêt principal de ce congrès était finalement de rassembler en un même lieu les différents courants d’opinion qui participent aujourd’hui au débat autour de la question de l’identité masculine et de la place des hommes dans la société. Un constat se dégage clairement : l’identité et la place des hommes dans la société ne sont pas évidentes et posent aujourd’hui question à beaucoup d’hommes mais aussi aux femmes. La profonde mutation culturelle que nous sommes en train de vivre est porteuse de changements mais aussi de résistances. L’agressivité et la force, par exemple, qui étaient des symboles de la virilité, ne sont plus légitimes. Pourtant, les cas de violence conjugale des hommes à l’encontre des femmes sont fréquents et n’ont jamais fait couler autant d’encre. Pour Christine Castelain-Meunier, dans cette période de mutation, « les hommes et les femmes sont aux prises avec des contradictions et des tensions  qui modifient le paysage des couples et les représentations de la différence. Des hommes s’affirment, en s’éloignant de la mise en scène d’eux-mêmes par la domination, mais aussi, plus profondément, de la domination qui les éloignait de l’humain, en même temps que des femmes les sollicitent pour leur force, leur pouvoir. On sent bien le poids du paradoxe ». Par ailleurs, si l’image de la femme occidentale est celle d’une femme émancipée, qui dispose d’un travail régulier, ce n’est souvent, pour le collectif Vamos, qu’une image : « Malgré l’égalité formelle, hommes et femmes ne sont pas égaux : en Belgique, les femmes prestent encore, même quand elles travaillent, 65 à 80 % des tâches ménagères et parentales. »Pour Couples et Familles, il est essentiel de continuer à mettre en place des lieux où hommes et femmes échangent et cherchent ensemble, parfois dans la confrontation de points de vue opposés, un équilibre toujours à ajuster. Et cet équilibre ne pourra se trouver qu’en envisageant conjointement les aspects individuels et collectifs, psychologiques et politiques[7].  

 

 


 


[1] Couples et Familles apportait son soutien à l’organisation de ce Congrès et y a participé. Un stand de l’association présentait les publications durant le congrès.
[2] Fondé en 2005, Relais-Hommes est un centre d’information et de réflexion destiné prioritairement aux hommes, dans le but de faire évoluer la condition masculine dans la société. http://www.relais-hommes.org
[3] Vigilance Anti-Masculiniste Mixte Organisée et Solidaire.
[4] On pourra consulter à ce propos l’ouvrae « Approcher le divorce conflictuel » édité en 2008 par les Feuilles Familiales et coordonné par le Dr Jean-Emile Vanderheyden. Ce livre propose des approches pluridisciplinaires de la question des divorces conflictuels et trace des pistes d’avenir pour éviter que des procédures s’enveniment et s’éternisent.
[5] Les métamorphoses du masculin, PUF, 2005.
[6] Psychanalyste et auteur québécois, rendu célèbre par son livre « Père manquant, fils manqué ». Il a fondé les groupes de parole pour hommes « Réseau Hommes ». http://www.rhb.be
[7] Analyse réalisée par José Gérard.

 

 

 

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